Les ventes des livres lauréats du Goncourt ou du Renaudot décollent. Elles durent jusqu'à Noël.
PHOTO : L'ACADEMIE DU GOUCOURT. De gauche à droite : Françoise Chandernagor, Tahar Ben Jelloun, Patrick Rambaud, Michel Tournier, Edmonde Charles-Roux, Robert Sabatier, Jorge Semprun, Françoise Mallet-Joris, Bernard Pivot, Didier Decoin
Le suspens est à son comble. En compétition à la fois pour le Goncourt et le Renaudot, Michel Houellebecq saura lundi, s'il a remporté un prix pour La carte et le territoire (Flammarion). Son roman est déjà un best seller, qui s'est vendu à près de 200.000 exemplaires, selon son éditeur. «S'il décroche le Goncourt, ce sera le phénomène de fin d'année. On s'attend à une explosion des ventes car ce roman est plus facile à lire que ses précédents», analyse Laurence Deschamps, directrice des librairies de la Fnac.
Après le Femina remis à Patrick Lapeyre pour La vie est brève et le désir sans fin (POL), le Médicis décerné à Maylis de Kerangal pour Naissance d'un pont (Verticales) et le prix de l'Académie Française décerné à Éric Faye pour Nagasaki, la saison des grands prix littéraires bat son plein.
Les éditeurs sont sur le qui-vive car «un roman qui a reçu un prix se vendra beaucoup mieux que s'il n'avait rien eu. Il n'y a aucun doute là-dessus», assure Laurence Deschamps. Herta Müller, Prix Nobel 2009 en est un excellent exemple: de 2004 à 2008, cet écrivain allemand a vendu moins de 20 livres par an, selon GFK. Du jour au lendemain, l'effet Nobel lui a permis d'atteindre 46.500 exemplaires fin 2009 et 15.620 entre janvier et septembre 2010.
Selon le palmarès des dix prix littéraires préférés des Français publié par l'institut de marketing GFK, c'est le Goncourt qui vend le plus: avec 400.000 volumes en moyenne, il y a clairement un avant et un après Goncourt. Comme c'est l'un des rares romans mis en tête de gondole par les hypermarchés, sa diffusion est maximale. Décerné six semaines avant Noël, il a deux pics de ventes. Dans les tout premiers jours, il intéresse les gens qui aiment lire. Puis, arrivent les achats de Noël. «Pour une grande partie des gens, le Goncourt est le cadeau refuge. S'il faut acheter un livre à son oncle, à sa grand-mère, ce sera celui-là. Peu importe le titre et le sujet, c'est le bandeau Goncourt qui compte», constate Laurence Deschamps. Le Goncourt est généralement l'un des livres les plus achetés sur l'année. «Marie NDiaye, Goncourt 2009 pour ses Trois femmes puissantes (Gallimard) figure dans le top des ventes mais elle n'a quand même pas réussi à battre Dan Brown, Marc Lévy et Muriel Barbery», nuance Céline Fedou, chef de groupe livre chez GFK.
Le grand public achète les yeux fermés
Le Goncourt est un cas très particulier. Le Renaudot vend deux fois moins avec 220.000 exemplaires. Le Femina arrive en troisième position avec 155.000 unités vendues suivit par le Goncourt des lycéens (125.000), le prix des lectrices d'Elle (120.000), le prix des Maisons de la presse (100.000), l'Interallié (95.000), le prix du livre Inter (60.000), le prix des libraires (55.000), le prix Fnac (50.000). En dernière position, le lauréat du Médicis peut espérer vendre 42.000 exemplaires.
Ces chiffres montrent bien que même si les Français savent que les grands prix littéraires ne sont pas au-dessus de tout soupçon, ils leur font tout de même confiance. Cela dit, pour tirer profit du prix littéraire, les éditeurs doivent pouvoir réimprimer dans la foulée car les Français passent vite à autre chose. Selon une étude de la Fnac, l'effet du Femina, du Goncourt, du Renaudot ou de l'Interrallié dure six semaines. Les ventes décollent la semaine suivant le prix, se maintiennent pendant six semaines et connaissent un nouveau pic juste avant Noël. «Ensuite, la chute est très nette. La rentrée littéraire de janvier prend le relais.
Le phénomène reprend en mai avec le prix Elle et celui du Livre Inter» , constate Laurence Deschamps. Avec le Goncourt des Lycéens, ces deux récompenses sont à part. Le grand public les achète les yeux fermés. La fidélité est grande car le consommateur sait que les jurés sont des lecteurs non professionnels. L'effet de ces prix est bien plus long que les grands prix de l'automne. Le prix Inter se vend bien pendant deux ans tandis qu'un prix Elle tient cinq ans. «Dans un monde qui va si vite, ce sont des prix qui pénètrent en profondeur, qui résistent au temps. Du coup, l'effet démultiplicateur est énorme, constate Eva Bettan, chef du service culture de France Inter. Nous n'avons pas fait d'études mais les acheteurs du prix Inter doivent être à l'image de nos auditeurs: ils viennent de tout horizon avec une surreprésentation d'enseignants et de femmes.»
Comme tous les prix qui s'adressent aux femmes, le prix des lectrices de Elle jouent sur du velours car 60% des lecteurs de romans sont des femmes. Les hommes lisent plutôt des essais et des mémoires. «S'ils lisent un roman, c'est bon signe», s'amuse Olivia de Lamberterie qui dirige les pages livres d'Elle. L'effet prescripteur de ce magazine qui consacre de nombreuses pages à la littérature explique aussi le succès de son prix. «Selon Livre hebdo, Elle est n°2 derrière le Monde, se félicite Olivia de Lamberterie. Plus le livre primé est pointu et mieux le roman se vend. Les lectrices sont toujours contentes d'être tiré vers le haut.» Les éditeurs de bande dessinée se frottent les mains: un prix Elle de la BD est à l'étude.
Lena Lutaud in LeFigaro.fr