Victorin Lurel nous traite de « donneurs de leçons » et nous accuse en quelque sorte de vouloir ruiner l’économie bananière. Etrange ! Ne comprend-t-il pas que nous exprimons une angoisse réelle d’une bonne partie de l’opinion publique quant à la mise en danger de la santé de la population et de la destruction de la flore et de la faune de notre pays. En effet, les planteurs de banane, en obtenant une dérogation pour l’utilisation de la chlordécone, ont gravement empoisonné la Guadeloupe et ceci pour des siècles. Il est donc normal que nous fassions jouer le principe de précaution concernant les produits utilisés par épandage aérien d’autant plus que cette pratique est interdite en Europe et que le Premier ministre a récemment précisé qu’il était contre l’épandage aérien.
Victorin Lurel, Ministre des Outre-mer a tort d’affirmer que « les produits utilisés ne sont pas toxiques ; Rien n’est prouvé… ». Comment un Guadeloupéen responsable, de surcroit ministre, peut-il affirmer une telle chose ? L’Union européenne a classé ce produit comme R45 c’est-à-dire comme cancérigène possible. Cela ne suffit-il pas à faire jouer le principe de précaution ? N’oublions pas que ce fut la même attitude du gouvernement français concernant la chlordécone. Alors que depuis les années 70 Américains et Canadiens avaient interdit l’utilisation de ce produit classé comme très dangereux, ce n’est qu’en 1991 que la France se décide à interdire l’usage de ce produit sur son territoire mais une dérogation a été accordée aux planteurs de banane des Antilles jusqu’en 1993 sous prétexte de sauver l’économie bananière. Il faut noter que la France est le premier pays d’Europe pour la production agricole et celle de pesticides. D’où l’importance des lobbies en ce domaine.
Comme il est écrit dans le dossier scientifique que nous avons publié sous la direction de Jean-Marie Abillon :
« S'il est difficile, voire impossible, de faire l'historique des produits phytosanitaires utilisés en Guadeloupe sur une période de 60 ans, le rapport interministériel sur les plans d'action Chlordécone (période 2008-2010) (Réf. (1), p. 15) souligne :
« la qualité des eaux brutes superficielles est caractérisée par la persistance de plusieurs insecticides organochlorés (Dieldrine, bêta HCH, Chlordécone) appliqués dans les bananeraies sur la période 1953-1993. A cette pollution historique aux organochlorés qui touche l'ensemble de la Martinique et en Guadeloupe le Sud et le Nord-Est de la Basse-Terre se superpose une contamination provenant de pratiques phytosanitaires plus récentes...surtout par l'emploi des herbicides....il ne faudrait pas occulter l'importance de la contamination des eaux par d'autres pesticides (une trentaine de molécules détectées). Un pourcentage significatif de ces molécules est interdit d'emploi depuis plusieurs années# (bromazil, hexazinone, metalaxyl#, ametrine, atrazine, terbutrine, diuron, dichloporp, aldicarbe). Les substances apparaissant le plus fréquemment sont des herbicides (asulame, 2,4 D, glysophate#,...). Leur présence dans les eaux suscite des interrogations. S'agit-il de vitesses de transfert vers les nappes particulièrement lentes ou bien d'utilisations prohibées à partir d'approvisionnement en provenance d'autres îles de la Caraïbe où ces matières actives sont toujours autorisées ? L'Etat n'a pas été en mesure de renseigner … sur ce point. »
Après avoir souligné les nombreux manques du premier plan d'action, son rapport conclut :
« L’emploi des insecticides en agriculture expose les populations riveraines tout autant que les populations distantes à des risques pour leur santé, ceci à des échelles de temps et dans des domaines de pathologies que nous ne savons pas encore totalement identifier et recenser. Aux Antilles françaises, des groupes de population particulièrement exposés (les travailleurs en agriculture, les familles consommant les produits de leur jardin, les pêcheurs etc.) mais aussi, de diverses façons, l’ensemble de la population sont touchés par la contamination des sols par la Chlordécone, les produits phytosanitaires organochlorés, et tous les pesticides quels qu’ils soient (le Glyphosate par exemple). En effet, les milieux naturels sont le réceptacle obligé de toutes les percolations, lixiviations, lessivages et autres formes d’érosion qui entraînent et diffusent ces molécules et leurs produits de dégradation. Alors que l’on pensait qu’elle serait prisonnière des sols des anciennes bananeraies, la molécule de Chlordécone n’est qu’un témoin de ces différentes formes de contamination inévitable. La contamination des milieux naturels par les pesticides comme par les déchets, aux Antilles, a des conséquences immédiates, pérennes et généralisées.
