Mesdames et messieurs, mon intervention sera brève et portera sur 3 points qui sont les suivants :
. Chlordécone et information du public . Chlordécone et tourisme . Chlordécone et responsabilité politique
Mais tout d’abord, je voudrais commencer par un vibrant hommage à l’un des premiers, sinon le premier, écologiste martiniquais à savoir Pierre Davidas, disparu depuis déjà une décennie. En effet, dans les années 80, cet autodidacte, qui avait dû s’engager dans l’armée très jeune faute pour ses parents d’avoir les moyens de continuer à l’envoyer à l’école, n’eut de cesse de dénoncer dans « Antilla » et dans « Le Progressiste » un pesticide dont personne n’arrivait à l’époque à prononcer le nom : le chlordécone. Oui, il faut le savoir, dès 1985, Pierre Davidas en a dénoncé l’utilisation et il a été immédiatement la risée des grands planteurs et des services déconcentrés de l’Etat au motif qu’il serait un parfait ignorant ou un illuminé. Quant aux intellectuels, ils faisaient la fine bouche sur ce qu’ils nommaient ses exagérations !
Aujourd’hui, force nous est de reconnaître que Pierre Davidas avait vu juste 25 ans avant tout le monde. Il est donc normal que ce modeste hommage lui soit rendu ce soir.
Chlordécone et information du public
Venons-en donc à mon premier point à savoir « Chlordécone et information du public » ! En 2007 donc, Louis Boutrin et moi-même publions deux ouvrages traitant du chlordécone : « Chronique d’un empoisonnement annoncé » en février 2007 et « Chlordécone : 12 mesures pour sortir de la crise » en octobre 2007. Aussitôt les mêmes personnes ou services publics qui avaient jadis qualifié Pierre Davidas d’analphabète, ne pouvant tout de même nous adresser le même reproche, nous accusèrent de ne pas être des scientifiques d’une part et de vouloir tromper la population de l’autre. En clair, Boutrin et moi racontions des histoires dans ces deux ouvrages :
. dire que 22.000 hectares de terres étaient contaminées, c’était des histoires
. dire que les nappes phréatiques et les rivières étaient atteintes, c’était encore des histoires
. dire qu’il y avait un rapport étroit entre l’utilisation durant 30 ans du chlordécone et l’augmentation exponentielle du nombre de cancers, en particulier celui de la prostate, c’était toujours et encore des histoires ! etc…etc…
En 1985, Pierre Davidas était un analphabète qui parlait de choses qu’il ne connaissait pas ; en 2007, Boutrin et Confiant étaient deux affabulateurs qui exagéraient les conséquences d’une situation dont ils ne connaissaient ni les tenants ni les aboutissants.
Or, mesdames et messieurs, que nous apprend-t-on en cette année 2010 ?
Que tout ce que Davidas, Boutrin et Confiant avaient dénoncé était vrai !
Et l’Etat de mettre en ligne deux rapports confirmant l’empoisonnement de notre pays par ce dangereux pesticide.
Et l’enquête Karuprostate en Guadeloupe de confirmer le lien entre chlordécone et cancer de la prostate.
Et la Préfecture de se trouver obligée d’interdire la pêche et la vente d’une dizaine de variétés de poissons dans des zones comme celles de Trinité-Robert-François.
Quand à l’aquaculture sur laquelle tant d’espoirs avaient été fondés, autant dire qu’elle a été liquidée net ! Je dis qu’il y a eu manipulation de l’opinion publique durant 30 ans sur cette question, dissimulation criminelle d’un grave problème à la fois écologique et épidémiologique, volonté d’étouffer une affaire qui met en cause tout autant certains grands planteurs békés et certains chefs des services déconcentrés de l’Etat. C’est ce qui explique, mesdames et messieurs, que notre association, « Ecologie Urbaine », ait porté plainte en justice contre l’Etat pour empoisonnement, chose dont vous parlera tout à l’heure Me Dorwling-Carter.
Chlordécone et tourisme
Venons-en à mon deuxième point à savoir « Ecologie et tourisme » : lorsque nos deux livres sont sortis, on nous a accusé de vouloir fossoyer l’agriculture martiniquaise et d’étrangler les marchandes de légumes. Le PPM a même fabriqué à la hâte une association de marchandes, dénommée « Machann Foyal », qui a défilé dans les rues de Fort-de-France pour dénoncer ceux qui…dénonçaient le chlordécone.
Ca a l’air comique mais ça ne l’est pas du tout ! Car tout ce que nous demandions c’est qu’il y ait une cartographie des terres chlordéconées et un système de traçabilité des légumes et autres végétaux comestibles.
Aujourd’hui, ce même PPM, arrivé à la tête de la Région, et en charge donc du tourisme, déclare que trop parler du chlordécone fait fuir le touriste, constitue une sorte de repoussoir pour les millions d’Européens et d’Américains avides de venir bronzer à Saint-Anne ou au Diamant. Là encore, il y a de quoi sourire ! Car enfin, la crise du tourisme date d’il y a 40 ans maintenant et n’a cessé d’empirer.
