EXTRAIT DU LIVRE de Louis BOUTRIN
"Au-delà des discours ! Une volonté pour le pays martinique"
Avril 2005 - Editions Ibis Rouge
Lauréat du Prix du livre Arc-en-Ciel 2005 remis au Salon du Livre de Paris
7 DÉCEMBRE 2003 - 7 DÉCEMBRE 2013. Cela fait tout juste 10 ans. Les martiniquais étaient conviés à une consultation référendaire relative à la mise en place d'une Collectivité unique dotée d'une assemblée unique. Le NON l'emporte à 1034 voix ! Dix années de perdues et une Collectivité de Martinique qui tarde à voir le jour. C'est l'occasion de se remémorer ce RENDEZ-VOUS RATÉ AVEC L'HISTOIRE à partir de quelques extraits du livre de Louis BOUTRIN publié en Avril 2005, "Au-dela des discours !"
L’Assemblée Unique en quatre actes
Depuis des décennies, le débat sur l’évolution institutionnelle et statutaire de la Martinique divise la classe politique et paralyse la vie économique et sociale du pays Martinique. Les campagnes électorales régionales et cantonales de mars 1998 n’ont pas échappé à cette tendance et ont été dominées par l’éventualité d’une Assemblée Unique.
L’élection d’Alfred Marie-Jeanne à la tête du Conseil Régional de Martinique grâce aux voies de Pierre Samot et des élus de Bâtir le Pays Martinique aura permis une recomposition de l’échiquier politique. En absence d’une majorité suffisante, le leader du Mouvement Indépendantiste de Martinique (M.I.M.) a choisi une stratégie d’ouverture large regroupant l’ensemble des courants politiques dans la gestion de la Région Martinique.
Cette nouvelle donne régionale s’est effectuée dans une période d’affaiblissement du Parti Progressiste Martiniquais (P.P.M.) qui a su toutefois sauvegarder la présidence du Conseil Général. Une institution départementale majoritairement à gauche mais divisée par l’émiettement de cette majorité au sein de 9 groupes politiques. Cependant, la réélection de Claude Lise à la tête du Département s’est accompagnée de son isolement au sein même de sa formation déchirée par une guerre de succession sans merci pour la Mairie de Fort de France. Une municipalité foyalaise en déficit budgétaire chronique qui ne peut plus compter, comme le passé, sur le Conseil Général, lui-même confronté à une conjoncture budgétaire difficile.
C’est dans un tel contexte politique que s’est engagée la course au leadership de la future assemblée unique que chacun appelait de ses vœux. Quelques dates clés marqueront les grandes étapes de cette longue gestation :
Ce bref rappel historique me semblait indispensable pour bien comprendre la complexité du processus dans lequel nous sommes engagés depuis bientôt 4 ans. Il est d’autant plus nécessaire que l’on a tendance à laisser croire que les difficultés rencontrées chemin faisant sont de la seule responsabilité des élus de Martinique comme si par fatalité, ils étaient tous frappés d’une tare congénitale.
Le contexte historique de changement de majorité en France a eu une incidence déterminante sur le cours de ce processus d’évolution institutionnelle aux Antilles. En effet, ce processus a été engagé dans une situation de quasi-crise politique liée à la cohabitation entre un Président de droite et un gouvernement de gauche plurielle. Deux conceptions de la politique de l’Outre-mer s’opposaient alors au sommet de l’Etat.
Chez nous, c’est également une espèce hybride d’une cohabitation tropicalisée où deux présidents à la tête des institutions régionale et départementale n’ont eu de cesse de s’affronter par dossiers interposés. Que ce soit sur les transports, le tourisme, la pêche, la coopération régionale, des projets d’investissement, la culture, l’acquisition des œuvres de Césaire, les aides et subventions allouées ici et là, tout est sujet à la médiatisation et à la course au leadership. Quant aux partis politiques, ils tentent d’affirmer leur volonté en faveur d’une évolution institutionnelle sans toutefois mettre en sourdine leur stratégie partisane ni renoncer à leurs alliances parisiennes.
Mais, l’histoire des peuples et des civilisations nous a appris que les mutations qui touchent les sociétés ne sont jamais tranquilles. Dans bien des cas, elles peuvent être le théâtre de véritables drames. Drames au sens littéral du terme mais aussi, drames au sens figuré dans la mesure où par moment, malgré les enjeux de l’évolution institutionnelle, nous avions l’impression d’assister à une tragédie où se mêlaient des épisodes enrichissants et des intermèdes complètement anodins. Des moments à la fois comiques et pathétiques. Tout ceci avec une omniprésence médiatique comme s’il fallait rajouter à ces événements une trame télévisuelle pour immortaliser des instants historiques certes, mais insignifiants à bien des égards.