Rien que ces premiers éléments d’enquête scientifique et administrative auraient dû contraindre notre ministre à appliquer un principe de précaution. Mais affirme Victorin Lurel, répétant ce que disent les planteurs, la toxicité de produits répandus par l’épandage aérien actuel n’est pas prouvée.
Donnons donc à notre ministre les informations suivantes sur les produits utilisés :
Selon les avis internationaux concernant les quatre produits utilisés :
1-TILT : classé par l’Union Européenne comme R 50/53 très toxique pour les organisme aquatiques, comme « cancérigène possible » dans le PAN (Pesticides Action Network), cancérigène possible par le réseau SAgE (Gouvernement du Québec), comme de toxicité à long terme aiguë pour l’homme (foie) et pour les animaux d’eau douce.
2-SICO : classé comme cancérigène possible et perturbateur endocrinien dans la PAN et considéré selon le réseau SAgE de toxicité à long terme pour l’homme (foie) et pour tous les animaux aquatiques.
3-BION : toxique pour les organismes aquatiques (R51/53)
4-GARDIAN : classé comme cancérigène possible dans la PAN et très toxique pour les organismes aquatiques (R50/53).
5-BANOLE : Classé cancérigène cat II R 45 par l’Union Européenne et aussi dans le PAN. Classé « Nuit gravement à la santé » et H304 dans la fiche de données de sécurité (FDS) n° 3002 de Total Fluides. Ce classement est plus sévère que celui de la chlordécone ! L’AMM (Autorisation de mise sur le marché) signale que ce produit ne peut être appliqué seul. Enfin, contrairement à ce qu’affirment les planteurs, le banole n’est pas de l’huile de paraffine. En effet, il a le n° CAS (Cheminal Abstracts Services) 64 742-46-7 tandis que l’huile de paraffine est codée CAS 8002-74-2. De qui se moque-t-on alors ? Notre ministre serait-il prêt à croire tout ce que racontent les planteurs ? Précisons touto de même que l’AMM ne suffit pas pour l’autorisation de l’épandage aérien. Il doit faire l’objet d’une évaluation spécifique. Ce qui n’a pas été le cas dans les autorisations préfectorales concernées. S’il y a donc une erreur au plan juridique, elle ne vient pas de la décision du Tribunal administratif de Guadeloupe ni de celui de la Martinique mais des Préfets c’est-à-dire de celui qui les coiffe, le Ministre Victorin Lurel lui-même.
D’où vient donc la faute de Victorin Lurel, Ministre des Outre-mer ? Faute juridique, il aurait dû vérifier la conformité des dérogations préfectorales concernant le droit. Défaillance éthique : il aurait dû, compte-tenu de l’épisode tragique de la chlordécone, s’assurer que les produits toxiques étaient réellement toxiques ou pas. Pourquoi avons-nous eu tous ces renseignements et pas lui ? Nous ne sommes pas ministres, nous !
