Martinique : Liberté douce-amère
| 30.06.10. In Le Monde.fr
Exposition à Paris : la Fondation Clément propose l' exposition “3x3” qui présente les travaux de trois artistes antillais (deux Martiniquais, un Haïtien) dans trois galeries différentes : Bruno Pédurand, Ernest Breteleur, David Damoison. Jusqu'au 15 juillet 2010. Programme sur www.fondation-clement.org
Le Tour de la Martinique des yoles rondes
En Guadeloupe, l'événement sportif de l'année est le Tour cycliste, équivalent local du Tour de France. La Martinique, elle, possède son Tour des yoles rondes, qui a lieu tous les ans, entre la fin du mois de juillet et le début du mois d'août. Véritable phénomène de société, cet événement fait l'objet d'un engouement qui a pris une ampleur considérable ces dernière années. Embarcations traditionnelles, les yoles rondes sont des canots de 10,50 m, sans quille, avec une pagaie en guise de gouvernail. Elles sont donc particulièrement difficiles à manoeuvrer.
Les quatorze équipiers son accrochés en l'air à des perches pour faire contrepoids à la voile de 80m2. Cet exploit physique s'accompagne d'autres difficultés : ne pas entrer en collision avec la horde des suiveurs qui accompagnent le Tour à bord de scooters de mer.
Jardin de Balata : situé à vingt minutes de Fort-de-France, on atteint ce jardin botanique enchanteur par la route de la Trace, l'une des plus belles de l'île. Sur place, une profusion de plantes et d'arbres tropicaux rapportés du monde entier dominent une vallée verte qui tombe à pic. Tapis d'anthuriums, d'hibiscus, de bégonias de balisiers, au milieu desquels s'élèvent des fougères arborescentes, le tout savamment disposé de part et d'autre d'un parcours qui s'effectue en trente minutes. C'est beau et apaisant. On comprend pourquoi Balata est l'une des principales attractions de l'île.
Accès : de la rocade de Fort-de- France, prendre la N3 direction le Morne-Rouge. Le Jardin se trouve à 10 km environ.
Tél. 05 96 64 48 73.
Une soirée au Ghetto : ce modeste restaurant est aussi une galerie d'art et se conçoit comme un espace culturel créole où l'on mange un bonne cuisine locale avec la possibilité d'admirer les oeuvres d'artistes du cru. Mais surtout on y passe des soirées musicales où des musiciens font swinguer au rythme des Caraïbes. Nombreuses soirées dédiées à Eugène Mona, le dépositaire du patrimoine musical martiniquais décédé en 1991.
Le Marigot
Tél. 05 96 53 50 09
Plongée en Martinique : une association de quatorze centres professionnels sur la côte ouest propose un Pass Madinina (chéquier-plongées) : dix plongées pour 376€.
Tél. 06 96 24 39 45.
Découvrir le nord de la Martinique : le réseau Tak-Tak permet aux groupes de découvrir le nord de la Martinique, moins touristique que le sud.
SUR INTERNET
Aimé Césaire parle de l'esclavage
www.parolesdesclavage.com/sitefr
A LIRE
Paul Butel, “Histoire des Antilles françaises”, éd. Perrin, 11 €. C'est la seule histoire complète des Antilles disponible en poche. Elle s'ouvre sous Louis XIII par la saga des pionniers, à la fois explorateurs et entrepreneurs, se poursuit par la révolte des esclaves en 1791 et l'abolition de l'esclavage en 1848, et, enfin, s'achève en 1946. La Martinique et la Guadeloupe mais également la Guyane et la Réunion obtiennent alors (tardivement) le statut de département et la reconnaissance de leur citoyenneté pleine et entière au sein de la République française. Professeur émérite d'histoire moderne à Bordeaux, Paul Butel a également signé "Les Caraïbes au temps des flibustiers".
Michel Leiris : “Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe”. Publié en 1955 à la suite de deux voyages d'étude sur place. L'ouvrage est épuisé, hélas non réédité mais disponible en PDF sur Internet. Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe, de Michel Leiris, rend compte de la complexité des structures sociales et des mentalités antillaises. Plus d'une demi-siècle après, l'essentiel du texte reste d'actualité.
