PARIS : JOCELYNE BEROARD EN CONCERT A L'OLYMPIA

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30 ans de fidélité ... au Zouk !


 
Jocelyne Beroard se produit dimanche à l’Olympia de Paris. En solo. Sur scène depuis trois décennies avec le groupe Kassav’, inventeur du zouk, elle a grandement contribué à faire connaître la culture créole. Retour sur 30 ans d’une carrière exceptionnelle

 

Vendredi 5 novembre 2010, à la Maison des cultures du monde de Paris. C’est la fin de la soirée d’ouverture du festival Vibrations Caraïbes. Colline-Lee Toumson, organisatrice de l’événement se tient entre la chanteuse haïtienne Émeline Michel et Jocelyne Beroard. Elle vient de leur offrir deux énormes bouquets de roses. Émeline a animé la première partie de la soirée avant de céder la scène à l’exubérante Jocelyne. Puis elle l’a rejoint sur scène dans un duo de divas créoles. Toute émue, Colline-Lee souhaite dire sa gratitude aux deux femmes, et spécialement à Jocelyne Beroard. « Vous ne pouvez savoir tout ce que vous m’avez apporté dans ma construction en tant que femme. Je vous dois tant ! Je vous dis simplement merci », déclare-t-elle, la voix brisée par l’émotion. Cadette de Jocelyne Beroard, Émeline raconte également son bonheur d’avoir pu partager la scène avec celle qui l’a « tant inspirée ». 

 

Le public acquiesce. On est loin du stade de France où moins d’un an plus tôt, Jocelyne a célébré avec brio, lors d’une nuit créole, le trentième anniversaire de Kassav’ le groupe mythique antillais dont elle fait partie, devant 65 000 personnes. On est loin de la Pelouse de Reuilly (Vincennes), où, lors du premier carnaval antillais de Paris en 1986, Kassav’ avait attiré près de 300 000 mélomanes. La Maison des cultures du Monde est une petite salle, mais la ferveur du public est la même. Comme à chaque prestation de Kassav’ ou de l’un de ses membres. La soirée rend hommage à Toto Bissainte et Jenny Alpha, deux pionnières de la chanson créole qui ont inspiré Jocelyne Beroard.

Mais si la diva à peine rentrée d’une tournée en Angola n’a pas pris le temps de défaire ses valises pour remonter sur scène, c’est que, baptisée « les amazones », cette édition du festival Vibrations Caraïbes met en avant des thèmes qui lui tiennent à cœur. Il s’agit d’un hommage appuyé à ces femmes, parfois ignorées des chroniques officielles qui par leur courage, engagement et dévouement, ont grandement contribué à l’histoire de l’humanité. Mère-courage, guerrière, pilier de la famille, femme debout. Son répertoire pour la soirée est choisi pour faire écho à ces ces thématiques. Tailleur stricte, « l’élégance, la classe » comme dit d’elle le chanteur Passi témoignant dans le documentaire Kassav’, une épopée antillaise réalisée en 2008 sur Kassav’ par Michel Traoré. Jocelyne est entrée sur scène en douceur sur « on limiè » (une lumière), chanson tirée de son dernier album Madousinay, qui parle des vertus du courage et de la persévérance. « Si je tombe, je me relève. Je m’efforce de tenir, même s’il m’arrive de douter.... Parce qu’il y a au fond de nos yeux, cette petite lumière, un trésor ».

Elle a enchaîné sur le respect de la femme. Elle a chanté le courage appliqué aux problèmes de coeur, lorsqu’une déception sentimentale entraine le « gros poil » (cafard) : Ké sa levé (je me relèverai). Elle a terminé en apothéose sur Siwo, sa chanson fétiche, tirée de son premier album solo, qui fut le premier disque d’or féminin des Antilles. On connait l’histoire de la chanson : une femme qui ose, comme les hommes, crier tout haut son désir de rencontrer un compagnon aussi doux que du miel. Jocelyne confesse qu’elle n’a pas trouvé cet élu du cœur, vingt ans après la chanson. Mais elle aborde le sujet avec philosophie, elle blague et rit généreusement. Ses proches lui reconnaissent cette nature détendue, son caractère vrai, sa sincérité, sa simplicité, son sens du partage. « Ce qui me fascine toujours, c’est cette capacité qu’elle a à pouvoir discuter, transmettre quelque chose à l’autre, l’intéresser, l’intriguer. C’est une femme unique et là, je ne parle même pas de la chanteuse. Elle a eu tellement d’impact dans ma vie... Bref, c’est quelqu’un de passionné en plus d’être multi-talentueuse. », assure Karine Lenox, une de ses amies.

