9 BONNES RAISONS DE S’INTÉRESSER AU RHUM (QUAND ON AIME LE WHISKY)
Dimanche 6 avril, les amateurs de rhum ont rendez-vous au Rhum Fest (PARIS), le salon consacré à l’eau de vie de canne. Mais les fondus de whisky feraient bien d’y passer une tête, eux aussi. Voilà pourquoi.
Force de voir les amateurs de whisky se convertir au rhum dans un plaisant œcuménisme – sans pour autant renier les dieux du malt –, il faut bien se rendre à l’évidence: non, le rhum ne sert pas qu’à aromatiser la pâte à crêpe. Oui, on peut l’apprécier dans un verre avec autant de plaisir et d’intérêt qu’un whisky.
Pour au moins toutes les raisons qui suivent et que m’ont aidée à développer trois experts: Jérôme Ardes, Martiniquais tombé à la naissance dans la potion magique de jus de canne et brand ambassador chez Dugas, Alexandre Vingtier, fondateur de la revue Rumporter et auteur d’un indispensable guide des bouteilles à goûter au moins une fois dans la vie, «101 Rhums à découvrir» (Dunod), et Luca Gargano, à la tête du négociant italien Velier.
1.
Non, le rhum n’est pas (toujours) du sirop
Sa douceur et sa sucrosité font le succès du rhum, mais elles ont de quoi déconcerter les amateurs de scotch habitués à la brûlure sèche du malt. Ceux-là s’orienteront vers les rhums dits « agricoles », distillés à partir de jus de canne, plus secs en bouche. On peut les choisir vieux (plus de 3 ans, soit l’âge auquel les malts tètent leur pouce !) pour aller vers des produits plus complexes et plus aromatiques. Ou se tourner vers des rums de style anglais comme Appleton (Jamaïque) ou Angostura (Trinidad), en partie distillés en pot still.
2.
On peut se faire plaisir sans se fâcher avec son banquier
L’inflation déraisonnable des prix du scotch (+ 40% en 10 ans) contribue à accélérer le transfert vers le rhum qui, lui, reste très abordable. On trouve des choses superbes pour moins de 30 €, et bien des produits d’exception, de ceux qui vous font frôler l’extase, se touchent à moins de 100 €. La série limitée Angostura N°1 lancée l’hiver dernier à 9600 exemplaires (700 pour la France) s’arrache à moins de 100 €, tarif à multiplier par 8 pour la même catégorie de whisky. C’est le moment d’acheter les rhums agricoles millésimés de plus de 10 ans, dont certains sont extraordinaires – chez JM, Bally, La Mauny, par exemple –, sans risquer de finir fiché à la Banque de France.
3.
Le champ des possibles gustatifs est infini
Les rhums n’ont rien à envier à la complexité du malt. Qu’ils soient traditionnels (distillés à base de mélasse ou de miel de canne à sucre) ou agricoles (élaborés à partir du jus de la canne), vieillis ou non, ils déploient une variété de profils gustatifs, du plus doux au plus sec, du plus léger au plus riche, et une carte des arômes où les combinaisons de notes boisées, fruitées, florales, végétales, épicées ou pâtissières ne demandent qu’à nous perdre. Vous n’avez pas fini d’être bluffés: dans les années à venir, les embouteillages de rhums vieux vont encore gagner en complexité et en qualité, avec la sophistication croissante des maturations.
4.
Vous savez parler whisky? Vous saurez comprendre le rhum
Comme son cousin malté, le rhum parle de distillation en colonne ou en pot still, de fermentation et de levures, de blends (assemblages), de single casks (bruts de fûts), de millésimes (une seule et même année dans la bouteille)… Il a ses distilleries disparues (son Brora s’appelle Caroni, et s’en offrir un flacon ne nécessite pas de braquer un camion Brink’s), son japonais qui buzze (Nine Leaves, le Chichibu de la canne à sucre), son phénomène branché (Diplomatico, le raz de marée vénézuélien arrivé en 2009: 300.000 bouteilles évanouies en France !), ses micro-distilleries exotiques (The Noble Experiment, installée à Brooklyn, Port Morris, nichée dans le Bronx, Chalong Bay, le rhum de Phucket…), ses expériences pushing the limits (certains rhums australiens, genres de biocarburants embouteillés à 80°), les mêmes pudeurs sur son âge… Ne paniquez pas: si vous savez parler whisky, vous saurez chanter le langage du rhum.
