Dans sa déclaration du jeudi 14 octobre, le président du Conseil Régional tente, a posteriori, de justifier la convocation d’un congrès qui a tourné à la tragi-comédie. Derrière les raisons évoquées (l’information des élus, l’information de la population et la constitution d’un front commun face au gouvernement), il importe d’appréhender les véritables enjeux politiques de ce qui n’a été qu’une manœuvre de petite envergure.
Les arguments démagogiques sur l’information des élus et du peuple
Un des prétextes ressassés dans cette déclaration est « tout d’abord rendre compte aux élus de la Région et du Département, aux députés et sénateurs, du contenu des travaux de la commission mixte ».
Une telle justification est difficilement recevable. En effet :
- Le rôle d’un congrès ne consiste pas à « rendre compte aux élus » ou à les « informer », mais à faire des propositions d’évolution institutionnelle. Dans la phase historique actuelle, cette question a été tranchée par la consultation du 24 janvier 2010 qui a vu 70 % des électeurs faire le choix d’une « collectivité unique regroupant les compétences actuellement dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l’article 73 ».
-Tous les groupes du Conseil Régional et du Conseil Général étaient représentés dans la commission mixte et l’on peut difficilement imaginer que ces relais n’informaient pas leurs collègues et leur parti de la progression et des conclusions de la commission.
-Les conclusions des travaux de la commission mixte ont été remises aux deux présidents de collectivité le 16 septembre 2010, devant la presse. Si le président de Région tenait réellement à informer les élus, il leur aurait aussitôt adressé ce document de synthèse qui, à la date du 19 octobre, n’était toujours pas en possession des conseillers régionaux.
- Dès début octobre, il aurait pu convoquer une plénière pour « rendre compte » et procéder à un échange entre élus.
-Il n’est pas dans les attributions du président du Conseil Régional d’informer les élus du Conseil Général –au nom desquels il semble vouloir s’exprimer- vu que, sauf erreur de notre part, il n’assure pas la présidence du Département.
-Les députés et sénateurs étaient parfaitement informés de la teneur des travaux de la commission mixte. En effet, les 27 et 28 septembre, à Paris, ils en débattaient avec Madame PENCHARD.
- De même, l’affirmation selon laquelle « un certain nombre de groupes l’a (le congrès) souhaité » est tout simplement mensongère puisque, publiquement, tous les groupes politiques des deux collectivités ont refusé de participer à cette mascarade… à l’exception du ppm et de ses alliés.
-Quant à la diffusion des conclusions de la commission mixte, elle aurait pu aisément se réaliser par le biais de multiples supports qu’il appartenait aux collectivités de définir : conférences de presse, communiqués, publications dans la presse écrite, spots, retransmissions de plénières etc… C’est aussi le rôle des partis politiques « d’informer le peuple » et d’expliquer leurs positions. Ce n’est donc pas la non tenue d’un congrès qui « laisse le peuple dans l’ignorance ». Cet argument est aussi absurde que tortueux !
Ceux qui travaillent à la division aux cris de « vive l’unité » !
Ainsi, le président du ppm prétend avoir déployé des efforts titanesques pour « permettre à la représentation martiniquaise d’ouvrir un dialogue avec le gouvernement et le président de la République, sur une position commune ». Et, épuisé par tant de sacrifices, le voilà qui « regrette profondément » une situation « abandonnant au seul gouvernement le soin de décider pour nous ». c’est à pleurer !
Qu’en est-il en réalité ?
-Le président du Conseil Régional fait semblant d’oublier que, dans le cadre de l’article 73, c’est le « gouvernement » qui « décide pour nous », car nous ne sommes ni un Etat, ni une région autonome. Le gouvernement français déposera donc son projet de loi, nos deux assemblées seront consultées pour avis et le parlement français (Assemblée Nationale et Sénat) votera la loi qui s’appliquera à nous. Trêve donc de fanfaronnade puérile et de nationalisme à quatre sous !
-Depuis la consultation du 7 décembre 2003, nombre d’élus du ppm et de leurs alliés actuels ont contribué à diviser les Martiniquais et à freiner la marche vers la responsabilité martiniquaise, en faisant campagne contre l’assemblée unique.
- Les injures du secrétaire général du ppm à l’endroit des autres membres de la commission mixte, avec le soutien de son président, lors de la remise du document de synthèse des travaux, le 16 septembre 2010, ne constituaient pas un plaidoyer pour une « union souhaitée ».
-L’annonce de la convocation d’un congrès par le président de Région, depuis Paris, sans consultation préalable du président du Conseil Général, sans même réunir d’abord la plénière de la collectivité dont il a la charge, exprimait une volonté brutale de passer en force et d’imposer sa seule vision de l’avenir de la Martinique. On ne construit pas « l’union » avec les autres en les méprisant.
-Durant les multiples réunions de la commission mixte, entre juin et septembre 2010, les représentants du ppm, contrairement à leurs partenaires de négociations, n’ont fait aucune concession sur la date de mise en place de la nouvelle collectivité. Ils ont voulu imposer à tous l’idée d’une « collectivité sui generis ». Par quel miracle inespéré ce qui n’a pas été possible en trois mois l’aurait été en une journée et aurait permis d’arrêter « une position commune » ?
La convocation du congrès : une manœuvre tactique
Face à la levée de boucliers provoquée par une démarche en catimini, en collusion avec le gouvernement français, le président de Région a décidé d’utiliser la convocation d’un congrès comme une manœuvre de dernière minute.
Quels étaient les objectifs poursuivis ?
- Essayer de donner une caution démocratique à ce qui apparaissait comme un déni évident de démocratie.
-Tenter d’isoler et de discréditer ses adversaires grâce au surplus d’élus que lui confère le mode de scrutin actuel du Conseil Régional.
-Déstabiliser le Conseil Général dans la perspective des élections cantonales de mars 2011.
- Renforcer sa position d’interlocuteur (ou de relais privilégié) des Penchard et Sarkozy.
-Se donner une tribune médiatique pour consacrer son coup de force et diffuser une propagande qui aurait été relayée et commentée complaisamment.
Analysée sous cet angle, l’annulation forcée du congrès constitue un revers politique considérable pour celui qui l’avait convoqué, en faisant montre, par ailleurs, d’une rare arrogance.
Ce n’est donc pas la « sagesse » qui a guidé cette décision, mais l’impuissance politique.
Le chef de file du ppm s’est en effet enfermé lui-même dans le piège qu’il pensait avoir tendu à ses adversaires. Incapacité à convaincre une opinion publique en décalage avec ses positions, isolement politique de plus en plus manifeste, doutes grandissants de certains secteurs de sa majorité, ridicule d’un congrès des amis et alliés dont les conclusions auraient été nulles et non avenues, « pressions » de ses amis du gouvernement, tous ces facteurs d’impuissance ont contribué à écrire précipitamment la situation finale de la chronique d’une catastrophe politique annoncée.
Il nous appartient désormais de poursuivre notre travail d’explication auprès de notre peuple et de le mobiliser pour la création de la collectivité unique dès 2012, afin de donner un peu plus de cohérence aux politiques visant à apporter un minimum de solutions aux difficultés que le pays traverse. Cette démarche ne vaut bien entendu pas moratoire sur notre lutte pour l’émancipation nationale.
Francis CAROLE
Clément CHARPENTIER-TITY