LA MANIPULATION DES REVES DANS LE FILM INCEPTION AU CRIBLE SCIENTIFIQUE

Inception : Peut-on être conscient que l'on rêve ?

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Le blockbuster américain Inception est en tête des box-offices à travers le monde depuis sa sortie (le 16 juillet aux Etats-Unis et le 21 juillet en France). Centré sur le rêve, un thème souvent abordé au cinéma, il contient une multitude d’idées reçues plus ou moins répandues sur la nature des rêves, leur lien à la réalité ou encore la relation entre le rêveur et son rêve. L’image du rêve humain décrite dans Inception correspond-elle à ce que la science sait de ce domaine, où il reste encore beaucoup de mystères à élucider? Pour le savoir, voici les différents postulats du film décortiqués et passés au crible 

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1. Les personnages d’Inception sont capables de maîtriser leurs rêves, ou en tous cas leurs propres actions dans un rêve, et même de créer les décors d’un rêve. Est-il possible de maîtriser son propre rêve?

Une des principales différences entre le rêve et la réalité est le manque de contrôle: on n’a pas le sentiment de décider dans un rêve, on est passif devant les évènements. Il existe néanmoins toute une théorie du rêve lucide, autrement dit le fait d’avoir conscience d’être en train de rêver. Dans un ouvrage intitulé Exploring the World of Lucid Dreaming, Stephen LaBerge et Howard Rheingold détaillent une méthode pour parvenir à «se réveiller dans son rêve», et même à en contrôler certains aspects. D’après ce livre, de nombreux rêveurs lucides ont raconté pouvoir voler à volonté; d'autres décrivent une sensation d'euphorie et de bien-être. Une femme a affirmé que son premier rêve lucide lui avait procuré «la sensation délicieuse [et de plus en plus forte] de se fondre dans les couleurs et la lumière, avec un final digne du meilleur orgasme

Les sceptiques avancent que la seule manière de connaître le contenu d’un rêve est à travers ce que le rêveur rapporte après s’être réveillé, et qu’il est donc très difficile de savoir si quelqu’un maîtrise vraiment son rêve. A l’éveil, les techniques d’imagerie permettent dans une certaine mesure de savoir à quoi on pense. Théoriquement, on peut faire la même chose pendant le sommeil et les rêves car c’est aussi un état où les pensées ont un contenu déterminé. La différence est qu’à l’état d’éveil on peut parfaitement contrôler ce à quoi le sujet est en train de penser, alors que dans le rêve il est très difficile de contraindre les pensées possibles et donc de décoder leur contenu.

Néanmoins, la possibilité du rêve lucide a été prouvée scientifiquement dans les années 70 grâce à l’enregistrement de signaux préétablis envoyés volontairement par les sujets depuis l’état de rêve: les mouvements des yeux. Keith Hearne de l’université de Hull a été le premier à réussir une telle expérience en 1975, en demandant à son sujet de bouger les yeux de gauche à droite huit fois d’affilée alors qu’il rêvait. Un journaliste de slate.com a tenté de suivre la méthode de LaBerge et Rheingold et a réussi, au bout de plusieurs semaines d’entraînement, à se rendre compte qu’il rêvait pendant un songe et même à s’envoler volontairement dans son rêve.

 

2. Le postulat de base du film de Christopher Nolan est simple: une équipe de personnes, menée par Dom Cobb (joué par Leonardo di Caprio), a réussi à maîtriser l’art de rentrer dans les rêves d’autrui afin de dévoiler ses secrets les plus profonds, et même d’influencer ses rêves. Est-il possible d’influencer les rêves de quelqu’un d’autre?

On peut avoir une influence, mais de manière très limitée sur les rêves de quelqu’un d’autre. On retrouve dans les rêves des éléments fragmentés de l’expérience réelle. Il est très rare qu’il s’agisse d’une histoire entière qui apparaisse dans le rêve. Il s’agit plutôt d’images qui sont recyclées. Quand on présente des choses à quelqu’un avant qu’il s’endorme, il y a une chance pour que des fragments réapparaissent dans ses rêves. Mais on ne peut pas réellement contrôler ce qui se passe dans les rêves.

En revanche, il a été prouvé que l’on mémorise mieux les choses que l’on a apprises avant de dormir. Des études sur les rats vont également dans ce sens: on fait parcourir à un rat un trajet bien défini dans un labyrinthe pendant qu’il est éveillé, et on est capable de suivre le circuit qu’il parcourt en observant ses neurones dans son hippocampe, une sorte de GPS. Quand le rat dort, on observe les mêmes réactions dans son hippocampe, ce qui donne à penser que le rat rejoue pendant son sommeil le parcours qu’il a fait avant. Cela ne veut pas dire qu’il rêve ou que l’on influe sur son rêve, mais qu’il recrée un parcours vécu dans son sommeil.

