Interview d'Alfred Marie-Jeanne

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"La méthode n'était pas adaptée"

Dans une interview accordée au quotidien France-Antilles de ce jour, Alfred Marie-Jeanne s'exprime sur la grève générale et justifie son absence à la préfecture le jour de la signature des accords du 14 mars.   

Interview France-Antilles du 18 mars 2009 - réalisée par Gabriel Gallion ( diffusion avec l'autorisation de la Rédaction de F.A.) 

Après un mois de grève générale, vous semblez regretter votre implication dans les négociations ?

Mon implication allait de soi. J'ai engagé ces négociations en ma qualité de président du Conseil régional, mais aussi en tant que militant et syndicaliste. Cependant, après m'être fortement impliqué au début, j'ai choisi de quitter la table de négociations. A cela plusieurs raisons. Les revendications portées par le Collectif soulevaient des questions de vie quotidienne, auxquelles il pouvait être apporté des solutions immédiates. Dans le même temps, les questions de monopole, de formation de prix, d'emploi, d'inégalité sociale, d'identité supposaient des solutions qui ne pouvaient être dictées sans réflexion approfondie.
Cela d'autant plus que la crise, d'abord engagée sur des revendications économiques et syndicales, a très rapidement révélé une société ayant soif d'égalité, de reconnaissance. Avec pour corollaire, une plate forme de revendications qui s'adaptait aux doléances du Peuple en mouvement.
Il s'agissait donc d'une « grève de société » , devant mettre en scène l'ensemble des acteurs martiniquais, dans une logique de concertation, et non pas dans une logique d'affrontement, opposant syndicats et patronat. D'autre part, les sujets de fond évoqués, très complexes, devaient s'approcher de manière croisée. La méthode adoptée n'était pas adaptée. S'agissant de la précarité par exemple, au coeur de la revendication sociale, il me semble indispensable de réfléchir ensemble à un vrai plan de lutte contre la pauvreté, pour apporter une solution structurelle à cette question qui gangrène trop la société martiniquaise.
De même, il y a eu une grande absente au débat : la crise internationale. Nous avons feint de croire que nous vivons isolés dans un système étanche. Le tourbillon qui touche les plus grands pays et les plus grandes entreprises ne nous épargne pas. Pour toutes ces raisons, je me suis souvent senti étriqué dans mon costume de négociateur.

Le Conseil Régional s'est engagé sur le front des salaires du privé. Est-ce la vocation de la Collectivité de participer à des augmentations de salaires du secteur privé ?

Je vous l'ai dit, certaines revendications devaient s'approcher de manière croisée. On peut en effet difficilement détacher la question des salaires de la problématique de l'emploi.
Cette question de hausse des salaires du privé ne relève pas, en soi, de la compétence régionale. Mais il faut rappeler qu'en Martinique, 92% des entreprises sont de très petites entreprises. Et elles embauchent à elles seules près de la moitié des salariés martiniquais. Beaucoup de ces entreprises, qui sont fortement pourvoyeuses d'emplois, sont dans une situation financière délicate.
Je veux parler de l'agriculture, du tourisme par exemple. C'est ainsi que la Région a décidé de mettre en moyenne entre 20 et 55 euros pour constituer les 200 euros de salaires, justement dans ces petites entreprises.
L'accompagnement de la Collectivité Régionale se situe donc dans un double objectif social et économique : assurer un mieux être à une grande partie de la population, et garantir le maintien des emplois.
Cette initiative politique, qui peut paraître insolite, devrait permettre de consolider le tissu économique et le tissu productif. Mais je le concède, elle n'a de sens que si les employeurs jouent le jeu en maintenant les emplois existants, et que si les Martiniquais privilégient, dans leur logique de consommation, la production martiniquaise.

Comment allez-vous financer les 17 millions d'euros que vous avez engagés dans l'accord sur les salaires ?

Les engagements pris par la Collectivité ne se résument pas à la seule augmentation des salaires privés. Sur les autres points évoqués lors des négociations, j'ai d'ores et déjà arrêté le principe d'aider les petits agriculteurs, les transporteurs de matériaux, d'augmenter les actions pouvant permettre de réduire la consommation d'énergie, de financer les formations dans le domaine de l'éducation..., sans compter la baisse substantielle induite par la réduction du taux d'octroi de mer sur les produits de première nécessité.
Dans ce contexte général de baisse des prix, et fidèle à ma philosophie, je n'envisage pas une augmentation des impôts. Il faudra donc très sérieusement penser à une refonte du budget.
Je convoquerai dans les prochains jours une Assemblée plénière pour valider l'ensemble de ces points et pour trouver les pistes de financement.

Sur le dossier de la baisse des prix, vous avez décidé une baisse de l'octroi de mer de 4%. Aviez-vous mesuré au préalable l'impact global que l'accord signé avec 400 articles aurait sur le volume global de l'octroi de mer ?

