Depuis quinze jours, la Martinique semble sombrer dans la violence, violence par armes à feu, mort de trois jeunes en l’espace d’une semaine. Depuis le mois de janvier, onze homicides dont neuf par armes à feu. Les médias s’emballent, la course à l’image fait rage, à celui qui osera, on a même eu droit à la veillée d'Allan [un jeune retrouvé mort, ndlr] en direct sur ATV.
On voudrait croire que la violence est le seul fait des jeunes, on voudrait trouver des solutions. Rappelons que la Martinique est violente depuis que les colons se sont accaparés les Caraïbes s’accaparant ainsi les terres et mettant en place le système esclavagiste qui perdurera 300 ans.
Et Badam, ce matin à Pipiri chantant qu’apprend-t-on ? (« Et stupeur, ce matin à l’aube », en créole) La statue de Victor Schoelcher, abolitionniste célébré dans les livres d’histoire, a été vandalisée. Son visage ôté, son corps tagué d’inscriptions attaquant franc-maçonnerie, esclavagistes... Violence, là encore. On parle des jeunes alors que cette même violence est institutionnalisée depuis des siècles.
Surpopulation carcérale
Retour sur ces derniers mois. La violence est d’abord le fait de l’Etat en Martinique : que l’on parle de situation carcérale (130 détenus dorment à même le sol à Ducos, sur des matelas), la surpopulation chronique... Quel espoir de réinsertion quand les détenus sont considérés comme du bétail ?
Que l’on parle du Centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM), où l’on assiste depuis des décennies à l’impossible organisation du travail, que l’on parle d’agents cumulant avantages, refusant ne serait-ce que la contrainte horaire, quand d’autres sont harcelés, courent dans tous sens pour trouver compresses ou fils, ceux qui croient encore à leur mission de santé publique.
Des blocs opératoires dont l’état d’hygiène est pitoyable, des Bactéries multi résistantes (BMR) qui se promènent et s’installent dans l’ensemble des services de soins, car les patients se promènent d’hôpitaux, en clinique, au grand dam des soignants.
Que l’on parle de Colson, cet hôpital psychiatrique, qui devait se voir transférer à Mangot Vulcin, car les conditions d’hébergement étaient indignes, mais qui ne l’a pas été entièrement, faute de place, quels sont ces gens que l’on laisse pour compte, ne sont-ils pas humains ? Pas Français et dignes d’être traités correctement. A quand un procès et un jugement dans l’affaire du déficit de Colson ?
Violence politique, sociétale, économique
Elle est aussi politique cette violence, avec des élus qui comme Serge Letchimy, député, invective, ou Camille Chauvet, conseiller régional, errant depuis des années entre déclarations jugées racistes, doigt d’honneur en plénière... Et le sénateur-maire Maurice Antiste : le responsable du site Bondamanjak a porté plainte en 2011 à son encontre pour menaces et intimidations proférées à la radio.
Elle est sociétale envers les femmes, les Haïtiens, St Luciens, Dominicains.
Elle est le reflet de notre société occidentale, consommation de masse, drogues en tout genre, lieu de privilèges d’un autre âge, trafic, misère à chaque coin de rue.
Elle est économique aussi, entre champagne à outrance pour certains, misère noire pour les autres. Les premiers grands groupes économiques sont aux mains de Békés entre subventions, défiscalisation, dérogation tout azimut, scandale de la chlordécone, épandage aérien maintenu jusqu’à fin août, pillage d’une banque, le Crédit Martiniquais, sans que les prévenus ne soient jamais inquiétés sérieusement, résultat relaxe pour tous, entretenant le sentiment que jamais, ces gens-là ne doivent rendre des comptes. Violence historique cette fois.
Et l’on voudrait pacifier les jeunes, et uniquement les jeunes. Certains (syndicat de police) rêvent d’instaurer un état d’urgence. Bon nombre d’habitants veulent le retour du service militaire, d’autres une méga prison.
Sortir du carcan étouffant de la Martinique
Moi, je continue de rêver d’école et d’éducation. Un faible pourcentage d’adultes résidents en Martinique ont le baccalauréat. A croire que tous nos bacheliers depuis des décennies n’ont comme choix que de partir pour continuer, pour travailler, pour sortir du carcan étouffant qu’est la Martinique.
Un autre résultat aussi du célèbre Bumidom. Les forces vives sont parties. Quand on constate le vieillissement de la population, on ne peut-être qu’inquiets car à l’heure de nombre de départs à la retraite, on doit s’interroger sur la capacité qu’aura la nouvelle collectivité unique à constituer des équipes capables de gérer correctement l’ensemble des compétences réclamées à l’Etat.
Dans six mois les élections municipales, puis l’élection de la prochaine assemblée unique.
Gageons qu’aux vues des enjeux, les débats seront violents. Les derniers évènements n’aideront pas la majorité actuelle (Parti progressiste martiniquais et alliés) dans leur quête à défendre un seul maître mot : l’attractivité. Sortons de l’ombre.
SOURCE : Rue89
* Juliette Roméhaut, installée en Martinique depuis quatorze ans, signe sous pseudo : « Il est difficile ici d’être libre de ton. » Elle est impliquée dans la vie politique locale (sans étiquette) et active sur le site Bondamanjak. Elle a travaillé douze ans dans l’industrie pharmaceutique avant d’être licenciée en 2008.« Je connais la précarité économique depuis 2011, et me sens solidaire des petites gens qui ici, souffrent aussi », nous écrit Juliette, qui veut parler de la Martinique « loin des clichés ».