CATALOGNE : "La question de l'indépendance n'a pas
occulté la crise"
A l'occasion du premier scrutin où la question de
l'indépendance était clairement mise en avant, les électeurs ont envoyé des
signaux contradictoires. Un spécialiste de la Catalogne tire les leçons du vote
de dimanche.
Les Catalans se sont déplacés massivement, dimanche,
et ont voté en faveur
d'une autonomie accrue, tout en sanctionnant le dirigeant
nationaliste catalan, Artur Mas. Tentatives d'éclaircissements, avec Cyril Trépier,
chercheur à l'Institut Français de Géopolitique de Paris 8.
Quelles sont les principales leçons à tirer de ce scrutin ?
Il ne s'est pas résumé à un bras de fer du dirigeant nationaliste catalan Artur Mas avec le Président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy. La scène catalane est beaucoup plus complexe que cela.
Le fait d'être 'pour ' ou 'contre' l'indépendance ne suffit pas, pour les électeurs, à déterminer un programme
Avec 69,5% de participation, la mobilisation pour des élections régionales a été exceptionnelle. Habituellement, les Catalans se mobilisent surtout pour les scrutins de dimension espagnole. Mais après l'énorme manifestation du Jour de la Catalogne, le 11 septembre, à l'appel des indépendantistes, l'accent de ce scrutin avait été mis, pour la première fois, sur la question de l'indépendance. Cela a conduit les Catalans à se déplacer massivement pour aller voter.
Pourtant, on constate que le fait d'être 'pour ' ou 'contre' l'indépendance ne suffit pas, pour les électeurs, à déterminer un programme. Cette question n'est pas parvenue à occulter les clivages idéologiques droite/gauche. Enfin une autre surprise vient aussi du résultat du petit parti de centre gauche opposé à l'indépendance, Ciutadans, passé de 3 à 9 sièges.
Comment expliquer l'échec relatif de CiU, la fédération d'Artur Mas, qui est passée de 62 sièges en 2010 à 50, dimanche?
D'une part, il paie les mesures d'austérité budgétaire qu'il a adoptées depuis son arrivée au pouvoir fin 2010 en plus de celles du gouvernement central.
D'autre part, au sein de cette formation, il y a toujours eu cohabitation entre un courant modéré et un autre favorable à l'indépendance. Il semble que les voix des partisans du courant modéré aient manqué, tandis qu'une frange de l'électorat favorable à la rupture avec Madrid a préféré apporter ses voix au parti indépendantiste ERC. Une manière de s'assurer que les engagements d'Artur Mas en faveur de l'indépendance seraient menés à leur terme.
Hormis le recul de CiU, quel a été l'impact de la grave crise que traverse l'Espagne sur les élections de dimanche ?
Le grand vainqueur du scrutin est le parti indépendantiste ERC, comment le définir ?
ERC est l'héritier du parti majoritaire en Catalogne à l'époque de la république, entre 1931 et 1936. Il se proclame de gauche, mais son positionnement est davantage axé sur la question de l'indépendance que sur un clivage idéologique. Le bon score qu'il a réalisé dimanche (21 sièges) n'est cependant pas une première. Il avait déjà obtenu 23 sièges en 2003. S'il devient le deuxième parti de l'Assemblée aujourd'hui, c'est aussi en raison du net recul du parti socialiste catalan, le PSC (de 28 à 20 sièges).
Le Parti socialiste catalan souffre du bilan de son alter égo à l'échelon national ?
Oui, en effet, mais il paie aussi le flou de son message sur l'avenir institutionnel de la Catalogne. Le parti est assez divisé quant à la question de l'indépendance. Il se veut fédéraliste, mais son projet fédéral est assez peu élaboré. Aussi peu d'ailleurs que l'est le projet de société indépendantiste.
C'est à dire...
Le flou qui caractérise encore le projet d'indépendance lui donne aussi son attrait
L'essentiel de la promotion de l'idée d'indépendance s'est faite par défaut. On attribuait tous les maux actuels de la Catalogne à son statut au sein de l'Espagne. Mais le flou qui caractérise encore le projet lui donne aussi son attrait: l'indépendance peut ainsi séduire des gens aux conceptions et intérêts très différents.
L'idée d'une indépendance de la Catalogne a quand même fait un pas en avant dimanche...
Oui, même si les résultats d'hier ne sont pas transposables à un référendum d'autodétermination.
La promotion de l'indépendance ne se limite pas aux partis. Il y a tout un réseau d'associations locales qui font du porte à porte depuis des années, s'en faisant les promoteurs. De nombreux conseils municipaux et 552 référendum locaux ont "approuvé l'indépendance" entre 2009 et 2011.
Les nationalistes s'efforcent d'ailleurs aussi de courtiser les "nouveaux Catalans", ceux issus de l'immigration ancienne, à partir des années 60 - en provenance des régions les plus pauvres d'Espagne - mais aussi ceux arrivés plus récemment, comme les travailleurs marocains. Il s'agit d'élargir la base des partisans de la rupture avec Madrid, souvent plus présents dans les circonscriptions à la fois urbaines et rurales que dans le coeur des principales agglomérations.
CiU va maintenant vraisemblablement former une coalition avec ERC, et a confirmé son engagement de convoquer un référendum sur l'indépendance dans les 4 ans qui viennent.