PROCOLE LASIDJIN, LE DEUXIEME ROMAN DE PAUL GABOURG

Image Exemple Il y a deux ans, Paul Gabourg, Martiniquais, nous donnait à lire un premier roman succulent, intitulé « Rasin Kas », malheureusement passé inaperçu. Aujourd’hui, il nous revient avec « Protocole lasidjin - Contrat majeur pour l’herbe-qui-mord », publié chez K Editions, jeune maison dynamique dont Jean-Marc Rosier est le directeur.

L’ouvrage est doublement préfacé par Raphaël Confiant et Eliane Bolnet. Voici le texte de présentation d’Eliane Bolnet.

Paul Gabourg, écrivain de l’espace créole, militant de la caribéanité.

Paul Gabourg, écrivain de l’espace créole, militant de la caribéanité.

Enfant turbulent du quartier des Terres Sainville, périphérie de la capitale foyalaise, Paul Gabourg est né le 19 février 1943 dans l’actuelle rue Jean-Jacques Rousseau, au n° 17, entre le Canal Trénelle et le bar Eliot. Des références qu’il n’a jamais laissées dans l’ombre.

Aîné d’une famille de quatre enfants (3 garçons, 1 fille), il a effectué sa scolarité et ses études d’abord au cours complémentaire du quartier, puis au célèbre Lycée Schœlcher dont il fournira dans les chroniques de son livre « Rasin Kas », une puissante description, à travers des personnages emblématiques de sa génération.

Après avoir passé le concours d’intégration à l’Ecole Normale de Croix Rivail (Château Aubéry) sise au Lamentin, il sera, après quelques années d’enseignement, étudiant au CUAG (Centre Universitaire Antilles-Guyane), ancêtre de l’UAG (Université Antilles-Guyane) actuelle. Professeur certifié d’espagnol, il est co-fondateur de l’AMLH (Association Martiniquaise Luso-Hispanophone) et demeure un passionné de boxe anglaise.

Ancien directeur du « Progressiste », il est journaliste indépendant et s’adonne à sa passion première, l’écriture (un peu avant la pétanque et les dominos).

Il n’est pas inintéressant de souligner qu’en 1977, il a fait publier à quelques centaines d’exemplaires un mémoire intitulé « Démission d’Aimé Césaire du Parti communiste en 1956 à travers la presse », sous la direction de Daniel Maragnes, enseignant à l’Ecole Normale de Guadeloupe. Mémoire qu’Aimé Césaire a salué en son temps par le mot qui suit : « Mon cher Gabourg, merci d’avoir donné à l’événement - qui a été pour moi un grand déchirement - de véritables dimensions historiques. C’est une contribution dont je mesure le mérite et la valeur à la connaissance de notre passé (à la fois proche et si lointain) et de la conscience martiniquaise. Ici, la péripétie est dépassée et rejoint le collectif et l’Universel. Avec mon amitié vraie. »

Profondément affecté par le moratoire décrété par le Parti Progressiste Martiniquais (PPM), une décision qui, selon ses propres termes, « menace l’objectif de décolonisation », l’homme a quitté depuis l’organisation autonomiste pour rejoindre le mouvement indépendantiste où il milite depuis quelques années.

Incapable jusque là de vivre loin de la capitale, atelier principal de son irrédentisme, Paul Gabourg a habité successivement les Terres Sainville, Godissard, Morne Pichevin (appelé maintenant les Hauts du Port) et actuellement le quartier Dillon. Il vient d’achever l’écriture d’un roman dont la thématique organise son développement à partir du réseau multiple de la vie sociale, des pratiques culturelles, religieuses, magiques auxquelles vient se greffer le clin d’œil du Réel Merveilleux pour faire émerger l’identité caribéenne de la gangue coloniale et des prétentions civilisatrices de l’Occident ; dans l’insolence ordinaire de son discours ancré sur cette fameuse autorité intérieure à laquelle des écrivains de la région ont fait souvent allusion, avec comme référence le périmètre psychique du « territoire ».

Intitulé « Protocole lasidjin - Contrat majeur pour l’herbe-qui-mord », ce texte explore avec intelligence les ressorts qui commandent un certain nombre de postures paradoxales du peuple martiniquais à la fois si blasé, si généreux et si susceptible et d’autant déroutant.

L’écrivain rassemble dans des « mouvements de l’âme », diraient certains observateurs, quelques rituels vérifiables dans le fond commun des pays de la Caribéanité, autour de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Dominique, de Sainte-Lucie d’une part, de l’Europe par France coloniale interposée d’autre part, voire de l’Equateur, de la Colombie et du Pérou sur le continent américain. Le rôle de l’Eglise au cours de l’agression occidentale envers les peuples américains (au sens placolien du terme) n’échappera pas à ses investigations dans cet ouvrage au moment où l’institution est à l’offensive, pour un réarmement apostolique qui, selon Gabourg, « redéploye la panoplie des interdits moraux au nom de la révélation ».

En définitive, notre compatriote nous fait traverser, haletants, un luxuriant compost socioculturel avec prise en compte du background amérindien émergeant vers une perspective de libération psychique. Avec le talent qui lui est désormais reconnu.

 

                                                                           Eliane Bolnet