C’est cette courte page de l’histoire politique de la Martinique que je me propose de résumer aujourd’hui en 4 actes.
Acte IV : la consultation du 7 décembre 2003
C’est Non !
Le suspens aura donc duré jusqu’au bout, tout au long de cette soirée électorale où le Non et le Oui n’arrivaient pas à se départager.
A 22 h 15 le verdict des urnes tombe : les résultats obtenus à Fort de France, dans le fief d’Aimé Césaire – rapporteur de la Loi de départementalisation en 1946 et partisan du Oui – ne seront pas suffisants pour inverser une tendance en faveur du Non :
Sur les 116 904 électeurs qui se sont rendus aux urnes, 108 368 se sont exprimés.
De ces premiers résultats, trois remarques s’imposent :
Mais, au-delà de ces chiffres, un constat s’impose : Pour une fois que la population martiniquaise était directement consultée sur son devenir institutionnel, les conditions du vrai débat démocratique n’étaient pas véritablement réunies.
Peut-on parler alors de vote historique ? Si tel était le cas, on peut donc déduire que, le 7 décembre 2003, la Martinique a raté son rendez-vous avec l’Histoire !
Scène 1 : La victoire de la peur
« Seigneur Jésus, ayez compassion de la Martinique, daignez l'étreindre dans votre amour et lui en montrer toute la tendresse. Faites qu'elle reste bien ancrée dans la République Française, en gardant son statut de département. Faites aussi qu'en union avec sa mère Patrie : la France, elle contribue à vous faire aimer de toutes les nations de la Terre.
Ô Amour de Jésus, nous prenons l’engagement de vous rester à jamais fidèle et de travailler d'un cœur ardent à répandre votre règne dans tout l’univers. Amen.
Merci Jésus pour cette prière ».
Cette prière pour que la Martinique …garde son statut de Département, a été distribuée aux fidèles électeurs à la sortie de la messe. Elle pourrait faire sourire plus d’un, si on ne la resituait pas dans un contexte culturel comme le nôtre, fortement imprégné par un syncrétisme religieux. Toutefois, elle symbolise bien le ton incantatoire de la campagne orchestrée par certains partisans du Non. Pas par tous, fort heureusement ! Mais, chacun à sa manière, certains partisans du Non ont pu jouer leur propre partition qui s’inscrivait généralement dans le registre de la peur.
Choisir les sorties d’églises, ces lieux de cultes et de croyances par excellence n’étaient pas du tout innocent. Tout le monde connaît les traditionnels rushs d’après messe, où les urnes sont prises d’assaut une fois l’absolution donnée. L’animation qui y règne habituellement et les files d’attente dans les bureaux de vote expriment-elles une relation étroite entre la foi et le devoir ? Les nouveaux prophètes du Non qui y ont vu là une belle aubaine, ont officiés à pas feutrés mais de façon méthodique. Dès le mois d’août, ils étaient déjà partis en croisade à travers les églises de l’île pour annoncer leur prophétie : La Martinique est en danger : Si on supprime le Département, elle bascule dans l’indépendance !
Dès la rentrée de septembre, ce ton donné à la campagne se confirmait : Les états majors de l’UMP organisaient l’agitation médiatique et se déplaçaient, de meeting en meeting, dans les fameux « cars de la commune ». En occupant ainsi chaque week-end l’espace médiatique avec en arrière plan deux immenses banderoles frappées d’un incontournable « Non à l’autonomie – Non à l’indépendance », ils ont fait la démonstration de leur capacité à mobiliser leurs troupes à coup de formules lapidaires. Ils n’ont pas eu beaucoup de mal puisqu’ils n’ont fait que ressortir les vieux arguments d’antan, ceux que l’on retrouvait dans le quotidien France-Antilles dans les années 78-80 quand les ordres avaient été données de contrer l’élection de François Mitterrand : « Ces hommes (F.Mitterrand PS – Georges Marchais PC – Robert Fabre MRG) sont dangereux, ils veulent que la France se sépare de la Martinique » titrait le France-Antilles du 11 février 19781. Une campagne bien orchestrée et rythmée par des visites ministérielles dont celle de Ministre Paul Dijoud qui déclara dans ce même quotidien unique d’information « La Martinique est un département français et restera définitivement un département français, que cela plaise ou non » 2
A l’annonce de la tenue effective d’une consultation de la population, les esprits étaient déjà suffisamment matures et préparés pour être imperméables à tout discours rationnel.
Que ce soit la Ministre de l’outre-mer, Madame Brigitte Girardin, qui déclara dès le 8 octobre 2003, au moment de l’annonce de la date de la Consultation : « le gouvernement a révisé la Constitution pour permettre aux collectivités qui le souhaitaient des évolutions statutaires ou institutionnelles, en toute sécurité, c’est-à-dire sans aucune dérive vers une sortie de la République » Interview accordée par Brigitte Girardin au Quotidien France-Antilles du 8 octobre 2003.
