INTERVIEW DE RAPHAËL CONFIANT POUR LA SORTIE DE SON SECOND POLAR

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« DU RIFIFI CHEZ LES FILS DE LA VEUVE », POLAR DE RAPHAEL CONFIANT

 

Raphaël Confiant vient de publier son deuxième roman policier chez CARAIBEDITIONS. Cet ouvrage, intitulé « Du rififi chez les Fils de la Veuve », est son deuxième dans un genre, le polar, assez peu fréquenté par les auteurs antillais. Il nous en parle…

 

LA TRIBUNE DES ANTILLES : Pour votre deuxième polar, votre détective privé Jack Teddyson, enquête dans le milieu de la franc-maçonnerie martiniquaise, pourquoi un tel choix ?



R. CONFIANT : Pratiquement aucun ouvrage de fiction martiniquais ne s’est intéressé jusqu’à présent à ce milieu, ce qui est un peu étrange étant donné le poids important de la franc-maçonnerie dans la société martiniquaise et cela dès le XIXe siècle. Dans le Saint-Pierre d’avant l’éruption de la montagne Pelée, par exemple, les loges maçonniques exerçaient une forte influence, occulte évidemment, dans tous les secteurs de la société, en particulier ceux de la politique et de l’économie. Les deux ethno-groupes dominants de cette époque, les Blancs créoles et les mulâtres, avaient chacun leurs loges. 


LA TRIBUNE DES ANTILLES : Ne serait-ce pas précisément ce côté occulte, voire opaque, qui a dissuadé les écrivains de prendre la franc-maçonnerie pour cadre de leurs récits ? Comment avez-vous procédé ? Etes-vous un « Fils de la Veuve » ?


R. CONFIANT : Pas du tout ! Je ne suis membre d’aucune confrérie maçonnique et aucun maçon ne m’a approché à ce jour pour tenter de m’y faire adhérer. Sans doute parce que je suis quelqu’un qui agit trop à visage découvert…Mais fort heureusement, j’ai des amis maçons auxquels j’ai pu soutirer, non sans mal à vrai dire, des informations précieuses. Sinon j’ai beaucoup lu tant sur la franc-maçonnerie martiniquaise que sur celles d’autres pays tels que la France et l’Angleterre. J’ai eu du mal au début à pénétrer dans les arcanes de ce milieu très fermé comme chacun sait, à comprendre leurs rituels ou leurs formules ésotériques, mais au fils du temps, tout cela a fini par me devenir familier.


LA TRIBUNE DES ANTILLES : Dans votre polar, « Du rififi chez les fils de la Veuve », deux vieux garçons franc-maçons cohabitent depuis des années, l’un Belmont étant un coureur de jupons, l’autre, Lafontant, un homme réservé, jusqu’au jour où leur servante, Jessie, est retrouvée assassinée dans leur appartement…


R. CONFIANT : Sans trop déflorer l’histoire, disons que Lafontant va s’accuser du meurtre de la jeune femme et sera condamné à quinze années de prison. Les experts psychiatres concluront à une crise de folie inexpliquée d’autant que Jessie a été non seulement lardée de dix-sept coups de couteau, mais elle a eu aussi les seins sectionnés. L’affaire semblait donc close quand mon détective, Jack Teddyson sera contacté par de mystérieux commanditaires qui lui demanderont de reprendre l’enquête, persuadés qu’ils sont que Lafontant est innocent.


LA TRIBUNE DES ANTILLES : Et ils lui demanderont d’investiguer au sein de la loge dont Belmont et Lafontant sont membres ?


R. CONFIANT : Exactement ! Teddyson doit alors se faire passer pour un maçon ayant longtemps vécu en Angleterre et rentré récemment à la Martinique pour pouvoir être admis dans leur loge. L’intéressant dans tout ça, c’est que durant une bonne partie de l’enquête notre détective privé ne saura pas qui sont les commanditaires de celle-ci tout en se doutant bien qu’ils sont membres de ladite loge et qu’il les côtoient donc à chaque « tenue ». « Tenue » étant le mot utilisé par les maçons pour désigner leurs réunions. Régulièrement, ces commanditaires, toujours masqués lorsqu’ils rencontrent Teddyson, et cela dans des lieux insolites comme le cimetière des riches à Fort-de-France, cela à minuit, lui demanderont de faire le point sur l’état d’avancement de l’enquête et lui paieront des honoraires. 


LA TRIBUNE DES ANTILLES : On retrouve dans ce deuxième polar des personnages déjà présents dans votre premier polar, « Citoyens au-dessus de tout soupçon » : Francelise, la compagne du détective Teddyson, qui cherche à tout prix à se faire épouser par lui, l’inspecteur Maxence du commissariat central de Fort-de-France, grand ami de Teddyson, qui lui fournit de temps à autre des tuyaux etc…A quoi renvoie un tel choix ?


R. CONFIANT : Dans mes romans classiques, je suis habitué à mettre en scène des personnages récurrents. J’ai donc repris la même technique dans mes romans policiers. Cela a pour effet de fidéliser le lecteur qui, en rencontrant un personnage qu’il connaît déjà, le découvre sous d’autres facettes, s’attache à lui ou le déteste. Cela crée une sorte de familiarité et renforce la nécessaire illusion romanesque sans laquelle aucun texte littéraire n’est crédible.


LA TRIBUNE DES ANTILLES : Ne craignez-vous pas qu’on vous fasse le reproche de misogynie ou d’érotomanie ? Il y a une vision de la gent féminine assez acerbe dans vos polars et quelques scènes que des esprits pudiques pourraient trouver trop érotiques.


R. CONFIANT : Je n’écris ni pour les enfants de douze ans ni pour les vierges effarouchées. Mon héros, Jack Teddyson, est quelqu’un d’assez déjanté, loufoque même par moment, qui, tout en aimant les femmes, éprouve la plus grande méfiance à leur endroit. Mais quand on lit attentivement, on se rend compte qu’il est souvent manipulé ou mené par le bout du nez alors même qu’il s’affiche en tant que macho. Toutefois, il y a dans « Du rififi chez les fils de la Veuve », un portrait de femme, celle de Jessie, la servante assassinée, qui devrait adoucir les critiques des féministes à mon endroit. Ha-ha-ha !...


LA TRIBUNE DES ANTILLES : L’humour justement est présent quasiment à chaque page de votre polar. Cherchez-vous à créer une forme de polar inédite, le polar hilarant ?


R. CONFIANT : Non, je cherche à créer une forme de polar à la créole, c’est-à-dire avec tout le côté chaotique, cacophonique, contradictoire, exubérant, implacable et tendre à la fois de la vie créole. Je crois que quel que soit le genre littéraire choisi, un écrivain antillais se doit de le nativiser, de le créoliser, sinon il s’expose à faire du duplicata littéraire.