Raphaël Confiant, “Le Nègre et l'Amiral”, Le Livre de poche, 6,50€ Sous la plume du chantre de la créolité, ce roman désormais classique est riche en personnages hauts en couleurs. Il reconstitue l'atmosphère tragicomique qui régnait sur l'île pendant le régime vichyste dirigée par l'amiral Robert. Une oeuvre savoureuse signée par le “Gabriel García Márquez des Antilles françaises”.
Roland Hugo
LA FAMILLE MATRIFOCALE AU COEUR DE LA MARTINIQUE
Mère courage et père absent, c'est la particularité des familles martiniquaises, dénommées familles “matrifocales”. Analyses et conséquences avec Viviana Romana, ethnopsychiatre antillaise.
Connaissez-vous la famille “matrifocale” ? Ce concept désigne un certain type d'organisation familiale qui prévaut dans les Caraïbes. Il se définit par la place centrale qu'occupe la mère au foyer et l'absence du père. Il est au coeur du travail de l'Antillaise Viviane Romana, docteur en psychologie à Paris, qui anime à Paris une consultation d'ethnopsychiatrie, une discipline qui prend en compte l'origine socioculturelle des patients.
Sa clientèle est constituée d'hommes et de femmes antillais “impactés” par l'histoire de l'esclavage, mais également d'immigrés confrontés à des difficultés d'intégration en France métropolitaine.
“Je me suis rendue compte qu'aux Antilles les relations homme-femme sont conflictuelles. L'instabilité affective des couples et la précarité du lien conjugal révèlent avant tout les dysfonctionnements d'une organisation familiale née de l'esclavage”, explique cette disciple du psychiatre Tobie Nathan, le représentant le plus connu de l'ethnopsychiatrie en France.
Schématiquement, la famille antillaise repose sur un personnage : la mère dont la force garantit l'équilibre familial. Cette famille, qualifiée de “matrifocale”, est structurée autour de la mère ou de la grand-mère. “Les hommes sont généralement absents, pointe Romana, car souvent de passage.
Ils engrossent et ils partent, encore soumis malgré eux à l'article 12 du Code Noir, lequel stipule : les enfants qui naîtront de mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des maîtres différents.”
Dans le dispositif matrifocal, la mère est décrite comme un être exceptionnel, forçant l'admiration de tous par son courage et sa force à affronter une situation économique souvent précaire tandis que l'homme se distingue par son irresponsabilité, son machisme, son donjuanisme, son alcoolisme.
Pour se convaincre de la prégnance de l'histoire de l'esclavage sur les schémas mentaux – souvent inconscients – en place aux Antilles, il faut tenter de se représenter ce que serait le fait d'avoir des aïeux esclaves.
“Imaginez une seconde qu'en remontant seulement cinq générations tous vos ascendants ont vécu le pire des avilissements”, lance Viviane Romana pour qui être un descendant d'esclave est extrêmement lourd et complexe à porter. “Nombre de mes patients ont le sentiment de porter cet héritage dégradant au fond d'eux. Cela leur pose des difficultés psychologiques. Certains Noirs ont des diffi cultés à établir une relation normale et naturelle avec les Blancs, qui sont pourtant loin d'être tous des racistes. La société est encore marquée par le schéma ancien qui assignait à chacun – Blanc, Noir ou Mulâtre – une place précise. Dans ce cadre, le Blanc reste au sommet de la hiérarchie.”
Pour saisir ce qui se joue dans les rapports sociaux aux Antilles, la grille de lecture proposée par l'ethnopsychiatrie est particulièrement utile. La société reste en effet marquée par des tensions latentes et des affrontements sousjacents qui puisent leurs racines dans l'histoire. Au moindre conflit social, cellesci remontent à la surface. Cependant, et pour ajouter à la complexité, les rapports des Békés avec le reste de la population ne sont pas forcément toujours antagonistes. “En Martinique, il existe une relation de proximité, voire d'intimité, entre le Béké et le Noir, qui provient du voisinage qui existait entre le maître et l'esclave, sur la même terre. Les Noirs et Békés sont également créoles et appartiennent au même sol, à la même histoire. Et ils parlent la même langue : le créole.”
Chronologie
1671 : L'esclavage s'intensifie avec les cultures de cannes.
1685 : Le Code Noir de Colbert réglemente devoirs et châtiments.
1793 : La Convention vote l'abolition de l'esclavage.
27 avril 1848 : Le Décret d'émancipation est signé à Paris.
2009 : Grève contre “la profitation” du 5 février au 14 mars.
2010 : Référendums sur l'évolution statutaire.