Que ce soit le Préfet Michel Cadot qui a précisé quelques jours plus tard que « la Martinique serait prête à accroître le champ de ses compétences, politiques et économiques. Ce que la Constitution propose aujourd’hui, sans pour autant remettre en cause l’identité législative de notre île. »
Que ce soit nos universitaires et nos experts en droit constitutionnel, qui ont apporté leur contribution pour expliquer les aspects juridiques de la question posée par le Président de la République,
Que ce soient les leaders d’opinions ou les élus dont quelques-uns uns avaient décidé de mouiller leur maillot,
Rien n’y fera !
Le discours des partisans du Non, telle une incantation, résonnait déjà dans de très nombreuses têtes.
La peur du largage était déjà installée dans les esprits et les spécialistes de la communication pouvaient alors entrer en scène.
Ils n’ont pas fait dans la dentelle ni dans la demi-mesure. Tout y passé : De la pleine page du France-Antilles du samedi tiré à 70 000 exemplaires, aux tracts anonymes en passant par les dépliants expédiés à chaque électeur, directement dans sa boîte aux lettres. Le tout ponctué par une campagne d’affichage sauvage où le slogan « nou pa ka achté chat an sak ! » viendra frapper les imaginaires de toute une génération. Un effet dévastateur qui ébranla les plus indécis ainsi que tous ceux qui ne se souciaient ni du coût ni de l’origine d’une telle débauche d’euros.
Cette analyse de « la victoire de la peur » a été tenue plus d’une fois par les partisans du Oui. Elle a été ressassée à maintes reprises lors des « antennes ouvertes » ou dans nos différents médias.
Même si, sur bien des aspects, une telle analyse s’appuie sur des faits véridiques que je me devais de relever, elle demeure quelque peu anecdotique voire simpliste. Elle me semble en tout cas insuffisante pour expliquer la victoire du Non.
Certes, le Non a touché à notre inconscient collectif, à tout ce que nous avons enfoui en nous depuis 155 ans.
Mais, le Non nous a surtout ramené à notre rapport avec la France et nous a renvoyé à notre attachement irrationnel avec « la Mère-Patrie ».
Nous ne pouvions ignorer que la nature de cet attachement allait perturber considérablement la rationalité du débat à venir. En acceptant le principe d’une consultation référendaire portant sur l’organisation de nos institutions nous acceptions de facto de courir le risque de réveiller les vieilles craintes et les vieux démons du largage. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Avons-nous oublié le grand cri d’Aimé Césaire pour signifier notre existence au Monde ? Pourquoi, face aux puissances féodales békés, notre nègre fondamental avait-il demandé l’assimilation à la France ?
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1 Voir à ce propos l’analyse de Jeanne Yang-Ting – Le mouvement indépendantiste martiniquais – Ibis Rouge Editions. 2000.
2 Paul Dijoud – Quotidien France-Antilles – p.12 – 4 mars 1980.
C’est l’existence de ce risque que j’ai voulu introduire dès la première réunion du Congrès. Fallait-il évacuer à ce moment précis, le débat politique qui s’imposait ? Je ne le pense pas !
La lecture de mon intervention au Congrès du 12 juin 2001 dans son intégralité devrait permettre d’éclairer un peu plus le lecteur sur cette question là. Ce bref « arrêt sur 1er Congrès » est aussi l’occasion pour moi d’effectuer mon autocritique.
"Merci Président. Chers collègues, je sais qu’effectivement pour avoir écouté les différents débats et propos tenus sur ces procédures d’évolution institutionnelle, il a un point qui semble faire l’unanimité, c’est celui de l’interrogation du peuple – d’ailleurs Daniel Marie-Sainte vient de corriger « consultation de la population du département » - mais qui m’interpelle quelque part.
La référence permanente, et je dirais quasi unanime au référendum, à la consultation référendaire m’interpelle d’autant que je ne m’inscris pas dans le cadre et la logique que l’on propose ici.
En un mot, je dis tout simplement, que nous n’avons pas besoin d’une consultation référendaire parce que nous ne nous situons pas dans une situation de rupture par rapport à la France. Actuellement, nous restons toujours dans le cadre de la République Française et les différentes références aux articles 72 et 73 de la Constitution en témoignent.
