Augustin Valbon est un écrivain raté. Il vit à Fort-de-France dans le quartier mal famé des Terres-Sainvilles. Autour de lui gravitent Lisette, danseuse vedette du «Tango-bar», le sorcier Grand Z’Ongles, le fier-à-bras Bec-en-or. Valbon fréquente aussi le quartier huppé de l’En-Ville où il côtoie une sorte de Bohème tropicale, poètes romantiques, symbolistes ou parnassiens qui cuvent leur rhum et leur ennui au premier étage de l’Hôtel «Impératrice»...
La jarre que découvre Augustin Valbon a une longue histoire… Aux Antilles, au temps de l’esclavage, les riches planteurs Békés craignant des révoltes nègres enterraient leur fortune (argenterie, bijoux, louis d’or) dans des jarres dans un lieu tenu secret. L’esclave qui avait creusé le trou était aussitôt exécuté et enterré à côté du trésor dont il devenait le gardien. On retrouvait parfois ces jarres des décennies plus tard. Dans les années 1950-60, le bruit courut dans les veillées mortuaires du Nord de la Martinique qu’une de ces jarres contenait des livres, parmi lesquels un mystérieux Traité des quatre-vingt dix pouvoir des morts. Le posséder garantissait la vie éternelle… Le fameux livre se trouve-t-il dans la jarre déterrée par Augustin? Cette découverte est-elle bien réelle: s’agit-il d’un miracle ou d’une diablerie?
Aventure initiatique où se mêlent les croyances multiples des Antillais et méditation sur la mort, La jarre d’or est aussi une réflexion sur le mystère de l’écriture et la condition de l’écrivain dans une culture dominée par l’oralité.
Entrevue de Raphaël Confiant publiée sur le quotidien «France-Antilles» du 25 septembre 2010.
Le quotidien «France-Antilles», dans son édition de la Martinique du 25 septembre dernier, a interviewer Raphaël Confiant à propos de son dernier roman «LA JARRE D’OR» aux éditions Mercure de France. Elle a été réalisée par Rodolf Etienne…
FRANCE-ANTILLES: La critique patentée dit déjà de «LA JARRE D’OR» qu’il est votre meilleur livre. Qu’en est-il?
R. CONFIANT: C’est une question à laquelle aucun écivain ne peut répondre. C’est aux lecteurs de juger! D’autant qu’une fois publié, je n’ai jamais réussi à relire aucun de mes livres car je perçois tout de suite les erreurs ou les maladresses. C’est assez frustrant d’ailleurs.
Vous êtes de ceux qui luttent pour la préservation du patrimoine immatériel créole. Avec ce roman, êtes-vous dans votre thématique favorite?
Je suis content de voir émerger chez nous cette notion de patrimoine immatériel car on nous a trop longtemps enseigné à n’admirer que des choses comme le palais de Versailles, les pyramides ou le Taj Mahal. C’est vrai que notre société créole n’a pas produit beaucoup de monuments matériels, mais au niveau des créations immatérielles, elle est tout simplement d’une richesse inouïe. À nous maintenant de les inventorier et de les valoriser! Je crois savoir qu’il y a des gens qui se battent pour faire reconnaître le «bèlè» et le conte créole comme patrimoine de l’humanité. C’est une excellente chose!
Vous avez fait des recherches sur le magico-religieux (fond du roman). Ce livre est-il le fruit de ces recherches?
Je ne me suis jamais enfermé dans la littérature pure et dure. L’histoire, l’ethnologie, la sociologie, la linguistique etc… ont toujours irrigué mon travail d’écrivain. Donc oui, j’ai fait quelques recherches sur le magico-religieux créole, notamment une étude sur le métier si peu connu de fossoyeur. Mais je distingue tout de même la fiction littéraire du travail de type universitaire. «La Jarre d’Or» est bien un roman au plein sens du terme! Il ne s’agit pas d’un traité savant.
Le mythe de la jarre d’or est réactualisé avec ce roman et en même temps tout un pan de notre histoire disparue…Finalement, vous faites œuvre d’historien dans ce roman comme dans beaucoup d’autres?
En fait, pour ce roman, j’ai tenté de détourner la mythologie créole, celle qui veut que les Békés enterraient sur leurs plantations des jarres d’or. Dans mon roman, il s’agit non pas d’or, mais de livres. D’une jarre contenant des livres précieux! Un jeune écrivain s’efforce de la retrouver dans l’espoir que cela lui permettra de débloquer son écriture. Mythologie et histoire sont donc mêlées et réutilisées au service de la fiction.
Vous dites analyser «la condition de l’écrivain dans une culture dominée par l’oralité». Vous dites également que ce roman est «une réflexion sur le mythe de l’écriture». Pouvez-vous nous expliquer ces deux positions?
Il y a eu dans notre culture créole le mythe du «vié liv», celui qui donne à son propriétaire des pouvoirs extraordinaires. L’oralité a donc été très longtemps dominante, mais elle était comme travaillée secrètement par un désir d’écriture. N’oublions pas que le Code Noir (1685) interdisait aux maîtres d’apprendre à lire et à écrire à leurs esclaves ! Pour ces derniers, l’écriture relevait donc à la fois du mystère et du pouvoir. C’est cela que j’explore dans «La Jarre d’Or».
(propos recueillis par Rodolf Etienne)