Il est pour le moins paradoxal de constater que l’Amérique d’Obama, par deux fois, a adressé ces derniers jours des messages enjoignant à l’ancien président de différer son retour jusqu’au lendemain du second tour de l’élection présidentielle haïtienne, prévu dimanche 20 mars 2011. La diplomatie française - dirigée par le maire de Bordeaux, une ville qui a pesé lourd dans l’histoire d’Haïti - bien que très certainement invitée à relayer ces rodomontades, s’est contentée d’utiliser des termes beaucoup plus mesurés en rappelant que "rien ne doit détourner de la nécessaire mobilisation pour mener à bien le processus électoral en cours".
C’est en tout cas porter beaucoup d’intérêt à un homme dont j’entends dire depuis sept ans qu’il ne compte plus.
Si l’on peut espérer que la démocratie l’emporte en Haïti, en quoi l’Amérique aurait-elle plus le droit d’interférer dans les affaires haïtiennes que les Haïtiens dans les affaires américaines ? Ces menaces du porte parole du département d’Etat sont en tout cas bien inutiles. Elles obligent par ailleurs les USA à veiller sur la sécurité d’Aristide car, s’il lui arrivait malheur – pendant son vol de retour ou après son arrivée à Port-au-Prince - il serait certainement difficile de ne pas évoquer les basses œuvres de Washington. Ces mises en garde risquent par ailleurs de produire l’effet inverse de ce qui était attendu. En bravant le diktat américain, non seulement Jean-Bertrand Aristide adopte d’emblée la posture d’homme d’État qui était la sienne au moment de son enlèvement, mais il devient un modèle d’indépendance, de courage et de dignité, pour tous les pays du Sud.
C’est vrai, Aristide n’a qu’à lever son chapeau et Port-au-Prince descendra dans la rue pour se mettre derrière lui, ce qui vaut bien une élection truquée. Et l’Amérique peut le craindre.
Cependant, le retour de l’ex-président n’est pas destiné, d’après ce que j’ai retenu de nos conversations, régulières pendant ces sept dernières années, à lui permettre de terminer un mandat, interrompu par la seule volonté des anciens pays colonisateurs, même si on peut se demander si ce ne serait pas légitime.
Aristide a déjà indiqué qu’il rentrait pour se consacrer à l’éducation, comme il l’avait d’ailleurs entrepris depuis longtemps. Il est très certainement sincère. L’élection présidentielle, telle qu’elle se présente, n’a pour lui aucun intérêt. Elle n’intéresse d’ailleurs pas davantage les Haïtiens. Un rôle durable d’arbitre à l’autorité morale incontestée garantit à Aristide autant d’influence que s’il exerçait un éphémère mandat, harcelé par les anciens pays négriers.
Cependant, combien de temps pense-t-on pouvoir empêcher les Haïtiens de choisir qui bon leur semble pour les gouverner ? Le 20 mars 2011, un scrutin présenté comme démocratique doit en effet désigner le prochain président de la République d’Haïti. Ce président ne vaudra que ce que vaut l’élection. Sa légitimité est déjà en ruines, à mon avis, à l’image du palais présidentiel, qui n’a pas résisté au dernier tremblement de terre.
Ce scrutin résulte en effet d’obscures tractations menées par un conseil électoral « provisoire » en place depuis sept ans sous la surveillance des anciens pays colonisateurs qui croient pouvoir agir à Port-au-Prince comme en pays conquis, à l’instar de ce qu’ils ont l’habitude de faire dans certains pays africains.
Au premier tour, le CEP a purement et simplement interdit à plusieurs partis haïtiens, dont bien entendu celui de Jean-Bertrand Aristide, de participer au scrutin, sélectionnant ainsi les heureux élus admis à concourir.
Comment peut-on imaginer un seul instant, dans ces conditions, que l’élection à la présidence d’Haïti, quel qu’en soit le résultat, et quel que soit le mérite personnel du vainqueur, puisse être respectée et respectable ?
Quant à l’Afrique du Sud, elle semble avoir fait fi des pressions subies depuis ces derniers jours de la part de Washington, puisqu’elle aurait mis à la disposition de l’exilé, qu’elle héberge et protège depuis sept ans, un avion privé lui permettant de rentrer, lui sa famille, et autorisé quelques amis proches, au nombre desquels j’ai l’honneur de figurer, de même que Danny Glover, à l’accompagner.
