DÉRAPAGES VERBAUX ET SI ON EN PARLAIT…

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  Même si nous parlons la même langue, nous ne nous comprenons plus. Incivilités, agressivité, dérapages verbaux:  la communication semble ne plus passer. Pourquoi ? Ce n’est pas une simple question de forme. Ni de ton, de savoir-vivre ou de morale, c’est bien plus : une urgence de fond ! Parce que nous sommes des êtres de langage, parce que se tient là notre humanité, il nous faut absolument progresser dans nos manières de nous parler.  Avec nos amis frères, nos conjoints, nos voisins…Chaque fois, que nous nous lançons dans une discussion musclée, il y a risque d’abîmer la relation.


Le dialogue ne se résume pas à l’échange d’un message factuel entre deux interlocuteurs neutres.


« Intrinsèquement, la communication est une prise de risque » insiste le psychologue Dominique Picard. « Elle est un face à face complexe entre deux individus et leurs vécus. » Quand on entre en communication, assure Marc Edmond, psychologue, c’est soi que l’on met en jeu, son estime de soi, son image de soi. Plus elle est défaillante, plus la communication est lourde d’enjeux. Certains vérifient, dans chaque échange, si l’on fait attention à eux…Et vivent un refus ponctuel comme un rejet de tout leur être. 
Plus on manque d’assurance intérieure, plus on se sent attaqué explique Fabrice Lacombe, consultant en communication. Comme un animal en danger, on grogne et on finit par mordre.
La meilleure défense c’est l’attaque dit-on. « Là, on n’est plus dans l’échange », note Dominique Picard, « mais dans un bras de fer où l’un tente de prendre l’ascendant sur l’autre. » Un rapport de force d’autant plus fréquent que tout est précaire aujourd’hui : couple, famille, travail…Alors, on se défoule sur l’Autre.
«L’agressivité nous permet de sortir, un instant, d’un sentiment d’impuissance généralisé », constate Dominique Picard. Faute d’obtenir ce que l’on veut, au moins, on gagne en pouvoir sur l’autre. On se dit que l’on a eu le dernier mot, conclut Fabrice Lacombe. Dans une société qui privilégie le résultat plutôt que la qualité du lien, l’agressivité jouit d’un  relatif prestige. »

Quand on communique, on est deux ! Et quand on se lâche sous le prétexte que ‘l’on n’y va pas par quatre chemins’ (…) ! On confond affirmation de soi et irrespect de l’autre. Pour que le message passe, il faut avoir conscience de soi, sans oublier que l’autre existe. « Mais, aujourd’hui, c’est le règne du MOI, MOI, MOI », tempête le psychologue Didier Pleux ! « L’Autre n’est qu’un gêneur. »


Certains absolutistes restent mûs en dépit de leurs qualités intellectuelles par des injonctions irrationnelles : « l’autoroute doit être libre quand je circule ou encore elle ne doit pas écrire tel article sur tel sujet d’actualité… » Et quand ça ne marche pas, ceux-là même s’énervent, explosent quand ils sentent que des gens qui pourraient leur rendre service n’abondent pas dans leur sens. Petite paranoïa ordinaire qu’accompagne un insupportable sentiment d’impuissance.

« C’est de l’immaturité émotionnelle », poursuit Didier Pleux. « On élève la voix quand on obtient pas ce que l’on veut, comme le nourrisson  hurle pour avoir son biberon. L’agressivité, c’est de la colère à son niveau le plus primaire. Elle est exprimée sans avoir été digérée. » Bestiale, elle nous fait remonter à la nuit des temps quand l’homme était un loup pour l’homme. « Au niveau de la société toute entière, cela s’appelle de la régression sociale, affirme Fabrice Lacombe. Tout le monde se crie dessus parce que plus personne ne supporte d’attendre. »

Il faudra donc apprendre à différer cette agressivité. Prendre le temps de comprendre ce qui se joue pour nous dans cet échange, dans cette demande qui est le nôtre. Est-ce que cela vaut vraiment la peine d’entrer en conflit ? « Sortez de la pièce, quittez les lieux, soufflez, conseille Sylvie Tenenbaum. De même si c’est vous qui êtes agressé : reparlez en plus tard. Surtout, n’oubliez pas : la personne qui crie est en souffrance, ce n’est pas vous qui êtes visé. » Tous les spécialistes interrogés le disent : il faut à tout prix éviter l’escalade. Parce qu’après les insultes viennent le passage à l’acte. Après la violence verbale, la violence physique...Un peu de sagesse, voyons!

 
 
La redaction 
 
Focus :

L’art de bien s’engueuler selon  le psychiatre et psychanaliste Jean-Pierre Lebrun et Alain Bentolila, linguiste.


Quelques principes pour s’affronter par la parole de manière constructive, sans débordements ou minimisations que l’on regretterait plus tard…


- Respecter la personne avec laquelle on entre en conflit.
- Écouter attentivement ses arguments
- Reconnaître son altérité intellectuelle
- Choisir  le vocabulaire  plus proche de son ressenti.
- Ne pas tricher sur le sens des mots, qui doivent être en phase avec son mécontentement.
Avoir l’humilité de reconnaître ses éventuels torts.

Les signes que l’on y est parvenu ? « Lorsque deux personnes sortent d’une engueulade réussie, elles se reconnaissent mutuellement de nouvelles places symboliques », affirme Jean-Pierre Lebrun. Un effet de soulagement doit s’ensuivre immédiatement.

À lire :

LEBRUN (Jean-Pierre), La perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui, Denoël, 2007.
BENTOLILA (Alain), Verbe contre la barbarie, apprendre à nos enfants à vivre ensemble, Odile Jacob, 2007.
TENENBAUM (Sylvie), C’est encore loin le bonheur ?, InterÉditions, 2007).
PICARD (Dominique), Traité des conflits ordinaires, Seuil, 2006.
LACOMBE (Fabrice), Arriver à le dire…même quand c’est difficile, InterÉditions, 2002.
PLEUX (Didier), Exprimer sa colère sans perdre le contrôle, Odile Jacob, 2003
TRUSS (Lyne), Y’a plus de respect ! Payot, 2008.