PARLEMENT EUROPÉEN : DES DÉPUTÉS DEMANDENT LA SORTIE DE LA BANANE CHIMIQUE AUX ANTILLES

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Banane antillaise empoisonnée ? Il faut changer de modèle

par François ALFONSI, Sandrine BELIER, Jean-Jacob BICEP, José BOVE, Catherine GREZE, Yannick JADOT, et les député-e-s EELV au Parlement européen.

TRIBUNE

Le Tribunal de Basse-Terre vient de suspendre, une fois n’est pas coutume, les arrêtés préfectoraux des 29 avril 2013 et 3 juin 2013 qui autorisaient des dérogations à l’interdiction de l’épandage aérien. La législation européenne, qui interdit cette technique, permet en effet des dérogations, mais dans des conditions strictes, tellement strictes, que nous ne les avons jamais vues réunies (1).

Non surpris de cette décision qui, en réalité, dit simplement et strictement le droit, les écologistes veulent rappeler que c’est en fait tout le système économique des Antilles qui est en cause : un modèle agro-exportateur qui, accaparant des terres pour produire dangereusement des produits à destination de la métropole, contrevient à la justice environnementale et sociale.


Ce modèle demeurera néanmoins tant que nous, responsables politiques européens, n’aurons pas le courage de mettre fin aux instruments qui le nourrissent.

Une histoire d’empoisonnement

L’épandage aérien est un danger public. Parce que les produits utilisés sont toxiques et parce que leur pulvérisation, qui rend leur dispersion incontrôlable, en démultiplie les dégâts, appliquer des pesticides par voie aérienne nuit dramatiquement à la santé publique et à l’environnement. 

Les particules se retrouvent partout et entraînent des effets néfastes à long terme pour les population, la faune et la flore. Nous en voulons pour preuve une étude américaine qui, démontrant que des résidus persistent dans les moquettes des habitations dans un rayon de 1250 mètres autour des zones d’épandage, et ce durant 730 jours, devrait suffire à nous convaincre. Malheureusement, cela ne suffit pas.

Les mêmes causes produisent les mêmes effets

Des dérogations sont donc régulièrement accordées par les préfectures, c’est à dire par l’État, en violation du droit. Attaqués en justice, les arrêtés préfectoraux sont fréquemment annulés. Aussitôt annulés, les producteurs réintroduisent une demande, aussitôt la demande introduite, les préfectures s’exécutent. Les arrêtés sont réattaqués, ils sont ré-annulés. 


Cette mascarade, qui voit s’affronter quelques intérêts économiques contre l’État de droit, quelques exploitants contre la santé publique, quelques bénéfices commerciaux contre l’environnement doit simplement cesser.

Une responsabilité politique européenne

La perduration de ce système de nature coloniale n’est pas uniquement l’affaire de l’État français. L’Union européenne, complaisante, ignorante ou inconsciente lui fournit bel et bien les instruments de sa perpétuation.
Lorsque nous ne décidons pas d’un plafonnement ambitieux des aides dans le cadre de la Politique Agricole Commune, nous permettons que ce soit quelques grands producteurs qui bénéficient de l’immense majorité des fonds versés à l’agriculture antillaise.

Lorsque nous augmentons les fonds alloués à la filière bananière pour compenser la baisse des droits de douane des pays latino-américains, nous ne faisons que protéger une production non durable contre une autre production non durable.

Lorsque la Commission européenne refuse de supprimer la possibilité de dérogation de la législation, elle permet la poursuite de ces abus. 


Malgré des aides très élevées aux producteurs antillais, les effectifs dans les bananeraies ne cessent de chuter. Rien d’étonnant : permettre les épandages conduit à détruire les emplois de ceux qui effeuillent les bananiers. Permettre l’accumulation des revenus agricoles entre quelques mains obère le développement des petits exploitants
.

Tout un système à repenser

Si les écologistes se battent depuis toujours contre l’épandage aérien de pesticide, ce n’est donc, malheureusement, pas seulement pour protéger la santé publique et l’environnement.

Les écologistes se battent contre un modèle dans lequel l’Etat met à mal la souveraineté alimentaire et l’intérêt général pour l’enrichissement de quelques-uns.

Les écologistes se battent contre une logique économique qui hypothèque l’avenir de ceux qui vivent là au profit de ceux qui consomment là-bas.

Les écologistes se battent pour que ce système cesse, pour que l’agriculture vivrière soit priorisée, pour que la souveraineté alimentaire soit assurée, pour que les emplois locaux soient protégés, pour que produire des bananes et des cannes à sucre en empoisonnant le sol et ses habitants afin de les exporter à des milliers de kilomètres ne soit pas pour les Antilles la seule perspective.

Nous nous battons pour qu’enfin, cette décision de justice résonne comme une véritable sonnette d’alarme et qu’elle éveille, définitivement, la conscience de ceux qui, n’ayant rien appris du scandale du chloredécone, persistent à croire que l’écologie n’est qu’une option.

L’écologie n’est pas une option, elle est notre solution.

(1) Pour que l’épandage soit légal, il faut, entre autre, qu’aucune autre solution viable ne soit possible ou que la pulvérisation aérienne présente des avantages manifestes, du point de vue des incidences sur la santé humaine et l’environnement, par rapport à l’application terrestre des pesticides.

SOURCE : LeNouvelObs. Rue89