Faire référence de façon permanente au référendum, de mon point de vue, ne fait que ralentir un processus institutionnel qui risque de réactiver toutes les passions, tous les discours ressassés depuis des décennies, sur le largage, sur les pertes des acquis sociaux ce on commence à les entendre sur les ondes. Ceci risque de faire resurgir ce que certains avaient appelé le spectre de l’indépendance. Aujourd’hui, nous pouvons avancer et négocier sereinement nos rapports avec la puissance tutélaire. Négocier ce que nous avons appelé, nous à « Bâtir » des espaces d’auto-organisation pour faire court, des espaces de souveraineté et non pas entamer un processus de rupture avec la France. D’ailleurs que ce soit le Premier ministre ou le Président de la République à Madiana ou à la Réunion, ils sont d’accord pour entamer des négociations à condition que nous-mêmes soyons d’accord sur ce que nous voulons, à condition que nous arrivions à déterminer ce que nous voulons sur le devenir de la Martinique.
Actuellement, et c’est le point de vue que je soutiens, nous n’avons pas besoin de soumettre notre démarche à une quelconque consultation référendaire. Cela peut surprendre. Je pense que ce propos arrive un peu tôt dans les débats mais je tiens à interpeller l’assemblée du Congrès là-dessus puisqu’il ne s’agit, pour l’instant, que d’aménagement de nos rapports au sein de la République.
D’ailleurs, pourquoi cette consultation puisqu’en 1946, on n’a pas pris le soin de consulter le peuple : il y a eu une décision politique de transformer les anciennes colonies en département d’outre-mer ; en 1983 également, quand il a fallu transformer, applique la décentralisation et constituer la Région Martinique. On n’a pas fait non plus de référendum, quand il s’est agi de donner le droit de vote aux femmes ou de supprimer la peine de mort ; c’est parce que l’on considère qu’il s’agit là de principes fondamentaux, pour ne pas dire de principes fondateurs.
De mon point de vue, cette tendance actuelle qui voudrait qu’on fasse tout le temps référence au référendum dès lors qu’on entame un débat politique sur notre devenir relève
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1 Interview accordée par Brigitte Girardin au Quotidien France-Antilles du 8 octobre 2003.
davantage de la psychologie que d’une nécessité politique. Il s’agit pour certains d’évacuer nos peurs et de calmer nos angoisses sans pour autant avancer dans le processus que nous avons décidé d’amorcer aujourd’hui. L’enjeu politique du débat actuel se situe ailleurs que dans la consultation référendaire. Sin nous savons clairement ce que nous voulons, nous pouvons nous mettre d’accord sur ces principes fondamentaux. Cela rendre – et c’est ce que j’ai dit à travers la lettre adressée à tous les collègues du Congrès – plus claire notre démarche à venir. Pour le reste, les juristes, les constitutionnalises interviendront et mettront en musique ce que nous avons décidé.
Je sais, Mesdames et Messieurs, qu’aborder ce point sensible puisqu’on en fait toujours référence, qu’est celui d la consultation populaire peut surprendre quelque peu. Mais, il me semble que nous pouvons faire l’économie de cette consultation parce que pour l’instant il ne s’agit pas de rester ou de sortir du cadre de la République, il s’agit bien d’aménagement dans le cadre de cette République. »
Aménagements dans le cadre de la République ou … sortie de la République ? Voilà le dilemme que les partisans du Non ont entretenu de manière délibérée. Et, c’est justement cette question précise, qui n’avait pas été suffisamment débattue au préalable, qui a posé problème et a été exploitée avec un culot et une malhonnêteté intellectuelle hors paire.
En écrivant au président de la République – pour lui rappeler au passage de manière maladroite et honteuse, que la Martinique s’était fortement mobilisée en sa faveur lors des présidentielles de 2002 – les F.M.P. ont voulu alerter Jacques Chirac sur un certain nombre de points de la procédure qui suscitaient chez eux bien des inquiétudes.
La réponse de Michel Chatot, Conseiller du Président de la République en date du … 28 août 2003 a été suffisamment claire et explicite pour ne laisser place à aucun doute, à aucune confusion :
Et, pour parer à l’éventualité d’une amnésie passagère, il a été rappelé aux F.M.P. que « le principe d’une collectivité unique, se substituant au Conseil général et Conseil régional, a fait l’objet d’une résolution du Congrès adoptée à l’unanimité des votants moins une voix » et que « le scrutin proportionnel dans le cadre d’une circonscription unique a été également adopté à l’unanimité moins une voix ».
On constate bien à travers cette lettre de la Présidence de la République que, dès le 28 août 2003, les F.M.P. avaient déjà reçu toutes les réponses aux questions soulevées par ses membres tout le long de la Campagne.
C’est donc délibérément, en toute conscience et suivant une stratégie mûrement réfléchie que Miguel Laventure et ses acolytes des F.M.P. sont intervenus sur les différents médias et dans les débats publics pour poser des questions qui avaient déjà fait l’objet d’une clarification par le chef de l’Etat en personne. Comment parler de largage quand celui qui est le garant des institutions vous répond par courrier que l’évolution institutionnelle proposée est conforme à la Constitution ?
