RÉCIFS ARTIFICIELS PAR IMMERSION DE PNEUS USAGÉS : UNE VRAIE FAUSSE BONNE SOLUTION

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L'idée, qui se voulait révolutionnaire, d'immerger des pneumatiques usagés pouvant servir d'abris aux poissons, vient d'être battue en brèche après 30 années d'expérimentation. Loin d'être concluante, cette pratique a eu un impact dévastateur sur les coraux et herbiers sous-marins d'où les nouvelles dispositions pour ramener sur terre ces milliers de pneus afin de limiter les dégats. Un dispositif contraignant et coûteux qui mérite d'être suivi de très près aux Antilles. LB

 

Retour sur terre pour des milliers de pneus usagés sortis de la Méditerranée

in le Monde - 13 mai 2015

 

Objectif atteint : les derniers pneus collectés ont été hissés sans difficulté à bord d’un bateau-citerne, mardi 12 mai en fin de journée, soit 2 500 boudins tirés de la Méditerranée. Il en reste toutefois dix fois plus à une trentaine de mètres de fond, au large de Vallauris Golfe-Juan, dans les Alpes-Maritimes.

 

Ces amas de 3 480 mètres cubes ne se trouvaient pas au fond de l’eau par hasard. Quasiment gratuits, résistants, abondants, les pneumatiques usagés sont un temps apparus comme un moyen idéal de fournir des abris aux poissons. En France, dans les années 1980, on en a donc immergé des centaines de milliers, arrimés en petits tas ou en longue barrière. L’idée qui venait des Etats-Unis – les Américains en ont eux-mêmes envoyé deux millions par le fond au large de Fort Lauderdale en Floride en 1972 – était de permettre à la ressource halieutique de se fixer et de se régénérer autour de ces « récifs artificiels ».

 

Les pêcheurs avaient été consultés pour déterminer où installer ces maisons à poissons capables, pensait-on, de repeupler le secteur. Il avait d’ailleurs été décidé que la zone de 50 hectares, classée Natura 2000, dans la baie d’Antibes, serait interdite à la plongée sous-marine et à la pêche afin de laisser le plus de chance possible à l’écosystème de se rétablir.

 

Au total, on compte aujourd’hui 90 000 m3 de ces simili-récifs en métropole, dont 32 000 m3 au large du Languedoc-Roussillon et 54 000 m3 de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Le Portugal, l’Espagne, l’Italie en ont fait à peu près autant, tandis que le Japon se classait champion mondial avec 20 millions de m3 en mer.

 

Impact sur les herbiers et les coraux

Las, l’initiative a fait un flop : cet habitat recyclé n’a pas ou peu été colonisé. En outre, sous l’effet de la houle et des courants, les pneumatiques se sont largement dispersés. Aujourd’hui, non seulement ils font tache dans les paysages sous-marins, mais ils ont aussi un impact mécanique (d’écrasement) sur les herbiers et les coraux.

 

Quant à une possible pollution chimique, elle fait débat. Selon Jacky Bonnemain, porte-parole de l’association écologiste Robin des Bois, le peu de succès des pneus auprès de la faune marine est dû à leur libération progressive d’hydrocarbures dans l’environnement. L’université de Nice doit effectuer un suivi du site et étudier dans les prochains mois un éventuel impact chimique. Quoi qu’il en soit, l’idée qu’il est temps de les sortir de l’eau fait son chemin.

 

« Cela n’a pas évolué comme on l’avait imaginé à l’époque », reconnaît, sibylline, Elodie Garidou, chargée de mission au sein de l’Agence des aires marines protégées (AMP). C’est cet organisme public qui a pris l’initiative de faire enlever les pneus devant Vallauris Golfe-Juan en partenariat avec le département des Alpes-Maritimes, la ville et la prud’homie de pêche d’Antibes-Juan-les-Pins, avec le concours de financements européens. L’opération est une première et servira de test.

 

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« Le projet a commencé à prendre corps en 2010, mais il a fallu du temps pour obtenir les autorisations et l’argent pour lancer des appels d’offres, témoigne Elodie Garidou. Nous avions une fenêtre assez courte pour mener à bien cette opération puisque nous devions impérativement avoir fini avant le Festival de Cannes. »

 

Filière de valorisation

Toute la question est maintenant de parvenir à mettre en place une filière pour valoriser ces pneumatiques pas vraiment désagrégés, à peine colonisés par quelques éponges d’un genre résistant. Si le recyclage existe en France pour la production de sols synthétiques et de carburant, les pneus ont passé plus de trente ans en mer et il va falloir les nettoyer au préalable. Cependant si l’essai est concluant, les 90 % du stock restant pourraient être enlevés à leur tour à partir de 2016.

La restauration de l’écosystème de la baie « s’inscrit pleinement dans la directive-cadre européenne “Stratégie pour le milieu marin” », souligne l’AMP. Le problème tient à l’ampleur de la tâche. En France, outre les pneus, on a largement exploré le dossier des récifs artificiels à grands déversements de vieux poteaux électriques, parpaings, cages d’escaliers en béton, épaves de navires, etc., et ce, jusqu’en outre-mer.

 

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Devant Vallauris Golfe-Juan dans les années 1980 et 1990, on a aussi immergé des modules de béton de taille variée. