L’hommage littéraire de Raphaël Confiant au "Bataillon créole" de la Grande guerre
Dans son nouveau livre, le romancier martiniquais Raphaël Confiant revient sur un aspect peu connu de l’histoire. Celui de ces Antillais qui s'engagèrent volontairement au sein du « Bataillon créole » pour défendre la « mère patrie » durant la guerre de 14-18. Interview.
Lors de la guerre de 14-18, des milliers de soldats antillais, guyanais et réunionnais se sont enrôlés pour combattre les troupes allemandes dans la Somme, la Marne, à Verdun et sur les autres fronts de la Grande guerre. Raphaël Confiant raconte dans son nouvel ouvrage les épreuves de ces Martiniquais partis sous le feu à des milliers de kilomètres de chez eux, dans des conditions traumatisantes. Il parle de l'angoisse des familles, de l'effroi des combats, des blessures physiques et psychiques, des errements du retour. Comme dans le reste de son oeuvre, l'auteur nous embarque dans le monde créole, selon l'atmosphère de l'époque. Petites gens, bourgeois mulâtres, Blancs créoles... on retrouve l'univers familier et cher à l'auteur de la Martinique, dont il continue de narrer l'histoire avec humour et délectation.
Votre roman s’inspire-t-il de témoignages réels ? Quel type de recherche historique avez-vous effectué pour l’écrire ?
Raphaël Confiant : Mon roman n'est pas du tout un roman historique au sens classique du terme. Je mêle, comme à mon habitude, histoire et fiction. S'agissant de la guerre de 14-18, j'ai eu recours à deux types de sources : d'abord, les témoignages oraux, la mémoire familiale et la mémoire collective ; ensuite, les archives de notre magnifique Bibliothèque Schoelcher de Fort-de-France et de son personnel hautement compétent. Ceci dit, que signifie "réel" quand on parle d'un événement historique ? Très peu de choses. Des dates de combats ou de signatures de traités, mais le vécu des combattants lui-même n'est pas mis en exergue et ne peut l'être vraiment par les historiens même si nous disposons de lettres de soldats créoles envoyés à leurs familles. La littérature vient en quelque sorte compléter ou plutôt conforter le travail de l'historien en donnant à voir la guerre de l'intérieur, à partir de l'intériorité des combattants.
Ces combattants antillais de la guerre de 14-18 sont-ils les oubliés de l’histoire ?
Raphaël Confiant : Pas aux Antilles et en Guyane car dès leur retour en 1918, des monuments aux morts ont célébré la bravoure des soldats créoles, des défilés patriotiques à travers les communes ont mis en lumière leurs faits d'armes. N'oubliez pas que c'était la toute première fois que les soldats martiniquais, guadeloupéens, guyanais et réunionnais combattaient au sein de l'armée française comme soldats à part entière. Avant cela, lors de la guerre du Mexique en 1861 ou encore celle de 1870 déjà contre l'Allemagne, ils n'étaient accepté que comme volontaires.
Pensez-vous que l’Etat français doive reconnaître spécifiquement la contribution des combattants antillais pour le sang versé ?
Raphaël Confiant : Ce n'est pas une question qui m'a préoccupé. Je préfère que cet Etat commence d'abord par reconnaître la contribution économique fondamentale durant trois siècles des esclaves antillais à l'enrichissement de la France et de son économie. Sans eux, les ports de Nantes, Bordeaux ou La Rochelle, par exemple, n'auraient jamais connu une telle expansion.
Cet attachement de ces militaires antillais à la « mère patrie », ressortissants d’une colonie qui plus est sortant de l’esclavage, n’était-il pas paradoxal selon vous ?
Raphaël Confiant : Ce n'est paradoxal que si l'on examine la chose du point de vue de l'observateur du 21e siècle. Or, il ne faut pas oublier que les esclaves ont davantage vécu leur exploitation comme émanant des Békés ou Blancs créoles et non de l'Etat français. Ce dernier était loin, à deux mois de bateau, représenté par un gouverneur invisible pour eux et quelques troupes. N'oublions pas non plus qu'on a fait comprendre aux esclaves nouvellement libérés en mai 1848 qu'ils le devaient à un Blanc généreux appelé Schoelcher ! Ce dernier était en quelque sorte le représentant de la France, mère des arts et des lettres, patrie des droits de l'homme etc., par opposition aux Békés scélérats et exploiteurs. Donc le culte de la mère patrie après l'abolition de l'esclavage chez nous autres, Créoles, est à comprendre comme un désir de s'affranchir du joug des Békés. Aujourd'hui, on pourra toujours arguer que c'était sortir des cendres pour tomber dans du feu, selon une expression créole, mais ce serait là un regard anachronique.
A combien estimez-vous le nombre des combattants des Antilles-Guyane engagés sur le front durant la Grande guerre ?
Raphaël Confiant : Les chiffres varient mais ceux que j'ai trouvé tournent autour de vingt mille quand on ajoute les Réunionnais qui, eux aussi, faisaient partie du "Bataillon créole", dénomination officielle des régiments antillo-guyanais et réunionnais. Près d'un tiers de ces soldats a perdu la vie soit sur le front européen (batailles de la Marne, de la Somme, de Verdun) soit sur le front d'Orient (batailles des Dardanelles).
Raphaël Confiant - « Le Bataillon créole (guerre de 1914 – 1918) » - éditions Mercure de France – septembre 2013 - 306 pages - 19,80 euros.
SOURCE : OUTRE-MER 1ère.