Pour contourner l’existence du risque de confusion entre la consultation proposée par le Président de la République et un référendum d’autodétermination, quelques partisans du Oui ont présenté cette consultation du 7 décembre 2003 comme un simple aménagement administratif. Une erreur stratégique monumentale : Le jeu n’en valait pas la chandelle ont dit certains ! S’il ne s’agit que d’une simple réformette de l’administration, pourquoi devrais-je courir le risque de remettre en cause ma relation avec la France ?
Or, quand le rapport avec la France est ainsi mis en cause c’est la pulsion inconsciente qui domine. Le discours pour le Oui qui s’inscrivait dans la rationalité ne pouvait donc rien faire contre l’émotivité suscitée.
Avec le recul, je pense que cette consultation référendaire s’imposait malgré tout et ce pour une raison fondamentale : Jamais par le passé, dans la courte histoire coloniale de ce pays1, le peuple n’a été consulté sur son destin. Et je m’en explique :
Lors de mon intervention au Congrès du 12 juin 2001, je m’étais surtout attaché à introduire dans le débat un élément de réflexion politique sur un sujet certes sensible, mais qui nous aurait permis de clarifier la nature de la relation que nous souhaitons entretenir avec la France. A contrario, la volonté du président Claude Lise était d’apporter une réponse technique voire juridique à une situation d’incohérence et d’aberration institutionnelle qui nous empoisonne le quotidien. C’était là une préoccupation collective qui s’inscrivait dans le droit fil de l’ordre du jour du Congrès et d’ailleurs, pratiquement personne n’a relevé ses propos quand, tout de go, il m’a répondu : « Collègue, je pense que ce n’est pas le lieu pour entamer ce genre de débat-là. ».
Cependant, cette approche me paraissait quelque peu limitative. C’est en ce sens que j’avais précisé que « cette référence permanente à la consultation référendaire relevait davantage de la psychologie – pour évacuer nos peurs et calmer nos angoisses – que d’une nécessité politique ». La dimension symbolique de cette consultation, celle qui s’adresse à l’inconscience du peuple, ne me semblait pas fondamentale à ce moment là. Or, les évènements qui ont suivi nous ont montré que finalement, nous avons eu tort de minimiser une telle dimension. En donnant une forte connotation juridique au débat, nous nous sommes enfermés dans des explications de texte aussi confuses qu’inappropriées et ce, avec le résultat que l’on connaît.
Mais, le 7 décembre 2003, malgré la puissance de la peur et de l’irrationalité, 49,52 % des électeurs ont pris un autre risque : celui d’affronter leur propre peur. Alors, a-t-on assisté sans le savoir à une espèce de catharsis collective qui pourrait s’avérer salvatrice pour l’avenir ?
Si c’était le cas, paradoxalement et contre toute attente, le Non pourrait générer un réveil des consciences et une volonté de responsabilité. Et ceci, beaucoup plus tôt qu’on ne le pense !
Scène 2 : Un OUI pluriel mais … divisé
Beaucoup d’hypothèses ont été avancées pour expliquer l’échec du Oui. Entre le crash de Guy Lordinot à Sainte Marie et la percée du Non dans 15 des 26 communes où les maires avaient appelé leurs électeurs à voter Oui, chacun y est allé de son analyse ou de son grain de sel.
En réalité, il faut appeler…un chat un chat (toute ressemblance est fortuite !) car les partisans du Oui ne se sont pas mobilisés suffisamment pour mériter la confiance d’une majorité de martiniquais. L’absence d’une campagne unitaire en faveur du Oui et la déliquescence de ceux qui avaient porté ce projet sur les fonds baptismaux constituent deux des principales raisons qui ont précipité la défaite du Oui.
Pourtant, cette campagne unitaire avait été réclamée à maintes reprises par la population. Nous avions bien perçu cette demande lors de nos rencontres citoyennes ou dans les discussions d’après meeting. Mais, figés dans des stratégies partisanes, les états majors politiques du camp du Oui avaient déjà décidé autrement. L’idée d’une telle démarche unitaire demeurait fort séduisante à condition bien sûr de garder le leadership ou la mainmise sur la suite des évènements. Et la suite, ce n’était pas la consultation du 7 décembre que l’on considérait comme une simple formalité. Avec 71 % de géniteurs du projet, 26 maires sur 34, 4 députés sur 4, 1 sénateur sur 2 et la kyrielle de chefs d’entreprises ou de personnalités de la société civile, les partisans du Oui se voyaient déjà sur la ligne de départ pour la course à l’Assemblée unique. Les tractations allaient bon train et les rencontres pour déterminer les patrons du peloton furent plus nombreuses que les rendez-vous dans les quartiers pour convaincre la population.
