Alfred Marie-Jeanne, jusqu’au bout de sa « mission »

In France-Antilles – 16 juin 2021. Assez rapidement, l’actuel président du conseil exécutif de la CTM a laissé entendre qu’il serait candidat à sa succession. 50 ans après son premier mandat politique, le leader du MIM conduit la liste du « Gran Sanblé Pou Matinik ».

« Qui est contre ça, qu’il lève le doigt ! ». Jeunesse, schéma gérontologique, emploi… la phrase est répétée comme un leitmotiv entêtant, avec force, sur tous les sujets. Ce 18 décembre 2015, debout au pupitre de l’Assemblée de Martinique, Alfred Marie-Jeanne retrouve sa verve des belles années et savoure une victoire acquise cinq jours plus tôt à la tête de la CTM. Le discours est offensif, comme il en a le secret. Rassembleur aussi. Oui, il « sera le président de tous les Martiniquais ». Et il défendra son programme, sans flancher.

Beaucoup le disaient fini, perdu pour la politique. C’était mal connaître ce fin stratège, pas à un coup d’essai, comme lors des législatives de 2012, où il s'est présenté avec succès dans la circonscription du Centre. Trois ans plus tard, au second tour des élections territoriales, confronté à Serge Letchimy, président sortant de la Région Martinique, Alfred Marie-Jeanne et le Mouvement indépendantiste martiniquais ont scellé une alliance surprise avec la droite de Yan Monplaisir. « Le Gran sanblé pou ba péyi-aan chans » a obtenu 54,1% des suffrages.

Vote sanction contre l’équipe sortante, plus qu’un franc soutien au chef de file des Patriotes ? Alliance contre nature ? Qu’importe pour Alfred Marie-Jeanne. « Il y a un seul vainqueur : ce n'est pas moi, c'est le peuple martiniquais. Avec Yan Monplaisir, les conditions sont réunies, que ça plaise ou pas. On a surmonté nos différences partisanes (...) C'est la victoire d'une unité retrouvée du peuple martiniquais. Une nouvelle ère. »

Six ans plus tard, le constat est plus amer, l’alliance a volé en éclats. Certains, comme Claude Lise, le président de l’Assemblée de Martinique, s’inquiètent d’une dérive et d'« une jouissance du pouvoir » (France-Antilles du 31 mai). D’autres le qualifient de « dictateur ». Ses proches louent, au contraire, son intégrité et sa rigueur, notamment budgétaire après, disent-ils, avoir trouvé une collectivité exsangue qu’il a fallu redresser. L’une des plus belles réalisations de son mandat, longtemps objet de querelles politiques, c’est le lycée Schœlcher, qui devrait ouvrir en septembre.

Alfred Marie-Jeanne, après 50 ans de vie politique, où il a été tour à tour maire de Rivière-Pilote, conseiller général, conseiller régional, député, président de Région, aurait pu passer la main. Il en avait d’ailleurs exprimé l’intention. Mais, face à la « trahison » de ceux qu’il ne nomme pas mais qu’il qualifie de « voraces, de renégats, à la pointe du reniement », il considère, « que le temps n’est pas venu de passer le relais ». 

« Je me succède à moi-même »

 

Invité du plateau de ViàATV ce lundi soir, présenté comme le « président sortant », il rectifie aussitôt, « mais aussi le président entrant ». Sourires des journalistes face à celui qui se fait très rare sur un plateau télévisé depuis son élection en 2015. « Je me succède à moi-même », renchérit-il. « J’irai jusqu’au bout des fonctions qu’on m’a données, jusqu’au bout de ma mission ». À l’aube de ses 85 ans, il balaie d’un revers de main la question de l’âge avancée par ses adversaires. Lui, l’enfant élevé à la campagne de Rivière-Pilote par une mère « bonne à tout faire », devenu professeur de mathématiques « par nécessité » pour payer sa pension alors qu’il se rêvait en chirurgien, ne fait qu’un seul calcul au soir des 20 et 27 juin prochains : la victoire. 

Alfred Marie-Jeanne estime que son expérience et son bilan plaident pour lui. « Le peuple jugera », assure-t-il, fidèle à lui-même. Et comme pour enfoncer le clou, ce lundi soir devant Eddy Marajo et Sabrina Doré de ViàATV, il lâche, tout sourire, après quelques éclats de voix et alors que l’émission politique touche à sa fin : « Je vous remets mon programme pour qu’il n’y ait aucun doute sur ma détermination. » Que celui qui est contre ça, lève le doigt ! Premier verdict dès dimanche.