Talents multiples

Multi-talentueuse. L’expression sonne juste. Car Jocelyne aurait bien pu faire autre chose que la musique. La photothèque de son site Internet, riches en images capturées au gré de ses pérégrinations à travers le monde témoigne de ce goût prononcé pour les beaux arts. Elle aurait pu en faire son métier. Jocelyne naît à Fort de France, Martinique, un 12 septembre. Petite, elle baigne dans une ambiance très musicale. Les Antilles sont une sorte de carrefour culturel qui reçoivent les musiques du monde entier. Chez les Beroard, faire de la musique est un loisir. Papa joue de la guitare à ses heures. A Noël, tout le monde se relaie autour du piano pour chanter des cantiques ou de la biguine de l’époque. Jocelyne apprend le piano classique. Dans la discothèque familiale, elle découvre Edith Piaf, Mahalia Jackson dont elle devient une fan. Son frère Michel qui fait déjà de la musique l’accompagne au piano lors des fêtes familiales. Lorsqu’elle obtient son bac D, elle s’inscrit d’abord en Pharmacie, mais laisse tomber les médicaments pour les Beaux-arts. « C’était sans aucun doute un prétexte pour se rapprocher de Paris et de notre frère Michel qui faisait déjà de la musique », pense Marie-Claude Beroard, sa petite sœur.

La musique l’a happée, au grand dam des siens qui auraient préféré qu’elle poursuive ses études en pharmacie. L’époque aussi n’est pas favorable à la vie d’artiste, surtout de sexe féminin, en Martinique. « Les rares chanteuses ont dû s’expatrier et leur vie n’a pas été facile à l’époque », explique Marie Claude. Mais Jocelyne ne peut résister à l’appel d’Appolon, le dieu du chant et de la poésie. Elle fait ses premiers pas sur scène en tant que choriste pour David Martial. Nous sommes dans les dernières années de la décennie 1970. Elle suit, sur le même registre, de nombreux autres artistes de talent

Kassav’

Elle travaille pour la première avec Kassav’ en 1980 en tant que choriste sur le deuxième album du groupe. Elle est rappelée trois ans plus tard. Kassav’ essaie alors d’installer sa nouvelle vision musicale dans l’esprit des Antillais. Pour cela, le groupe participe au carnaval sous l’appellation de « Soukoué Kow ». « J’adorais ce que faisait Kassav’. J’avais envi d’intégrer le groupe. Je me suis investie de façon tout à fait naturelle, sans calcul. Ils m’ont gardé », se rappelle-t-elle. « On ne pouvait pas passer à côté d’une voix pareille. J’ai connu Jocelyne Beroard à Bangui, lorsqu’elle a sorti Siwo. On ne comprenait rien à ce qu’elle chantait, mais c’est comme si elle nous disait quelque chose d’important. On ne savait pas comment danser sur la chanson, mais au son de la voix de la chanteuse, c’était comme si tout s’éclairait autour de nous. L’environnement renvoyait l’écho de sa voix. C’était envoûtant. On avait envi d’être bon, de nous améliorer. Il y avait quelque chose de très spirituel chez elle et chez les autres Kassav’ », témoigne Pierre, Centrafricain et inconditionnel de Kassav’. Cousine par alliance de Jocelyne Beroard, Marie Denise Grangenois ne dit pas autre chose. « Dès le début, nous avons ressenti dans la voix de Jocelyne une tonalité nouvelle, des sonorités émouvantes et nous espérions que ce sentiment soit partagé par le plus grand nombre ».