Dans les années 70, des charters entiers de Québécois et d’Etasuniens remplissaient nos hôtels, par exemple, et les escales de bateaux de croisière étaient quasi-quotidiens à la haute saison. Or dès le début des années 80, l’économie touristique s’est mise à péricliter jusqu’à aujourd’hui.
Pour tenter de justifier cette déperdition, nos élus et responsables ont utilisés trois types d’excuses : avant-hier, l’excuse était que le Martiniquais n’était pas assez accueillant et qu’il n’aimait pas servir parce qu’il avait trop servi pendant l’esclavage ; hier, c’était parce qu’avec la Guadeloupe, nous avions beaucoup trop de grèves, que nous étions les champions du monde du blocage des routes ; aujourd’hui, c’est parce qu’on parle beaucoup trop du chlordécone.
Bref, tous les dix ans, les personnes en charge du tourisme sortent un nouveau lapin de leur chapeau pour masquer leur incurie. Je le dis ici haut et fort : il est faux, entièrement faux, qu’en France et en Europe, on parle sans cesse de l’empoisonnement des Antilles par le chlordécone.
Il y a eu en septembre 2007, une salve d’articles dans la grande presse hexagonale puis ça s’est arrêté ; en 2008, il y a eu une émission « Thalassa » de 45mn ; en 2009, un reportage de 5 minutes Canal + et en 2010 un reportage de 3 minutes de TF1. Donc que nos responsables du tourisme arrêtent de nous raconter des bobards : le citoyen-lambda de Carcassonne, de Bruxelles ou de Rome qui veut venir passer une semaine en Martinique n’a jamais entendu parler du chlordécone. Et puis, la Bretagne est la deuxième destination touristique de l’Hexagone alors qu’elle en est la région la plus polluée, notamment à cause des algues vertes. Et puis qu’est-ce que s’imaginent nos responsables du tourisme ? Que nous aurions dû nous coudre la bouche devant ce terrible problème de santé publique juste pour permettre à quelques milliers de touristes de venir en Martinique ?
Chlordécone et santé publique
Ce qui me permet d’arriver à mon troisième et dernier point : « Chlordécone et santé publique ». Nous savons tous maintenant que le chlordécone est une catastrophe écologique, mais nous n’avons pas encore vraiment pris conscience du fait qu’il s’agit aussi d’une véritable catastrophe sanitaire. Quand on énonce cela, on pense bien sûr immédiatement aux différentes formes de cancers qui se développent chez nous de manière effrayante comme le montre sans discussion possible l’Annuaire du cancer de la Martinique. Des cancers aussi rares que celui du myélome, par exemple. Mais il y a aussi le développement des maladies d’Alzeihmer et de Parkinson qui ne sont pas seulement liées au vieillissement de la population comme on tente plus ou moins habilement de nous le faire croire. Il y a encore le taux stupéfiant de malformations congénitales constaté par les obstétriciens et les sages-femmes.
Bref, tout un cocktail de maladies graves qui n’ont pas l’air d’inquiéter les pouvoirs publics et les plus hautes autorités sanitaires de la Martinique.
Que du chlordécone ait été retrouvé dans le sang de 90% des femmes enceintes n’empêche apparemment pas ces messieurs-dames de dormir ! Qu’on en ait retrouvé dans le lait de vache non plus ! Et je pense au premier chef à tous ces ouvriers agricoles, aux petits et moyens planteurs qui ont manipulé des années durant, souvent à mains nues, le chlordécone parce que personne ne les avait prévenus qu’il s’agissait d’un produit hautement dangereux.
Est-ce si difficile, est-ce si coûteux que de recenser ces personnes et de leur faire passer des bilans de santé ? Est-ce impossible de créer un fond qui permettrait de prendre en charge les soins ou l’hospitalisation de ceux qui sont visiblement les victimes d’une utilisation non protégée et de longue durée du chlordécone ?
Mesdames et messieurs, vous aurez compris que la stupéfaction et la colère qui avaient saisi Louis Boutrin et moi-même lorsqu’en 2007 nous avions découvert l’ampleur de la catastrophe et rédigé nos deux livres, eh bien que cette stupéfaction et cette colère sont toujours là, bien présentes, trois ans après, car à notre sens presque rien de sérieux n’a été fait pour tenter d’apporter des solutions à un problème qui ne disparaîtra pas d’un coup de baguette magique, la rémanence du chlordécone étant évaluée à un siècle et demi selon les chiffres les plus optimistes.
Quelles terres, quelles nappes phréatiques, quelles rivières, quels rivages allons-nous léguer à nos enfants et petits-enfants ?
N’est-il pas temps d’exiger de l’Etat et de ses services déconcentrés, des élus, des grands planteurs békés et des importateurs de produits chimiques qu’ils cessent de faire du saupoudrage, qu’ils arrêtent de jouer au chat et à la souris avec l’opinion publique et qu’enfin, ils prennent le problème à bras le corps ?
Cela a bien été fait pour l’amiante, pour le sang contaminé, pour la vache folle, pourquoi pas pour le chlordécone ?
Mesdames et messieurs, je vous remercie.