Les questions raciales : le talon d'achille des États-Unis d'Amérique
La première fois que je me suis rendue compte de la complexité des questions raciales aux Etats-Unis, c’était il y a quinze ans. A l’université. Nouvellement arrivée sur cette terre gorgée d’opportunités, je n’ai vu qu’un pays apparemment terne dont le « melting pot » pratique garantissait un prêt à porter culturel dépourvu de passions.
En effet, l’un de mes profs confirma mes pressentiments quand, à travers une allocution savante, il nous parla des pères fondateurs des Etats-Unis, du fédéralisme, de l’individualisme tout puissant, de l’absence de Ministère de Culture et de Langue Officielle, et du fameux « We The People » qui, dans la Chartre fondamentale, place le citoyen en contrôle à part entière de son destin. J’étais sous le charme de ce pays mystérieux. Je n’arrêtais pas de demander aux gens que je rencontrais de définir pour moi le « Rêve Américain ; » et grande fut ma surprise de constater que le Rêve était aussi flou et indéterminé que l’Amérique elle-même. J’étais conquise. Ce que Ben Franklin appelait « the Great Experiment » m’avait gagnée à sa cause.
Aussi, je suis tombée des nues lors d’une petite fête avec des amis, des gens chantaient et fredonnaient leur chanson préférée, je leur dis que j’aimais Cabrel, Dion, Reno, Bryan Adams et les Jacksons pour ne citer que ceux-là, tous ceux qui étaient présents étaient surpris qu’une noire aimât ce genre de musique. Ce n’est que plusieurs années plus tard que je compris que la société homogène que mes yeux de néophyte fraichement débarquée d’Haïti voyaient, n’existait pas en réalité. Ce qui existait c’était un pays compartimenté dans lequel chaque sous-culture articulait sa vision des Etats-Unis dépendamment de son passé et de ses expériences et indépendamment des autres sous-cultures avec lesquelles elle partage ce vaste territoire.
En fait, la sous-culture détermine les prénoms des enfants, les zones géographiques, les écoles, les activités parascolaires, les programmes de télévision, la musique, le cinéma, et le futur auquel un enfant qui voit le jour aux Etats aspire. Par exemple, un noir se prénomme généralement GARRY alors qu’un blanc se prénommera GARY. Il en est de même de Derrick et de Derek. Ava, Emily, Sarah sont généralement attribués à des enfants blancs alors que Lakesha, Trumaine, Truhana constituent la chasse gardée des enfants noirs. En plus, les chances pour que Laskesha ne finisse pas l’école secondaire, tombe enceinte à un tres jeune âge, fréquente un mec qui a fait la prison et passe sa vie à élever des enfants sans père à l’aide de petits boulots sont très élevées. Tandis qu’Ava aura de fortes de chances de terminer l’école secondaire, de s’inscrire à l’université, de fonder une famille, toute chose restant égale par ailleurs. J’ai mis du temps à comprendre ces nuances.
Culture shock
Dans son livre The Measure of a Man, Sidney Poitier raconte la surprise et le choc qui l’ont traversé lors de ses premières rencontres avec la ségrégation aux Etats-Unis. En effet, quand vous êtes noir et que vous venez d’un pays non ségrégé culturellement, la ségrégation qui subsiste encore aux Etats-Unis sera l’une des choses les plus ambigües auxquelles vous aurez à faire face. C’est comme une ligne invisible qui borne vos aspirations et qui détermine vos choix. Malheureusement c’est une gangrène qui ronge encore l’Amérique au 21eme siècle.
J’ai un problème avec la façon dont la presse, subtilement mais fermement, renforce ces clivages et ces stéréotypes au détriment des Afro-Américains. Et là où le bât blesse c’est quand des producteurs noirs empruntent ces mêmes sentiers battus sans se rendre compte du mal qu’ils infligent aux jeunes gens noirs qui les adulent et qui ingurgitent les messages subliminaux que véhiculent leurs films, feuilletons, séries, musiques, etc. A ce sujet, je pense que Tyler Perry est la pire chose qui puisse arriver aux Afro-Américains.
Barack Obama
A bien des égards, c’est une chance de pouvoir chevaucher plusieurs mondes en même temps, ou du moins, c’est un régal de pouvoir expérimenter le même monde à des moments différents de son histoire. C’est toujours une aventure pour l’observateur de découvrir que la réalité observée n’a pas été la seule à changer, et que ses yeux d’observateurs ont muri entretemps.
En 2008, je retournais aux Etats-Unis au moment où Barrack Obama disputaient des primaires assez serrés avec plusieurs autres candidats du Parti Démocrate, et tous les sondages plaçaient Hilary Clinton en meilleure position pour s’assurer la nomination de son parti. Je ne connaissais Obama ni en noir ni en blanc, et comme tout le monde je pensais que celui-ci faisait piètre figure auprès de l’étoile rayonnante de Clinton. Heureusement pour moi que j’ai eu la chance de me retrouver à Iowa quand la marée de jeunes gens et de jeunes filles, allaient de porte en porte pour faire campagne pour Obama. J’ai eu de la peine à reconnaitre le même Iowa qui en 1998 m’avait accueillie en tant qu’étudiante. En 10 ans, un état avec seulement 2% de noirs était sur le point de permettre à Obama de se définir comme un contestant de poids dans la course présidentielle. C’était inouï !
Une dame avec qui je conversais me dit que « ce qui est un plus pour Obama c’est que, contrairement à Jesse Jackson, il est mainstream. ». En effet, Obama gagnera plus tard les élections parce que d’aucuns verront en lui un être humain hybride qui peut naviguer plusieurs compartiments à la fois sans se réclamer d’aucune sous-culture en particulier.
J’étais si fière d’habiter les Etats-Unis !
Travyon Martin
Ce qui rend le cas Zimmerman si délicat c’est qu’en plus du meurtre de Travyon Martin, toutes les vieilles et importantes questions de port d’armes, de « protéger votre Territoire (Stand Your Ground) », et de préjudices sont revenues sur le tapis. Et personne ne sait si le verdict qui a acquitté Zimmerman et mobilisé le monde entier va mettre fin à ces genres de meurtre ou si c’est tout simplement le feu vert pour abattre les jeunes noirs aux airs suspects.
Les libertés (d’expression, de rassemblement, de religion) et droits (à la liberté, à la vie, à la « poursuite du bonheur » dont sont garantes les institutions républicaines ne semblent pas avoir trouvé leur expression dans le verdict auquel les six jurés sont arrivés. Il y a lieu pour tous les noirs aux Etats-Unis d’être inquiets.
Avec l’extrême droite aussi puissante, une presse assujettie à l’argent, et l’internet qui permet à tous de vociférer leur hargne, il est à la fois ahurissant et inquiétant de faire l’expérience de ce à quoi un Etat de droit ressemble.
Pascale Doresca
22 juillet 2013
SOURCE : ToutHaïti.COM