Les débuts avec Kassav’ ne sont cependant pas évidents. Jocelyne Beroard doit s’armer de patience pour être mise au devant de la scène. En 1985, tous les autres membres du groupe ont déjà leur album solo. Pas elle. Après « Moman tala » sa première chanson, il y a pourtant eu le gros succès de « Mové Jou » sur l’album Kassav’ (1985). Il y a eu « Pa Bizoin Palé » qu’elle a interprété en invitée, sur le disque signé en duo par Jean-Philippe Marthély et Patrick Saint-Eloi et qui est devenu un classique du zouk. Mais les producteurs ont une idée fixe : les albums féminins se vendent moins bien, pensent-ils. « Il faut savoir attendre, chaque chose vient en son temps », juge rétrospectivement Jocelyne Beroard. Sa patience paye en effet : Siwo son premier album solo, qui sort en décembre 1986 devient le premier disque d’or féminin aux Antilles. Les six titres de l’album se côtoient des semaines durant, en tête des des hit-parades. Kolé séré, une chanson qui a failli être passée à la trappe lors de la confection de l’album remporte un succès énorme en France métropolitaine et dans le monde. Repris en duo et avec le chanteur Philippe Lavil et publié en single, le titre se vend à près de 500 000 exemplaire en France.

Chanter en créole

La voix chaude et harmonieuse, pure et fraîche de Jocelyne Beroard, la poésie et la puissance de ses textes contribuent à rendre à la langue créole, ses lettres de noblesse. « Jocelyne a éveillé ma curiosité pour un domaine que je côtoyais sans trop grande passion (…) Je me suis intéressée aux textes des chansons antillaises, alors qu’avant, je me plaisais surtout à lire les textes de Brassens, Moustaki, Brel, Ferrat... J’ai eu envie de transmettre aux plus jeunes mes découvertes sur ces textes », assure Marie Denise Grangenois. Dans une contribution au site Potomitan intitulée « Écrire des textes et les chanter », Jocelyne Beroard explique : « La langue créole s’est imposée. Je n’avais pas le droit de la parler à la maison, comme beaucoup d’enfants d’hier et… d’aujourd’hui. Mais mes parents chantaient avec nous les chansons traditionnelles du pays qu’on entendait à la radio en créole et ma mère relevait les expressions succulentes qu’elle entendait ici ou là et m’en faisait part. La beauté de la langue, la beauté du créole m’a été révélée par ma mère. Alors qu’une femme était traitée de vulgaire lorsqu’elle usait de cette langue dans la rue ou « en société », je découvrais que cette langue avait une richesse et une beauté, et décidai de me libérer du qu’en dira-t-on pour mieux l’apprendre et en user. »

Carrière bien remplie

depuis « Siwo », Jocelyne Beroard a publié deux albums solo : « Milans » et Madousinay. Chez Kassav’, elle a participé une quinzaine d’autres disques, le groupe a récoltés de nombreux trophées et disques d’or. Mais surtout, toujours entre deux avions, elle a parcouru le monde, pour défendre, à travers la musique, la culture créole. « Elle a mené un parcours exceptionnel, avec une grande rigueur et beaucoup de sacrifices. Elle fait ce qu’elle aime, elle accomplit ce dont elle a toujours rêvé depuis son plus jeune âge », déclare Marie-Claude Beroard. « La carrière de Jocelyne est une totale réussite car à travers les années je l’ai vue se transformer pour devenir cette femme audacieuse mais pas folle, généreuse mais pas dupe, fière mais pas prétentieuse, sensible mais pas fragile,et surtout pleine de sagesse et maîtrisant complètement son art », ajoute Marie Denise Grangenois. En 1996, Jocelyne Beroard et Jacob Desvarieux ont été nommé Chevaliers dans l’ordre du mérite au Sénégal. Deux ans plus tard, Jocelyne a été nommé Chevalier de la Légion d’honneur française, à la demande du Premier ministre Lionel Jospin.

Après l’Olympia ce dimanche, elle reprendra surement les chemins du monde où les hommes ont besoin de l’humanisme de la culture créole. « Si les gens connaissaient mieux notre musique, ils gouteraient à ce que c’est vraiment que l’amour », affirme Kassav’ (Ba nou Zouk la).

SOURCE : Afrik.com