INDE - DÉBUT D'UN PROJET FOU D'ICI À 2015 : PLANTER 114 MILLIONS D'ARBRES

inde.114millions.arbres.jpgDes millions d'arbres pour le Témil Nadu

Dans une région aride de l'Inde, Sadghuru, un maître spirituel, est en voie de réaliser un pari fou d'ici à 2015, grâce à des milliers de bénévoles et l'appui de la Fondation Yves Rocher : planter 114 millions d'arbres.


 

Celui qui plante un arbre plante un espoir. Pour vérifier l'adage, ils sont des centaines ce matin-là à s'être rassemblés sur ce morceau de plateau désertique, à une trentaine de kilomètres de Coimbatore, au coeur du Tamil Nadu, Etat rural du sud-est de l'Inde. Des femmes drapées dans leur sari creusent un sol sablonneux appauvri par la sévérité d'une sécheresse endémique. Des enfants, accourus des écoles de la région, tiennent fièrement entre leurs mains un plant de santal rouge, de manguier ou de jaquier. Des hommes, ravinés par l'épreuve du soleil, portent des seaux d'eau, liquide précieux dont il ne faut pas perdre une goutte. 

Une armée de bénévoles forte de 300.000 planteurs

Tous sont des volontaires de Green Hands, une ONG locale au service du reboisement qui, en quelques années, a formé une armée de bénévoles forte de 300.000 planteurs. Barbe grisonnante et fournie, le visage éclairé de ceux dont la bienveillance inspire la confiance, il se tient au milieu de ces paysans et leur prodigue quelques conseils avant de donner le signal.

Lui se nomme Sadghuru. Pour les Indiens, il est un maître spirituel, un sage, un être charismatique qui les inspire et leur ouvre la voie d'une nouvelle économie verte. Pour nous Occidentaux, il passerait volontiers pour un fou. Imaginez seulement un homme qui prend le pari de replanter 114 millions d'arbres d'ici à 2015, pour que le Tamil Nadu retrouve une couverture boisée de 33% de sa superficie. Imaginez encore qu'avec sa seule force de conviction, il puisse lever en masse les populations. Imaginez enfin que ce rêve impossible sera bientôt une réalité. Cette aventure, Jacques Rocher, président d'honneur de la Fondation Yves-Rocher, a voulu la partager. Conquis par l'ambition de Sadghuru de vouloir reverdir les déserts, cet entrepreneur, leader français de la cosmétique, s'est engagé à soutenir Green Hands à hauteur de 15 millions d'arbres. Ce jour-là, il peut observer avec satisfaction le résultat de son partenariat: en quelques minutes, près de 2 000 jeunes pousses viennent d'être offertes à la terre. Un bosquet, certes, mais l'effet multiplicateur de ces initiatives a déjà produit en quelques années des massifs forestiers entiers. 

Difficile aujourd'hui, quand on traverse ces paysages arides et décharnés, d'imaginer que le Tamil Nadu fut autrefois une terre vivante et verte. On dit même que les Tamils anciens vouaient une véritable vénération aux arbres qu'ils considéraient comme la demeure des esprits: le moindre abattage pouvait alors provoquer la colère d'une divinité et engendrer maladies, disettes ou mauvaises récoltes. Reste qu'à l'épreuve du temps, de la modernité et des récents caprices climatiques, les plaines, autrefois fertiles, se sont lentement appauvries jusqu'à mourir d'épuisement. Les forêts ont été coupées au hasard pour le bois de chauffage ou de construction, l'agriculture s'est nourrie d'engrais chimiques pour supporter artificiellement un sol sans vie, et la terre s'est alors couchée, nue, non protégée. Le soleil acide a fini de l'achever, l'a cuite, l'a laissée stérile

En 2004, quand le tsunami s'est abattu sur les côtes du Tamil Nadu comme pour parachever la malédiction, Sadghuru a compris l'urgence de la situation: «Si l'on continuait dans cette voie, il y aurait un peu moins de Tamil Nadu, un peu moins d'Inde, un peu moins de Terre. Il fallait réconcilier l'Homme avec la nature, lui qui avait divorcé de son propre sol.» Et de citer joyeusement le poète américain Robert Frost pour marquer sa prise de conscience: «Il y avait deux chemins devant moi, j'ai pris celui qui était le moins emprunté, et là, ma vie a commencé.»