Quant aux désaffections, elles ont été beaucoup trop nombreuses dans le camp du Oui. Certains généraux que l’on attendait en première ligne pour monter au front et porter l’étendard du Oui étaient hors du …Département. D’autres avaient carrément pris le large pour le traditionnel Congrès de maires à Paris ou pour mettre le cap sur Bora-Bora aux antipodes des préoccupations du moment. Parmi ceux qui avaient décidé de rester dans la bataille, on a pu dénombrer de nombreuses volte-face dont une trahison retentissante qui demeure toutefois peu surprenante.
Cette absence de combativité sur le terrain traduisait en quelque part une absence de conviction politique dans une démarche initiée depuis quatre ans. Le peu d’enthousiasme, ne serait-ce que pour organiser un meeting commun, a contribué à une certaine démobilisation très perceptible à quelques jours du scrutin.
Or, ce qui pouvait faire la force du Oui, c’était justement le fait que ce Oui soit pluriel et qu’il pouvait ainsi transgresser les clivages politiques habituels.
Pour une fois, je me suis mis à croire que nous étions en passe de rompre avec ces vieux schémas que nous avons hérité de l’histoire politique française.
Pour une fois, je me suis mis à espérer l’émergence d’un groupe « d’évolutionnistes » de tout bord capable d’enclencher une « dynamique-pays » dans une Martinique retrouvée.
Pour une fois, nous avions là une occasion rêvée de renvoyer au peuple cette image d’unité tant espérée et de lui tenir un discours sur la responsabilité et la dignité.
Divisés, déchirés dans des luttes fratricides, nous nous sommes retranchés dans une position défensive en nous efforçant de rassurer la population sur le maintien des acquis sociaux avant d’expliquer cette fameuse question du décret. Une question rébarbative et si longue que nous étions obligés de prendre notre souffle avant de l’énoncer. Quant à son caractère technique et la référence à l’article 73 de la Constitution, ils ne pouvaient que repousser les électeurs et ce, même les plus volontaires.
Nous avons aussi démontré qu’en Martinique, nous avons la capacité remarquable d’assimiler ce qui venait de l’extérieur comme si effectivement nous étions frappés d’extériorité. En moins de deux mois, le pays tout entier s’est transformé en une gigantesque faculté de droit constitutionnel. Les constitutionnalistes de partout reprenaient du service sur les ondes pour expliquer les tenants et aboutissants de la dite question. Sur les radios, les antennes ont été ouvertes et la parole a été rendue aux auditeurs. Une véritable logorrhée ! Chacun, dans un élan remarquable de psittacisme, reprenant ce qu’il avait cru comprendre de la bouche de l’expert en oubliant au passage la question qu’il était censé poser.
Au fil de la campagne, l’impression qui dominait était celle d’un décalage énorme entre les vrais enjeux de cette réforme institutionnelle que nous avions souhaitée et les arguments avancés par les uns et les autres.
Et, pour couronner le tout, le gouvernement encore sous le choc du syndrome Corse, a décidé de ne pas expédier aux électeurs le document d’orientation dans lequel est consigné l’essentiel des orientations arrêtées par les élus lors des trois Congrès. Une décision unilatérale du gouvernement dont nous serons malheureusement les seuls à supporter les conséquences et les méfaits.
Il est regrettable que ce document d’orientation n’ait pas pu circuler entre les mains de nos concitoyens. Sa diffusion à une très grande échelle était une occasion supplémentaire de clarifier les débats à venir et de couper court à des interprétations mensongères ou sans fondement pour la plupart.
Les trois principales orientations validées par le Congrès figurent dans ce document. Sa vulgarisation aurait permis aux électeurs de se faire eux-mêmes une idée de ce qui leur était réellement proposé.
Au cours de notre campagne pour Oui, nous avons constaté que trois questions revenaient régulièrement sur le tapis. Or, les réponses à ces trois interrogations de la population sont dans le document d’orientation.
Quel type de collectivité proposez-vous ? : La nature de la collectivité unique se substituant au Département et à la Région y est précisé il s’agit d’une collectivité unique dotée d’une assemblée unique. Le point 1 du document d’orientation est suffisamment clair : « La Martinique sera constituée en une collectivité nouvelle se substituant au département et à la région. Elle demeurera donc soumise au principe de l’identité législative ». Au point 3, il est stipulé : « la nouvelle collectivité sera administrée par une assemblée unique de 75 membres ».
Pourquoi faire ? Cette question nous ramène à définir les compétences de cette collectivité unique. Ses compétences sont clairement définies. Du coup, l’argument « pa achté chat an sac ! » est vidé de son contenu puisque les compétences qu’exercera la nouvelle collectivité sont précisées.