5.
Vous ne risquerez pas le lynchage en sirotant un cocktail
L’amateur de single malts, quand il commande son poison préféré trafiqué avec plus de 2 ingrédients, risque la mise à mort lente et douloureuse, l’égorgement au couteau émoussé et rouillé. Ou au minimum l’opprobre sociale. Commandez un whisky-Coke, la honte s’abattra sur vous ; demandez un Cuba libre (rhum, Coca, citron vert), personne ne dressera la potence. A croire que la canne à sucre n’a pas été inventée pour finir en cube blanc dans le café, mais – what else ? – pour se réincarner en mojito, en caïpirinha, en daïquiri, ti-punch, planteur, maï taï…
6.
Le rhum a copié le whisky
80% du rhum consommé à travers le monde est embouteillé sans vieillir. Mais pour la maturation des 20% restant, les producteurs s’inspirent de plus en plus des pratiques du whisky. Jusque dans les années 50, seuls les anciens fûts de bourbon accueillaient le rhum. Puis, d’autres types de barriques (cognac, vins…) ont été expérimentés et, depuis une dizaine d’années, le phénomène s’amplifie.
On voit même se multiplier les finitions (quelques mois de maturation supplémentaires dans un autre bois). La distillerie martiniquaise HSE vient ainsi d’ajouter 5 nouvelles expressions à sa gamme «Finitions du monde», dont 2 en fûts ayant préalablement contenu… des single malts écossais (Islay et Highlands).
7.
Le whisky s’inspire du rhum
Même si, aux origines, le scotch était « amélioré » de miel, d’herbes ou d’épices pour atténuer sa brûlure ou masquer sa piètre qualité, la tradition avait fini par se perdre à mesure que le spiritueux gagnait en excellence. Près de 150 ans plus tard, c’est au succès croissant du rhum qu’on doit le grand bond en arrière et la résurgence des whiskies aromatisés, sur le modèle des très appréciées eaux de vie de canne « spiced », obtenues par macération d’épices.
8.
L’effet Œnobiol solaire
L’amour du scotch vous fera découvrir les landes d’Ecosse sous la pluie, les lochs d’Ecosse sous la pluie, la cristalline lumière d’Ecosse sous la pluie – à l’exception d’une petite semaine annuelle qu’au nord de l’Angleterre on appelle l’été, et qui tombe aléatoirement selon la région et le millésime. La passion du rhum, en revanche, est un puissant accélérateur de bronzage qui peut vous faire découvrir du pays : Caraïbes, Amérique centrale, Pérou, Venezuela, Brésil, Réunion, Maurice… Pour les cartes postales, envoyez à l’adresse de Slate, merci.
9.
Certaines bouteilles vous feront oublier le whisky
Profitez du Rhum Fest pour goûter les finitions whisky d’HSE (Martinique), dont un rhum agricole affiné en ex-fûts de Smokehead : la finale tourbée de l’édition 2002 (difficile à trouver aujourd’hui) vous enfumait délicieusement le palais, alors que la série 2004, qui réutilise les mêmes fûts, se montre plus fondue. Allez tester la finition single malt de la distillerie dominicaine qui monte, Summum : à l’aveugle, c’est très proche du whisky. Laissez-vous tenter par le Diplomatico vintage 2000 (Venezuela), un assemblage d’ex-fûts de bourbon et de single malt fini en sherry butt à la complexité réjouissante.
Penchez-vous sur le millésime 1998 et le XO de La Mauny (Martinique), sur le Matusalem 15 ans Solera (République dominicaine) aux notes de tabac, sur l’Appleton 12 ans (Jamaïque), sur le Chamarel VSOP, un rhum agricole mauricien qui ne dit pas son nom puisque seuls les DOM et Madeire ont droit à cette appellation.
Donnez leur chance au Zacapa 23, la légende guatémaltèque, ou à l’El Dorado 15 ans (Guyana). Risquez-vous vers l’inattendu : les fantastiques clairins d’Haïti, le japonais Nine Leaves ou le jamaïcain Smith & Cross 57% qui ralliera à sa cause les amateurs de whisky brut de fût.
Enfin, allez faire un tour chez les négociants qui, pour la plupart, ont aussi les mains dans le whisky : L’Esprit, Plantation, Rum Nation, Mezan, Bristol parlent le même langage que vous, celui du bon goût.
Christine Lambert in Slate