Le chlordécone est un insecticide dangereux pour la santé. Il est classé aujourd'hui comme perturbateur endocrinien, neurotoxique et cancérogène possible pour l'homme. Les États-Unis l'ont interdit dès 1976. Il a pourtant été utilisé massivement jusqu'en 1993 en Guadeloupe et en Martinique pour protéger les bananiers contre les larves du charançon. L'affaire a déclenché là-bas une énorme polémique au début des années 2000 quand des analyses ont montré que certaines parties des deux îles sont et seront encore polluées pendant plusieurs décennies - anciennes bananeraies, cours d'eau, franges côtières - et que la population peut encore ingérer du chlordécone en consommant certains aliments pollués, principalement des légumes racines, des fruits de mer ou des poissons.
Pour calmer la colère, le plan chlordécone lancé en 2008 par l'État a prévu un suivi sanitaire des populations exposées. L'enquête est conduite sur le long terme mais les premiers résultats commencent déjà à sortir. Une nouvelle étude indique que l'exposition des bébés à l'insecticide dans le ventre de leur mère a des effets négatifs sur leur développement cognitif et moteur (Environmental Research, octobre 2012). Des travaux publiés il y a deux ans avaient montré que l'insecticide augmente de manière significative le risque de cancer de la prostate chez les personnes exposées.
L'étude porte sur 153 nourrissons âgés de 7 mois, garçons et filles. Du chlordécone a été détecté dans 56% des cas dans le sang de cordon ombilical et 77% dans le lait maternel. «Les doses sont très faibles, mais ce n'est pas anodin», explique Sylvaine Cordier (Inserm, Rennes) qui a piloté l'enquête avec Luc Multigner (Inserm, Pointe-à-Pitre). En effet, les chercheurs ont pu noter que plus les concentrations sont élevées, plus les nourrissons ont de mauvais résultats aux tests. «Quand on leur montre plusieurs fois deux photos identiques et que, d'un seul coup, on en ajoute une nouvelle au milieu des deux, on voit que les enfants les plus exposés au chlordécone mettent plus de temps à la regarder et qu'ils ne la fixent pas longtemps», explique-t-elle. Chez les nourrissons, le chlordécone agit donc sur la vitesse de détection de la nouveauté et le traitement de l'information. Les méfaits sont plus marqués chez les nourrissons exposés in utero.
Basées sur des petits effectifs, ces observations ne traduisent pas de troubles graves. «Il faudra néanmoins voir comment évolue ce léger déficit, à 18 mois et, ensuite, à 7 ans. S'il persiste, ce serait beaucoup plus troublant», estime Sylvaine Cordier.
À l'image de ce qui se fait en Guadeloupe, le laboratoire d'épidémiologie environnementale de Rennes suit depuis 2002 en Bretagne une cohorte de 3500 mères-enfants (la cohorte Pelagie). Son objectif: mesurer l'impact de plusieurs substances toxiques sur les jeunes Bretons. Les études effectuées alors qu'ils ont atteint l'âge de 7 ans vont sortir à la fin de l'année. «Le chlordécone n'a pas été utilisé en Europe, mais la contamination aux sous-produits du DDT y est beaucoup plus élevée qu'aux Antilles», ajoute Sylvaine Cordier.
SOURCE : Le Figaro