Prenant d’abord la parole, R. CONFIANT a rendu un vibrant hommage à feu Pierre DAVIDAS qui, il y a trente ans, fut le premier à tirer la sonnette d’alarme sur la question de l’utilisation des pesticides, notamment du Chlordécone :
« A l’époque, les grands-grecs se moquaient de lui parce qu’il n’a pas fait d’études et qu’il était un autodidacte. Il avait beau écrire inlassablement dans « Le Naïf », dans « Le Progressiste » et dans « Antilla », les responsables des services déconcentrés de l’Etat français passaient leur temps à le renvoyer à sa supposée ignorance. Or, aujourd’hui, l’Etat lui-même est obligé de reconnaître que c’est DAVIDAS qui avait raison, que nos sols, nos rivières, nos nappes phréatiques et nos rivages sont gravement pollués. Honneur et respect donc à ce grand Martiniquais que fut Pierre DAVIDAS ! »
Confiant expliqua ensuite que bien qu’ils ne soient pas des épidémiologistes, BOUTRIN et lui avaient le droit le plus absolu de se poser des questions sur les ravages du Chlordécone car ils sont des Martiniquais soucieux du devenir de leur peuple. Selon lui, il s’agit d’une catastrophe sanitaire sans précédent pour laquelle il faudra bien chercher les responsables au travers d’une « Commission d’enquête parlementaire » comme pour les scandales de l’amiante, du sang contaminé, de la vache folle ou d’Outreau. Seule une commission de ce type peut amener la question sur le terrain judiciaire. Deuxième intervenant, L. BOUTRIN fit une brillante présentation en « Power point » de la question du Chlordécone en commençant par un préalable :
« Nous tenons à dire et à répéter ici que nous ne sommes absolument pas contre la culture de la banane à la Martinique. La banane est indispensable à notre économie. Elle emploie près de 20.000 personnes en Martinique et en Guadeloupe et son exportation permet l’importation à moindre coût de produits venus de l’extérieur. Certaines personnes qui cherchent à nous discréditer commencent déjà dans certains médias à nous présenter comme les fossoyeurs de l’agriculture martiniquaise. C’est malhonnête ! D’autant plus malhonnêtes qu’elles sont, ces personnes, directement impliquées dans l’empoisonnement de notre pays et de notre population. »
L. BOUTRIN montra comment dès 1976, le chlordécone fut interdit aux Etats-Unis et comment des importateurs békés achetèrent la formule aux Etats-Unis, la firent synthétiser à Béziers, fabriquer au Brésil avant de le réintroduire en Martinique sous un nouveau nom, celui de « Curlone ». Comment aussi certains élus, sous la pression békée, demandèrent et obtinrent la prorogation de l’utilisation de ce produit jusqu’en…1993. Pendant donc 30 ans, le peuple martiniquais a bu une eau gorgée de Chlordécone, a mangé des légumes et des poissons empoisonnés. Selon BOUTRIN, les conséquences sanitaires sont là :
- explosion des cancers, en particulier celui de la prostate (la Martinique détient un triste record : elle est le deuxième pays le plus touché dans le monde après les Etats-Unis)
augmentation inquiétante des malformations congénitales, des fausse-couches etc.
augmentation du nombre de cas d’Alzheimer et de Parkinson
apparition d’un taux d’infertilité féminine et masculine absolument inouï puisque la Martinique est désormais passée en-dessous de la barre permettant le renouvellement de sa population : les femmes de notre pays ne font plus qu’1,8 enfants alors que la barre est à 2)
Pointant du doigt les responsables, L. BOUTRIN montrera comment, outre les importateurs békés de pesticides, il existe d’autres responsables au plus haut niveau de l’Etat, notamment à celui des différents ministres de l’agriculture qui se sont succédés depuis 1974 ainsi que les différents préfets et les chefs des services déconcentrés de l’Etat. Ce sont ces ministres qui ont régulièrement signés des A.M.M. (Autorisation de Mise sur le Marché) pour l’utilisation du chlordécone et ce sont les responsables des services déconcentrés qui se sont tout naturellement chargés de l’application de cette politique criminelle. Résultat : des rapports commandités par les services de l’Etat eux-mêmes (rapport Snégaroff dès 1977, rapport Kermarrec, rapport Balland-Mestre-Fagot etc.) démontrent sans discussion possible que la découverte de l’empoisonnement au chlordécone ne s’est pas faite en 1999 comme l’affirme l’Etat pour tenter de se dédouaner, mais bien dès le début des années 70. Les Martiniquais et les Guadeloupéens ont donc été sciemment empoisonnés pendant plus de 30 ans !
