Le travail du dimanche est devenu, à tort, le seul totem à abattre de la loi Macron. Pourtant, cette loi fourre-tout s’attaque à bien d’autres questions que l’on évacue un peu trop rapidement.
Si le travail du dimanche cristallise autant le débat public, c’est qu’il exprime trois renoncements de François Hollande et de la gauche.
Le premier d’entre eux est la mise aux oubliettes d’un engagement du candidat Hollande, datant d’avril 2012, quand il sacralisa le repos dominical avec des accents à la Jaurès. Cette promesse vite oubliée tourne aujourd’hui en boucle sur les écrans, rappelant amèrement à l’électorat de gauche comment il a été berné.
Ce rappel vaut aussi pour la méthode : aucun « dialogue social » n’a été organisé sur le sujet. Cette loi est imposée aux partenaires sociaux de manière autoritaire, en contradiction avec l’engagement du Président.
Même si une partie de cette loi visait des privilèges et des rentes, comme ceux des huissiers et des notaires, le manque de concertation et d’association du ministère de la Justice à la réforme de ces professions qui sont sous sa tutelle en dit long sur la fuite en avant d’un gouvernement aux abois.
Le détricotage du code du travail
Le deuxième renoncement réside dans le détricotage continu du code du travail : pas une semaine sans que, par la voix du Medef ou d’un ministre, cette volonté acharnée d’en finir avec des droits et des avancées sociales ne se traduise par un assaut répété.
Ainsi des prud’hommes, dont le rôle avait déjà été affaibli par la suppression des élections permettant aux salariés de choisir leurs juges. Le prétexte invoqué est toujours le même : la compétence et la neutralité supposées de juges indépendants. Cette contre-réforme transformera les conseillers issus du monde du travail en simples auxiliaires de juges professionnels. Dans la même loi Macron, la remise en cause du rôle et des fonctions des inspecteurs du travail renforce cette tendance lourde.
La médecine du travail est également attaquée. La loi prévoit en effet de supprimer une partie des visites obligatoires, qui avaient déjà été espacées en 2012 et d’interdire aux médecins du travail de rendre des avis d’aptitude avec réserves, qui obligent les employeurs à adapter le poste de travail à l’état de santé du salarié.
D’autres atteintes aux droits fondamentaux sont aussi annoncées dans cette loi comme, par exemple, l’extension des dérogations pour affecter des mineurs aux travaux dangereux. Une simple déclaration suffira pour faire travailler les jeunes sur des presses ou des machines à bois.
Refuser de perdre sa vie à la gagner
Le troisième renoncement, sans doute le plus grave, tient dans ce refus de construire une société du bien vivre et du vivre ensemble. La sortie de Martine Aubry, qui fait du travail de dimanche un choix de civilisation, est totalement justifiée.
Pour les écologistes, la vie, ce n’est pas l’aliénation par le travail et l’abrutissement par la consommation. Ce « modèle » asiatique ou américain, dont on nous rebat les oreilles du matin au soir et du soir au matin, a été combattu par nos aïeux, nos grands-parents et nos parents.
Dès la naissance du mouvement ouvrier, réduire le temps de travail, gagner du temps pour vivre pleinement sa vie avec sa famille et ses proches, a été un idéal pour ceux qui, syndicats, bourses du travail, partis politiques, défendaient les travailleurs. La journée de huit heures, les congés payés, la retraite à soixante ans, les 35 heures, ont été les jalons de l’émancipation sociale.
Les écologistes se sont toujours situés dans cette perspective. Refuser de perdre sa vie à la gagner, s’épanouir dans et hors du travail, vivre mieux… Autant d’objectifs qui ont constitué les fondamentaux de la gauche et de l’écologie. De même, l’aspiration à une ville plus équilibrée où le commerce de proximité revivifie le tissu social et contrebalance le poids étouffant des hypermarchés, est une constante d’un projet de société.
Des contre-réformes
Le travail du dimanche, c’est la fin d’une qualité de vie en ville où tout est remplacé soit par des méga-centres commerciaux soit par leurs homologues virtuels. La question n’est pas le marchandage sur le nombre de dimanches ouverts, 5 ,7 ou 12, mais de savoir si, au nom d’une « croissance » illusoire, nous adoptons un style de vie fondé sur la marchandisation de chacun de nos gestes sociaux.
Nous l’avons souvent dit dans cette chronique et nous le répétons à dessein : ce que l’on présente comme des réformes ne sont que des contre-réformes qui, au nom de la mondialisation, veulent nous ramener au rapport de forces entre le travail et le capital tel qu’il s’exprimait il y 150 ans.
Ces contre-réformes trouvent leur source chez les mêmes inspirateurs : les divers rapports remis par les commissions successives, avec les mêmes technocrates et idéologues libéraux et sociaux-libéraux, d’Alain Minc à Jacques Attali.
Dès 1959, la commission Rueff-Armand, mise en place par de Gaulle et Michel Debré, rédigera des rapports élaborés en petit comités pour « moderniser la France » à marche forcée. Ce style de gouvernance fondé sur la connivence entre technocrates issus des grandes écoles et de l’ENA, est propre à la Ve République qui a vu la Parlement et les corps intermédiaires systématiquement dévalorisés et « ringardisés ».
En 2008, la commission pour la Libération de la croissance française, dite commission Attali car présidée par ce dernier, a remis un rapport à Nicolas Sarkozy qui, aussitôt effrayé par ses conséquences sociales, s’empressa de le mettre au placard… Qui était le rapporteur de cette commission qui osa proposer la suppression du principe de précaution ? Emmanuel Macron.
Le ministre de l’Economie ne fait que prolonger son travail par une loi qui, de fait, renforce la dénonciation populiste de Marine Le Pen, selon laquelle l’« UMPS » gouvernerait la France indépendamment des alternances électorales.
En voulant faire voter sa loi avant les élections départementales, ce gouvernement a décidément l’art et la manière de se suicider en direct. Faut-il, pour autant, que sa majorité le suive dans cette voie ? Ce ne sera pas notre cas.
Noël Mamère in Rue89