Je tiens à vous rappeler que la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane fonctionnent au sein d'un marché unique, au sens européen du terme. La baisse décidée par le Conseil Régional de la Guadeloupe s'impose de facto à la Martinique. Si l'on veut éviter un détournement de trafic au profit de la Guadeloupe, les taux d'octroi de mer doivent être, autant que faire se peut, harmonisés.
Là où cela se complique, c'est que la baisse de certains produits envisagée en Guadeloupe risque de démanteler beaucoup de productions martiniquaises, jusque là protégées par des taux fixés volontairement à des niveaux élevés. C'est une logique que j'ai toujours privilégiée.
La négociation ne fait donc que commencer avec nos collègues de la Guadeloupe pour préserver nos intérêts. J'ai d'ores et déjà saisi le Président Lurel sur ce point. Il est en effet primordial de trouver tous les moyens permettant de conforter la production martiniquaise. L'évaluation de l'impact ne peut se faire que dans un second temps.

Vous avez connu une fin de première semaine plutôt difficile avec le Collectif. N'aviez-vous pas sous-estimé le mouvement social ?

Ce mouvement social a très rapidement mis en affrontement ceux qui ont trop et ceux qui n'ont rien, sur fond de terrain racial.
Il a également opposé ceux qui exercent et ceux qui n'exercent pas. Ceux qui produisent et ceux qui ne produisent pas.
Mais j'ai toujours soutenu qu'il y avait une attitude différenciée à adopter envers les chefs d'entreprises martiniquais. Derrière le mot « patronat » se cachent en effet des réalités disparates, qu'il faut prendre en considération si l'on ne veut pas menacer les plus petits.
D'ailleurs, le Collectif a vu venir ...puis repartir des petits patrons, convaincus de la justesse des revendications, mais refusant d'être embrassés dans une logique, qui trop globale, leur semblait suicidaire Une fois de plus, je redis que la méthode ne consistait pas, de manière classique, à opposer les uns aux autres. Mais à se mettre ensemble pour croiser les problématiques.
La fonction de médiation que j'ai privilégiée dès le début a consisté à rapprocher les parties, plutôt qu'à fustiger l'une ou l'autre, chacune constituant une composante ethnique, économique, sociale, indissociable du Tout que doit constituer la Martinique. Ce discours n'a pas toujours été entendu.
Dans la rue, beaucoup ont fait passer l'idée que vous avez cherché à « casser le balan » du Collectif ?
Très tôt, intégrant la complexité du mouvement, j'avais demandé que la négociation se phase en trois temps : la signature d'un préaccord sur les questions pouvant trouver une solution immédiate dans un premier temps, le travail en commission pour permettre l'échange et le partage mutuels des réflexions sur des problèmes de société dans un deuxième temps, et le relais législatif par les parlementaires sur des questions relevant de la compétence gouvernementale dans un troisième temps.
En effet, sur des sujets comme la culture, le logement, la santé, le foncier et bien d'autres encore, il nous appartenait en tant que Martiniquais de réfléchir ensemble pour tenter de trouver des solutions relevant de nos compétences ou de les faire, par voie législative ou toute autre voie, remonter à l'Etat.
Sur les questions immédiates de baisse des prix et de hausse des salaires, la pression, nécessaire dans tout conflit pour faire avancer les points de revendication, devait se maintenir. Sur les acteurs concernés. Mais pas sur la population. Au risque de la démobiliser ou de la démotiver. C'est en ce sens que j'avais demandé de « desserrer l'étau du carburant » , pour éviter les déboires sanitaires et sociaux que l'on sait. Je n'ai pas été suivi sur la méthode. Je le regrette d'autant plus que c'est cette méthode qui a été appliquée par la suite.
Il y aura des Etats Généraux dans quelques semaines. Quelle est la place maintenant du congrès des élus dans le calendrier qui se dessine pour les prochains mois ?
Et si ces Etats Généraux étaient prévus pour casser le balan de l'évolution institutionnelle arrêtée lors du Congrès du 18 décembre 2008 ? Depuis une dizaine d'années, les Martiniquais ont passé du temps à réfléchir à une transformation plus qualitative, sociale, économique, politique de la société martiniquaise. Cette méthode a permis d'identifier les problématiques évoquées par le Collectif, pour beaucoup déjà formulées dans le cadre du Schéma martiniquais de développement économique et de l'Agenda 21. Je saisirai, avec le Président Lise, le Président de la République pour le lui rappeler. Nous lui rappellerons que l'on ne peut négliger dans ces débats le rôle du Martiniquais, après une crise sociale révélant un tel malaise identitaire.
Il est impératif, dans ces conditions, que, dans la définition de la méthode comme du contenu, les Martiniquais soient aux commandes.
Par ailleurs, il est clair que les questions soulevées par la crise montrent de manière évidente qu'il y a un besoin d'adaptation des politiques de logement, de l'éducation, de la santé, de la culture.... C'est pourquoi nous suggérerons que la réflexion s'inscrive dans le cadre du processus de l'évolution institutionnelle initié par les collectivités régionale et départementale. Ces questions pourront être aisément portées au débat du congrès des élus.

Propos recueillis par Gabriel Gallion