L. Boutrin terminera par les 4 exigences formulées par les auteurs du livre :
- mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire
lancement d’une vaste enquête épidémiologique avec des experts internationaux (et non pas seulement des experts français)
indemnisation des agriculteurs dont les terrains sont pollués et qui ne peuvent plus vendre leur production
dépollution immédiate des sols avec des techniques récentes mises au point au Canada et cela sur la base du principe du « pollueur-payeur ».
Me GERMANY prit ensuite la parole pour aborder l’aspect juridique et judiciaire de la question. Il évoqua les différentes instances devant lesquelles il est possible de porter plainte et tout d’abord celui auquel on ne pense jamais : le tribunal de la Sécurité Sociale. Il évoqua aussi le tribunal d’instance et le fait qu’il est possible de porter plainte tant au civil qu’au pénal. Dès lors, c’est une série de possibilités qui s’ouvrent devant ceux qui veulent porter l’affaire en justice. Me GERMANY a approuvé l’idée de créer une association dont l’objectif unique serait de poser la question du chlordécone et de demander réparation à qui de droit. Dans un style clair et précis, plein d’humour, l’avocat sut tenir en haleine une assistance attentive pour ce qui se révéla être un véritable cours de droit.
Vint le moment du débat qui commença par un bref incident. Une personne dans l’assistance tenta de monopoliser la parole en se présentant comme la première à avoir soulevé la question du chlordécone d’une part et accusa les « agriculteurs nègres » d’être aussi coupables que les Békés d’autre part. Elle fut rapidement ramenée à la raison car dans ce combat, il n’est pas question, comme dit un participant, « de distribuer des médailles d’ancien combattant. Sans compter qu’on n’est pas dans une cours de récréation où des gamins se chamaillent pour savoir qui est le premier à avoir fait ceci ou cela. » Prenant la parole Romain BELLAY, président de l’OPAM (Organisation Patriotique des Agriculteurs Martiniquais) expliqua qu’à l’époque personne n’avait prévenus les petits agriculteurs de la dangerosité des produits qu’on leur vendait. Un autre agriculteur prit la parole et fit un témoignage qui bouleversa l’assistance :
« Je n’ai pas quarante ans mais mon médecin m’a donné moins de 10 ans à vivre. J’ai utilisé, parfois à mains nues, le chlordécone pendant des années, au Saint-Esprit où j’avais une exploitation bananière. A l’époque, personne, parmi les agriculteurs, ne savait que ces produits que nous manipulions étaient dangereux pour la santé. Les services de l’Etat ne nous l’ont jamais dit ! Au contraire, ils nous incitaient à l’utiliser…Je suis prêt aujourd’hui à donner mon corps comme cobaye à la science s’il le faut pour qu’on étudie les ravages de ce produit sur l’organisme humain. »
Ces paroles poignantes solennisèrent la réunion d’un seul coup. On n’était plus là en train de parler d’un simple produit, de pratiques administratives et politiques laxistes, de la responsabilité de X ou Y, mais bien de la vie d’un homme, d’un être humain. D’un travailleur, père de famille, qui sait qu’il va mourir bientôt alors même qu’il n’est même pas quadragénaire. Les 200 personnes présentes écoutèrent donc avec une attention renouvelée les explications des docteurs DOUTONE et MACNY qui expliquèrent comment ils voient défiler de plus en plus de gens atteints de cancers dans leur cabinet. Pour le Dr DOUTONE, la question est encore plus vaste car dit-il :
« Il s’agit, en fait, de rendre la terre martiniquaise aux Martiniquais ! »
Ces fortes paroles déclenchèrent des applaudissements nourris d’une assistance au sein de laquelle les prises de paroles se multiplièrent, tout un chacun se disant mobilisé et surtout déterminé à porter cette affaire le plus loin possible. Un nombre considérable de signatures fut recueilli en vue de la création de l’association « Anti-Chlordécone » qui sera chargée, aux différents niveaux de la justice, de porter plainte pour « empoisonnement » contre l’Etat français et les importateurs békés. Bien que présents dans la salle, aucun représentant de l’Etat n’osa prendre publiquement la parole pour défendre la position de celui-ci !