Qui en fera partie ? Point 3 toujours, une assemblée unique de 75 membres élus suivant un mode de scrutin à la proportionnelle avec barre de 5 % et une prime de 4 sièges pour la liste qui arrive en tête. Le principe de parité hommes – femmes sera appliqué.
Scène 3 : Le débat institutionnel clos et tranché ?
La très mince victoire du Non a laissé beaucoup d’amertume chez tous ceux qui espéraient, à travers cette consultation, une véritable évolution du pays Martinique. A l’heure des bilans, chacun tente d’analyser les multiples raisons de l’échec de la mise en place de cette « Assemblée Unique ». Tout le monde y prend pour son grade. Les alliés locaux du gouvernement lui ont reproché son manque d’implication directe dans cette consultation. Pour s’en défendre, la Ministre de l’Outre-Mer a répliqué que « c’est le projet des élus et il leur revenait de le défendre, de l’expliquer ». Une position très juste dans l’absolu. Mais dans les faits, la Ministre sait pertinemment que ce projet est la traduction d’un engagement du Président de la République. C’est également le fruit d’une démarche commune entre les élus locaux et elle-même. Sans son opiniâtreté, sans son implication personnelle, ce processus de réforme institutionnelle n’aurait pas atteint le stade de la consultation des électeurs.
Il est toujours difficile pour un gouvernement en place d’endosser la responsabilité politique d’un échec électoral. Il est beaucoup plus facile de la faire supporter par ceux qui, c’est vrai, avaient pour mission de transformer l’essai. Mais, l’attitude du gouvernement quelque peu échaudé par son échec en Corse mérite tout de même quelques éclaircissements. Le syndrome Corse n’explique pas tout ce d’autant plus que les situations ne sont pas les mêmes. Son manque d’engagement ferme avec les électeurs s’explique très probablement par d’autres facteurs.
Malgré cette neutralité affichée par la Ministre de l’Outre-Mer, la victoire du Non a été présentée par la presse parisienne comme un revers pour Brigitte Girardin mais aussi pour le Gouvernement dont les projets de décentralisation ont été désavoués une seconde fois. Pour ne pas déroger à ses habitudes, le « Canard enchaîné » dans sa livraison du mercredi 10 décembre 2003 titrait « Un cyclone électoral sous les tropiques » avant d’épingler Jean Pierre Raffarin qui aurait poussé « Encore, une belle connerie ! » en prenant connaissance lundi matin du résultat des référendums aux Antilles. Cet extrait du journal satirique illustre en quelque part la rivalité qui existe au sein même du Gouvernement Raffarin sur la politique menée en Outre-Mer. Une division qui s’exprime plus ou moins au grand jour ne serait pas une nouveauté en soi si elle n’avait pas eu de conséquence directe sur le déroulement des évènements aux Antilles. Le fait que le gouvernement ne se soit pas trop mouillé et les pressions exercées par le Premier Ministre et le Ministre de l’intérieur pour renoncer à la tenue même de cette consultation expliquent la posture de neutralité de la Ministre de l’Outre-Mer.
La consultation avait été autorisée mais sans aucun engagement ni de l’Elysée, ni de Matignon. C’était à nos risques et périls et en cas de défaite, la responsabilité incomberait uniquement aux élus locaux qui n’auraient pas été suivis par les populations. Les répercussions sur la politique « intérieure » du gouvernement seraient quasiment nulles pour
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1L’Histoire du pays Martinique doit intégrer la période amérindienne. Elle n’a donc pas commencé à partir de l’arrivée des premiers colons européens.
des évènements qui se déroulaient à 7 000 km, loin de toute agitation médiatique parisienne.
Les stratèges de la communication de Matignon avaient sans doute ignoré la présence en Martinique de plus d’une centaine de journalistes réunis pour le XXIVe Congrès des Clubs Presse de France. Une aubaine pour les rédactions parisiennes et provinciales qui grâce à leurs correspondants présents durant cette semaine, ont pu relater à chaud ce « Référendum aux Antilles ».
C’était sans compter également sur l’opportunisme de François Bayrou qui, avec ses amis locaux, a rassemblé plus de 200 personnes dans un hôtel foyalais. Ces mêmes amis locaux qui, au passage, n’avaient pas hésité à l’abandonner dans sa tournée présidentielle, le laissant tenir meeting dans une salle quasiment vide. Cette voix discordance du président de l’UDF allait introduire le « référendum » dans le débat national sur la réforme de la décentralisation et avec en perspective les prochaines échéances électorales. Il ne s’est d’ailleurs pas fait prier par claironner à qui voulait l’entendre qu’il avait fait ce déplacement aux Antilles « …pour dire Non au désordre institutionnel »2 Une occasion selon lui « d’ouvrir un nouveau front contre l’UMP outre-mer . Une offensive qui contraste singulièrement avec la posture de neutralité préconisée par le gouvernement !