Mais il y a plus grave : comment Victorin Lurel peut-il se permettre d’affirmer que le tribunal administratif de Basse-Terre aurait commis une « erreur de droit » ? Le pouvoir exécutif qu’il représente a-t-il le droit de traiter ainsi le pouvoir judiciaire ? Ne va-t-il pas plus loin que ce qu’on avait reproché à Nicolas Sarkozy et à Rachida Dati ? Comment peut-il dire que l’Etat va faire appel ? Peut-on faire appel concernant une décision du Tribunal administratif ? Alors qu’il n’était qu’un simple conseiller lors de la dernière assemblée du Conseil Régional, comment peut-il prendre la parole de façon aussi intempestive et accuser les uns et les autres, provoquant la stupéfaction de tout le monde y compris de ses plus proches collaborateurs ? Avant de nous accuser de « donneurs de leçons », nous les représentants d’associations de la société civile défendant un intérêt général, la santé publique, n’aurait-il pas été plus correct qu’il prenne en considération notre crainte légitime même s’il ne la partage pas entièrement ? Le résultat est que beaucoup qui comme nous avions voté pour lui aux dernières élections sont consternés, les élus et ses plus proches collaborateurs aussi tout comme la majorité de l’opinion publique guadeloupéenne et martiniquaise. Certains disent qu’il aurait « pété les plombs » ! En 2009, Victorin Lurel m’avait rendu visite chez moi. Je lui avais dit que son plus grand ennemi c’est Toto, c’est-à-dire lui-même. Aujourd’hui, Toto a triomphé de Lurel, comme une pulsion inconsciente. Il aurait dû sans doute écouter mes conseils ! Le pouvoir rend-il dingue ? Ou est-ce la banane qui a empoisonné son esprit ? L’avenir le dira mais c’est la première grande faute politique de Victorin Lurel et ce n’est pas sans une grande tristesse que je le constate.
Mais hélas, il y a plus grave encore. J’étais présent lundi dernier au Tribunal administratif de Fort-de-France. A une question qui lui était posée concernant l’utilisation du banole, le représentant du Préfet a affirmé que ce produit était utilisé seul une fois sur deux. Grave, très grave. Cela signifie que mêmes les règles n’avaient pas été respectées et que les planteurs ont consciemment et volontairement violé la loi en mettant en jeu la santé d’autrui. Nous apprenons aussi, selon les Bulletins de santé du Végétal de Guadeloupe émis par la DAAF, que 18 épandages aériens au banole seul ont été effectués jusqu’au 1°semestre 2011 et au cours du premier semestre 21012. Curieusement, le bulletin du 2° semestre 2011 est manquant. Il s’agit donc d’un procédé illégal, relevant du pénal, et il s’agit bien là d’une mise en danger de la vie d’autrui, s’il est vrai que le banole que le banole est aussi dangereux que la chlordécone. Nous demandons au Ministre des Outre-mer de nous défendre, nous citoyens des Antilles, en engageant un procès à ce sujet.
En conclusion, jusqu’ici, nous n’avions pas mis en cause Victorin Lurel. Nous sommes des citoyens de convictions politiques diverses et seul l’intérêt supérieur de la Guadeloupe nous anime concernant cet épineux problème de la production bananière. Nous rappelons notre position : nous sommes pour l’interdiction intégrale de l’usage de pesticides dans l’agriculture, surtout par voie aérienne, au vu de tout ce que nous avons dit jusqu’ici. Si cela doit entraîner l’arrêt de la production bananière, ce n’est pas de notre faute. Gouverner, c’est prévoir. Il appartenait à l’Etat et à nos responsables politiques de prendre des mesures courageuses sur cette question, dans l’intérêt de tous.
Nous avons mené depuis six mois seuls, ce combat. Nous sommes de petites associations, sans troupes, sans grandes divisions, et voilà que maintenant, nous avons contre nous les planteurs, l’Etat, et la majorité des élus qui en Guadeloupe soutiennent Victorin Lurel. Nous faisons un appel à tous les citoyens épris de justice pour qu’ils nous rejoignent jeudi soir 11 octobre dans cette lutte légitime, quelles que puissent être nos divergences idéologiques ou politiques. La Guadeloupe en a grand besoin.
Jacky Dahomay