 

Biographie

Né le 15 novembre 1936 

1970 : élu président du Racing Club de Rivière-Pilote

1971 - 2000 : élu maire de Rivière-Pilote

1973 : élu au conseil général (il y restera 23 ans)

1973 : création avec plusieurs militants du mouvement « La Parole au peuple »

1978 : fondateur du Mouvement indépendantiste martiniquais 

1990 : élu au conseil régional (il y restera 19 ans)

1992 -1998 : 2e vice-président du conseil régional

12 juin 1997 - 19 juin 2012 : élu député du Sud (3 mandats)

1998 -2004 : élu président du conseil régional (2 mandats)

2010 : battu par Serge Letchimy, lors de l’élection au conseil régional 

20 juin 2012 - 20 juin 2017 : élu député du Centre 

13 décembre 2015 : élu président du conseil exécutif de la CTM

 

Eau, transport, vie chère... que proposez-vous ? 

 

Que préconiseriez-vous pour solutionner les problèmes enregistrés chaque année au niveau de la distribution d’eau ?

Les communautés de communes sont, dans le cadre du plan eau DOM, détentrices de la compétence eau et assainissement. La CTM est associée par le biais des contrats de progrès. Des actions sont déjà prévues dans le plan de relance pour la refondation de la Martinique 2021/2023 associant l’État, la CTM et les EPCI.

Un programme d’urgence en matière d’eau et d’assainissement y est inscrit pour 40 millions d’euros.

Il convient aussi que le préfet décide de la servitude d’utilité publique à Séguineau pour que les travaux de renforcement des canalisations, déjà étudiés et chiffrés techniquement, puissent commencer sans tarder.

Mais la solution est aussi ailleurs : la mise en place d’une autorité unique pour la gestion publique de l’eau. En tant que président du conseil exécutif, j'ai déjà échangé sur ce sujet avec le préfet et avec les présidents des EPCI.
 

Quelle est votre vision concernant le transport et son développement ?

La CTM a mis en place l’autorité unique des transports « Martinique transport ». Une régie des transports urbains remplace la CFTU sur le Centre. Elle a fait démarrer le TCSP en 2018 et le transport maritime sur la côte caraïbe a été étendu. Le transport dans le Nord-Caraïbe et le Nord-Atlantique a été organisé. Les études pour l’extension du TCSP au Nord et au Sud sont déjà avancées et la consultation du public est en cours. Une étude sur la gratuité a été lancée avec une expérimentation de gratuité dans une ligne du Nord. Il est aussi proposé d’instaurer des pass transport gratuits pour les étudiants, les seniors et les personnes en difficulté. Le projet de viaduc de Fonds Lahaye est lancé, celui de l’aérodrome de Basse-Pointe également. Nous poursuivrons la modernisation du transport public terrestre et maritime sur tout le territoire.
 

Comment faire revenir les jeunes au pays ?

La politique de natalité et d’émigration est de la compétence de l’État, cependant la CTM actionne tous les leviers à sa portée, pour rendre la Martinique plus attractive. Nous agissons pour que les jeunes ne soient pas incités à partir et également pour qu’ils reviennent. Le retour des jeunes au pays repose sur la promotion de l’attractivité de la Martinique dans toutes ses dimensions : économique, culturelle, loisirs, universitaire, équipements, logement, etc. C’est ce qui a été entrepris ces cinq dernières années avec particulièrement l’élargissement de l’offre d’enseignement supérieur. Nous allons amplifier ces actions dans le cadre du plan de refondation 2021/2023.
 

Empoisonnement au chlordécone : quelles réparations et quelles solutions ?

Ceux qui ont sciemment diffusé cette molécule doivent être sanctionnés tant au niveau de l’État qu’au niveau martiniquais. Chacun doit reconnaître et assumer ses responsabilités en la matière. Et il ne saurait y avoir de prescription. Les victimes doivent être indemnisées : ouvrier(e)s, agriculteurs, marins-pêcheurs, etc. La recherche pour la dépollution doit être activée en lui accordant les moyens financiers suffisants. La CTM doit y prendre part.
 

La vie est toujours aussi chère. Que proposez-vous pour y remédier ?

Le nombre de produits de grande consommation du bouclier qualité-prix doit être étendu et de vraies études sur la formation des prix réalisées par le renforcement des moyens de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR). 

Des mesures de contrôle des prix doivent être engagées par l’État afin d’agir sur les composantes des prix : transport maritime, marges de distribution, situations de monopoles ou d’ententes, etc.

Les politiques de la CTM d’amélioration des performances de nos entreprises visent la maîtrise des coûts et donc des prix à la consommation.
 

Doit-on conserver l’octroi de mer ?

L’octroi de mer a une double fonction : donner des ressources aux communes et à la CTM d’une part, et d’autre part compenser les surcoûts supportés par la production de chez nous. Ainsi il protège et promeut l’emploi en Martinique. Il doit être pérennisé et sécurisé juridiquement. Il ne constitue pas un facteur de surprix, son cumul avec la TVA DOM étant inférieur généralement au taux normal de la TVA en France.

La CTM doit retrouver plus de capacités d’introduire de nouveaux produits dans le dispositif de différentiel de taxation à l’import. Une plus grande part de son produit devrait pouvoir être consacrée à l’investissement.