Il est certain que ce processus d’évolution institutionnelle avait été amorcé par les élus de Martinique. Mais on ne peut pas non plus ignorer que ce travail s’est effectué en étroite collaboration d’abord avec Christian Paul puis avec Brigitte Girardin, respectivement Secrétaire d’Etat et Ministre de l’Outre-Mer. Cette concertation a d’ailleurs débouché sur des propositions concrètes qui ont inspiré la révision du titre XII de la Constitution, lors du Congrès de Versailles. Dans ces conditions, faire croire à l’opinion publique que « le Gouvernement n’a fait qu’organiser des consultations demandées par les élus des Conseils généraux et régionaux locaux qui ont délibéré à cet effet » 1 relève de la démagogie politicienne au moment où on était en droit d’attendre plus de solidarité de l’ensemble du
gouvernement dans cette initiative commune. On imagine aisément la récupération politicienne de ces lâcheurs si le verdict des urnes avait été favorable au Oui ! Peut-être aurions-nous droit alors à autre chose que cet assourdissant silence de l’Elysée. Un mutisme qui laisse place à toutes les interprétations.
De telles attitudes même si elles ne sont pas surprenantes en politique demeurent malgré tout décevantes car elles dénotent une absence totale de respect vis-à-vis de ceux qui ont choisi le dialogue pacifique. Or, c’est bien sur le socle de la confiance et du respect mutuel que nous aurons à bâtir sereinement demain et à tracer une voie dans notre cheminement commun.
Interpellée lors du bilan de la consultation sur l’éventualité d’une réflexion sur le fonctionnement des institutions, la Ministre de l’Outre-Mer, très certainement désabusée, a affirmé « qu’il ne servirait à rien désormais de débattre davantage des institutions martiniquaises »2 Une déclaration qui tranche singulièrement avec l’esprit même de la nouvelle écriture de la Constitution. Ironie de l’histoire, à la lumière des faits, on constate que cette affirmation de la Ministre est contredite par l’histoire des institutions françaises :
En 1968 le Général de Gaulle, président de la République, considère que le moment est venu de décentraliser. En 1969, il propose un référendum de révision constitutionnelle
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1 Les Echos du 11 décembre 2003.
2 Le Figaro du 9 décembre 2003
portant sur la création des …Régions. Le vote négatif a entraîné la démission du Général De Gaulle, mais n'a pas mis un terme à la régionalisation....
En effet, les Régions n’étaient que de simples circonscriptions administratives de l'Etat selon le décret de 1960 qui en a fixé la carte. Il a fallu attendre 1972 pour que les Régions deviennent des établissements publics. Après la tentative avortée d'en faire des collectivités territoriales en 1969, elles ont enfin accédé à ce dernier statut en 1982 grâce au binôme Mitterrand/Defferre.
Si les Français avaient voté en 1969 pour un statu quo éternel les Régions seraient au même stade qu'en 1960 et ne seraient jamais devenues des collectivités territoriales.
Par conséquent, comment croire, à la lumière de cet exemple significatif que le vote négatif du 07 décembre 2003, obtenu avec un petit millier de voix d’écart et dans les conditions que l’on sait, mettra un terme à l'évolution institutionnelle ?
Déclarer ainsi que « le débat qui durait depuis vingt ans est donc clos et tranché »2à l’issue du scrutin du 7 décembre, c’est nier les motivations profondes de tous ceux qui ont fait le constat du mal développement et qui vivent quotidiennement ce climat de morosité généralisé.
C’est occulter également, la juste revendication pour une plus grande responsabilité des martiniquais dans la gestion de leurs propres affaires
C’est ignorer enfin, la soif d’émancipation du peuple une fois leur confiance gagnée.
Avec cette confiance retrouvée, on ne peut imaginer une évolution du pays Martinique si les responsabilités essentielles nous échappent. L’évolution attendue passe donc, nécessairement, par la domiciliation en Martinique des compétences permettant d’anticiper et d’accompagner les grandes mutations qui s’opèrent à travers le monde et qui traversent la société martiniquaise.
L’organisation cohérente des pouvoirs publics, même si elle ne résout pas tous les maux de notre société, permettra de répondre en partie à tous ces objectifs.
Alors, si la mise en œuvre d’une réelle politique de développement durable et solidaire implique au préalable un changement institutionnel, en aucun cas, nous ne pourrons clore un tel débat.
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1 Patrick Devedjian – Ministre des Libertés Locales – Le Figaro du 9 décembre 2003
2 Brigitte Girardin , France-Antilles du 9 déc.2003