 

3. Les protagonistes du film utilisent un petit artefact, une toupie dans le cas du personnage de Leonardo di Caprio, pour savoir s’ils sont dans un rêve ou dans la réalité. Peut-on savoir quand on est dans un rêve?

L’état de rêve est un état conscient et ressemble beaucoup à l’état de veille conscient. Dans un rêve, on voit, on entend, on fait des choses, il y a une narration etc... L’activité du cerveau pendant le sommeil paradoxal ou REM (là où la plupart des rêves se produit), est proche de celle à l’état de veille, le cerveau est très actif. Mais la conscience de soi est une des différences entre l’état de sommeil et celui d’éveil.

Néanmoins, il est possible de s’entraîner à prendre conscience dans ses rêves. Pour reprendre la méthode de LaBerge et Rheingold, la deuxième étape de la maîtrise du rêve lucide consiste à «identifier les marqueurs de rêve et effectuer des tests de réalité.» En théorie, pour apprendre à faire entrer la conscience dans les songes, il faut prendre l'habitude de se demander si l'on est en état de veille ou de sommeil. Le but est que cette question devienne un réflexe, notamment dans les situations absurdes ou surréalistes, dont les rêves sont friands. À force, la question est censée se poser quand on dort. Si l'on rêve souvent d'ascenseur, il faut effectuer un test de réalité à chaque fois que l'on se trouve, éveillé, dans un ascenseur, ce afin d'augmenter ses chances de faire la même chose quand ce marqueur apparaît dans un rêve.

 

4. Dans Inception, on fait chuter une personne dans une baignoire pour la réveiller, et cela se traduit par un torrent d’eau qui apparaît dans le rêve. Les éléments extérieurs influent-ils sur le rêve?

Le fait d’être arrosé par de l’eau ou d’avoir un bras qui est comprimé peut entrer dans le contenu du rêve, y faire intrusion. Une des explications possibles à cela est notre instinct de survie animal: un animal qui ne réagirait à rien lors de son sommeil serait en grand danger, il doit pouvoir se réveiller s’il y a vraiment un évènement menaçant. Autre exemple: on ne tombe pas de son lit en temps normal alors qu’on bouge lors du sommeil, ce qui veut probablement dire que l’on perçoit les bords du lit et qu’on rectifie notre position de manière quasi-automatique.

 

5. Dans Inception, Dom Cobb est hanté par des rêves récurrents de sa défunte épouse. Les rêves récurrents ont-ils une signification particulière?

Sur ce point là, les rêves ne sont pas différents des pensées d’éveil. De la même manière qu’on a des pensées récurrentes, on a des rêves récurrents. Ils reflètent ce que l’on a dans la tête. On retrouve les anxiétés et les peurs d’une personne à l’éveil mais également dans le sommeil. Le contenu des pensées du rêve dépend de qui vous êtes.

 

6. Dans le film, le temps passe beaucoup plus vite dans les rêves que dans la réalité, ce qui donne aux personnages le temps d'effectuer de nombreuses actions au cours d'un rêve relativement court. Le temps passe-t-il vraiment plus vite dans les rêves? 

Non. Des études ont corrélé la durée des aventures racontées par les rêveurs avec la durée objective pendant laquelle ils ont été plongés dans cet état de sommeil REM. Les chercheurs allemands Daniel Erlacher et Michael Schredl ont ainsi réussi à montrer que le temps nécessaire pour compter dans un rêve est le même que celui nécessaire pour compter éveillé. Pour ce faire, ils ont demandé à des rêveurs lucides de compter de 21 à 25 dans leur rêve et d’envoyer des signaux par des mouvements d’yeux au début et à la fin de l’opération. Le laps de temps entre les deux signaux a ensuite été comparé au temps qu’il faut pour compter de 21 à  25 à l’état d’éveil. Avec la même méthode, ils ont trouvé qu’effectuer des flexions prend même plus de temps dans un rêve que dans la réalité.

Autre indication, on a remarqué que chez les personnes atteintes de troubles du comportement en sommeil paradoxal (REM sleep behavior disorder, ou TSCP), une pathologie où le rêveur adopte des comportements involontaires qui sont souvent en rapport avec le contenu du rêve et effectue les gestes dont il rêve, donne des coups, crie ou encore gesticule, la chronologie des actions réelles correspondait plus ou moins à celle du rêve qui est raconté.

Grégoire Fleurot

L’explication remercie Laurent Cohen, professeur de neurologie à l’hôpital de la Pitié Salpetrière.

SOURCE : Slake.fr