En 1970, la future présidente défiait devant une cour militaire ses tortionnaires de la police secrète. Un courage qui en impose aux Brésiliens.
Sur la photographie, elle est mince, jeune, belle, à peine reconnaissable. Mais il y a ce regard, cette détermination, identiques. Depuis quelques jours, ce cliché de la présidente Dilma Rousseff fait le tour du Brési, repris dans tous les réseaux sociaux, dont le géant latino-américain est champion mondial.
Nous sommes en 1970. Dilma, alors âgée de 22 ans, comparaît devant le tribunal militaire de Rio de Janeiro. Tombée quelques semaines plus tôt entre les griffes de la police secrète, elle a déjà subi 22 jours de torture dans les geôles de la dictature brésilienne (1964-1985), sans lâcher le moindre nom. La légende veut qu'elle ait craché au visage de ses bourreaux.
C'est en entrant à l'université que Dilma, fille d'un émigré bulgare qui a tenu a donner une éducation bourgeoise à ses enfants, cours de piano et leçons de français à la clef, bascule dans la lutte armée. Elle plonge dans la clandestinité, en rejoignant le Commando de Libération Nationale, devenu plus tard le VAR-Palmares.
Noms de guerre
Celle qu'on appelle alors «Vanda» ou «Estela», ses noms de guerre, cache des armes et participe à l'organisation de hold-up pour financer de la guérilla. Dans les rapports des services secrets, elle apparaît comme la «Jeanne d'Arc de la subversion».
Lorsqu'elle comparaît devant ses tortionnaires, en 1970, la jeune femme refuse de détourner le regard comme le font alors tous les prévenus. Au contraire, elle affiche une inflexibilité qui ne la quittera plus. À l'arrière-plan, les militaires, eux, dissimulent leurs visages derrière leur main.
C'est le journaliste Ricardo Amaral qui a exhumé ce cliché des archives de la police militaire pour la publier dans une biographie à paraître dans les prochains jours. «Ce que la vie demande, c'est du courage» - titre tiré d'une phrase du grand écrivain brésilien Guimaraes Rosa, que Dilma Rousseff avait cité lors de son discours d'investiture, le 1er janvier 2011 retrace son parcours de la lutte armée au palais présidentiel du Planalto.
Après avoir couvert pendant des années l'actualité politique au sein des principales rédactions du Brésil, Ricardo Amaral a fait partie de l'équipe de communication de Dilma Rousseff durant la campagne électorale en 2010, ce qui lui a donné un accès privilégié à la candidate choisie par Luiz Inacio Lula da Silva pour lui succéder.
«Terroriste», «communiste»
Les internautes, fiers de la lutte contre la dictature, ont mis en scène cette photographie en y ajoutant la voix de Dilma Rousseff lors d'une commission d'enquête au Sénat le 7 mai 2008. Le sénateur d'opposition Agripino Maia accuse celle qui est alors Chef de la Maison civile équivalent brésilien de premier ministre d'être une «menteuse», rappelant qu'elle n'avait pas «dit la vérité» sous la torture.
En face, Dilma Rousseff explose. «J'avais 19 ans, sénateur, j'ai été sauvagement torturée, et je peux vous dire que mentir sous la torture n'est pas facile. Et j'en suis fière car j'ai sauvé la vie de mes compagnons». À l'époque, cet épisode avait fait sensation sur YouTube.
Les Brésiliens découvraient que celle qu'ils percevaient comme une bureaucrate dépourvue de charisme, dont le seul mérite était d'être proche de Lula, avait en réalité une solide histoire d'engagement politique. «Ce jour-là, Dilma a montré qu'elle avait des tripes, elle a risqué sa vie pour ses idées, peu d'hommes politiques peuvent en dire autant», souligne Marco Aurelio Garcia, son conseiller spécial sur les questions internationales.
L'engagement de la présidente dans la lutte armée n'est pas perçu positivement par tous les Brésiliens. Pour une bonne partie, qui manifeste son dégoût sur Internet, c'est la preuve que la chef d'État est une «terroriste», une «communiste .
Dilma a décidé de leur tenir tête en installant en octobre dernier une commission de la vérité chargée d'enquêter pour la première fois sur les violations des droits l'homme commises sous les régimes militaires au Brésil. «Il est fondamental que la population, surtout les jeunes et les générations futures, connaissent notre passé, quand tant de gens ont été faits prisonniers, torturés et tués», a déclaré Dilma Rousseff, au cours d'une cérémonie officielle.
La commission de la vérité ne lève toutefois pas l'amnistie en vigueur depuis 1979. Les tortionnaires seront identifiés, mais ils ne seront ni poursuivis, ni emprisonnés, comme c'est le cas en Argentine. Bien que timide, cette loi est une petite révolution au Brésil, jusqu'alors l'unique pays de la région à n'avoir ni ouvert d'enquête ni jugé aucun responsable du régime militaire.
SOURCE : LeFigaro.
NDLR : Dans son roman "La Coulée de la Rivière Blanche" Louis Boutrin propose la mise en place d'une Commission Vérité Réconciliation... A l'instar de l'Afrique du Sud, suivie par de nombreux états de l'Amérique Latine, nous devons explorer cette étape de la Vérité... étape douloureuse certes mais indispensable à notre cheminement collectif.