Ce retour est l’œuvre de toutes celles et de tous ceux qui, malgré les menaces, les insultes et les persécutions, ont milité, pendant sept ans, non seulement pour que justice soit rendue à un homme qu’on a forcé à l’exil et tenté d’assassiner, et pas seulement par la calomnie, mais aussi pour que les choix politiques des Haïtiens soient respectés. On ne peut que féliciter René Préval, quelles que soient ses raisons, d’avoir tenu sa parole, même en fin de mandat, en permettant à son ancien allié de rentrer au pays.
S’il ne fait guère de doute que les Haïtiens se réjouissent du retour de « Titide », sa réapparition ne plaît pas à tout le monde.
Une certaine presse qui, au moment du coup d’État, a relayé toutes les accusations montées dans les officines macoutes ou américaines, devrait se faire plus discrète, car le moment est venu, certainement, de les montrer, ces preuves qu’on attend depuis sept ans, pour étayer ces accusations.
Il est frappant de lire dans les dépêches non plus qu’Aristide aurait démissionné en 2004, ce qui est faux, mais qu’il a été chassé par un coup d’État et une insurrection armée, ce qui est presque vrai. Les journalistes oublient de dire que l’insurrection armée n’était que le fait d’une poignée de mercenaires et que le coup d’État a été perpétré par les anciens pays colonisateurs et accompagné d’un enlèvement.
Cet enlèvement, principalement organisé par l’Amérique de Bush, a eu, hélas, des complices en France, ceux-là même qui gardaient dans leur manche un improbable joker : Duvalier fils, hébergé et protégé par la République pendant vingt cinq ans puis retourné à l’envoyeur. Rappelons quelques noms (la liste n’est pas exhaustive et pourra être complétée au besoin).
Dominique de Villepin, chantre des Békés de la Martinique, qui, malgré sa réputation de fier bonapartiste, attendait humblement les ordres de Colin Powell, tapi dans son bureau de ministre des Affaires étrangères (de style empire, bien entendu).
Michèle Alliot-Marie, qui prêta forcément son concours à l’opération, en sa qualité de ministre de la Défense, notamment en pilotant avec Bongo l’opération peu glorieuse consistant à recevoir Jean-Bertrand Aristide en Centrafrique, où stationnaient des troupes françaises. Pour la CIA, Bangui était considéré comme une « prison française ». Mais Alliot-Marie, décidément bien mal renseignée, n’avait pas prévu que, dans cette « prison française », il était également au programme de faire assassiner Aristide, ce qui a bien failli arriver. Naturellement, la « grande muette » aurait porté le chapeau.
Thierry Burkard, aujourd’hui retraité en province et occupé à écrire des romans policiers, qui n’obtint ses épaulettes d’ambassadeur, depuis longtemps par lui convoitées, qu’à charge d’organiser la déstabilisation d’Haïti, avec le soutien d’Eric Bosc, « diplomate » chargé, à l’ambassade de France à Port-au-Prince, d’intoxiquer la presse en inepties, parfois racistes, sur Aristide et depuis expulsé du Togo pour ingérence. Le plus étrange, c’est qu’il se soit trouvé des journalistes, et pas des moindres, pour recopier les « tuyaux » de Bosc.
Régis Debray, le moustachu que Guevarra accusa, peu avant sa mort tragique, d’avoir été « trop bavard ». En 2004, ce courageux auteur français, dressé sur ses ergots, plastronnait, en battle dress, entouré de gendarmes armés jusqu’aux dents, à la tête d’une commission, et aux côtés d’une bien romanesque jeune femme, présidente d’une mystérieuse association, « Fraternité universelle », une jeune femme qui se faisait appeler Albanel, du nom de son mari, général, mais qui n’était autre que Véronique de Villepin, la propre sœur du ministre. Elle s’occuperait aujourd’hui de l’aumônerie de Sciences Po, et, bien sûr, de sa mystérieuse association, toujours très présente, paraît-il, dans les zones agitées de la planète.
Régis Debray - ce qui n’étonnera personne - et Véronique de Villepin – ce qui est plus étrange pour une dame patronnesse - n’hésitèrent pas à aller menacer de mort Jean-Bertrand Aristide, au cas où il ne démissionnerait pas, utilisant textuellement l’expression « Auriez-vous une vocation de martyre ? » ce qui est formellement attesté, non seulement par le témoignage de Jean-Bertrand Aristide lui-même, mais également par un télégramme diplomatique rédigé par l’ambassadeur Burkard, pour se couvrir.
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