Des arbres pour le bien-être de tous

Débute alors un vaste mouvement de sensibilisation avec des mots qui font mouche, dans un pays qui doit faire face aux enjeux conjoints d'une démographie galopante, du développement et de l'urbanisation. Le Tamil Nadu compte 64 millions d'habitants, vivant majoritairement dans les campagnes, pour une superficie d'à peine un quart celle de la France. Sadghuru prêche la bonne parole et parvient à capter l'écoute en démontrant que planter des arbres ne se résume pas à un seul acte angélique, mais contribuera d'abord au bien-être de tous. Les enfants? Ils deviennent ses premiers ambassadeurs grâce aux pépinières que certaines écoles acceptent de développer. Garçons et filles s'affirment dès lors comme les protecteurs des plants qu'ils font germer, qu'ils arrosent avec soin, qu'ils veillent, qu'ils voient pousser et s'élancer. Quant au monde paysan? Il pensait qu'avec l'adoption de la monoculture, l'arbre se muait en son pire ennemi, en plongeant ses racines dans les champs, en réduisant les surfaces agricoles, en étouffant les semences. Il deviendra son meilleur atout. Car l'arbre permet d'éviter l'érosion des sols, il restaure la qualité de la terre, et l'ombre qu'il projette permet d'abriter de nouvelles cultures, du soja, des poivriers, des légumineux donnant jusqu'à quatre récoltes par an. 
Sadghuru prend le contre-pied d'une monoculture intensive qui a appauvri les fermiers, et prône la polyculture, où l'arbre est roi, et les sources de revenus considérablement accrues. Le tout, en parfaite autosuffisance sans recourir aux pesticides. Une initiative que ne renierait sans doute pas Pierre Rabhi, penseur de la biodiversité et farouche défenseur de l'agro-écologie, quand il affirme que notre planète vit une période de transition «entre un ordre qui meurt et un avenir à inventer». Selon lui, notre lien à la terre est si intime, si vital qu'en matière d'agronomie, il faut en finir avec le règne destructeur du tout technique et de la productivité, et éviter ainsi le pillage du vivant par la surexploitation humaine.
 

850.000 arbres plantés en une journée

Les premières fermes modèles commencent à fleurir, le bouche-à-oreille se propage, l'enthousiasme gagne les coeurs, un élan inéluctable se dessine. C'est le moment que choisit Sadghuru pour frapper un grand coup. «La faiblesse de nos moyens est compensée par le nombre de nos bras», se plaît-il à préciser. En octobre 2006, il parvient à mobiliser des milliers de volontaires. En une seule journée, 850.000 arbres sont plantés aux quatre coins du Tamil Nadu: il entre dans le Guinness des records. En France, Jacques Rocher a eu vent de ce «miracle» indien. Il revient tout juste du Kenya où il a rencontré Wangari Maathai, prix Nobel de la paix aujourd'hui disparue. Cette protectrice de l'environnement s'érige en marraine de la reforestation sous l'égide de l'ONU. Par l'entremise de sa Fondation, Jacques Rocher promet de se battre à ses côtés et s'associe tout naturellement aux desseins du maître spirituel indien. «La démarche de Green Hands s'inscrit dans une démarche globale en associant les populations locales, les paysans et les écoles. 


Planter des arbres exige de s'inscrire dans le temps. Ici, les objectifs sont pharaoniques, mais réalistes. C'est pourquoi, nous accompagnons ces hommes et ces femmes dans leur action visionnaire.»Et c'est vrai que la planète vit aujourd'hui une situation de destruction massive de son milieu naturel. Chaque année, nous perdons 7,3 millions d'hectares boisés, la superficie du Portugal. Le phénomène a de quoi alarmer quand on sait que les forêts tropicales recouvrent 7 % de la superficie terrestre, et relâchent dans l'atmosphère 40% de l'oxygène que nous respirons. «Notre combat de replanter 50 millions d'arbres d'ici à fin 2015 peut sembler dérisoire aux yeux de certains, renchérit Jacques Rocher. Mais nous avons tous une responsabilité commune: soit on agit, soit on ne fait rien. Mon rôle consiste à transmettre une écologie positive de plaisir en touchant le coeur des gens: car l'arbre est symbole de pérennité et de transmission.»
À l'école de Bungalowpudur, ces enfants, assis par terre, côte à côte, en sont la preuve: ils remplissent des petits sachets de terre enrichie pour y planter une graine. Ce sont eux qui vont montrer le chemin aux générations futures. Plus de 600 établissements scolaires ont intégré ce projet de replantation dans leurs programmes. Chacun produit plus de 2 000 plants par année, pour une trentaine d'espèces qui seront diffusées dans tout le Tamil Nadu. Un effet multiplicateur qui permettra bientôt d'atteindre l'objectif promis.
 

Thengaraju fait partie des 24.000 paysans qui ont suivi les indications de Sadghuru. Les 7 000 bananiers, manguiers ou cocotiers plantés il y a trois ans commencent à donner leurs fruits. Ses revenus annuels ont quadruplé pour atteindre désormais près de 600.000 roupies (environ 8 500 euros), un joli pactole quand on sait que les salaires dépassent ici rarement les 1 000 euros par habitant et par an. Notre homme veut désormais transmettre le message aux autres fermiers: «Qu'ils aient conscience du résultat obtenu pour à leur tour prendre le le relais.»
 

Au nord du Tamil Nadu, à la frontière avec le Kerala, la réserve naturelle de Mandumalai abrite l'une des dernières forêts primaires de la région. Un espace réduit peuplé d'éléphants sauvages, de tigres et d'arbres millénaires. Un sanctuaire de la biodiversité, le vestige d'un monde ancien. Il était une fois un sage indien et un industriel français qui décidèrent d'unir leurs efforts pour reverdir la planète. Au nom de l'humanité et d'une certaine générosité. Contre le fatalisme et le catastrophisme. Ni l'un ni l'autre ne démentiraient les propos de Martin Luther King quand il déclara: «Si l'on m'apprenait que la fin du monde est pour demain, je planterais quand même un pommier.» Pour un ultime espoir... -

SOURCE : Cyril Drouhete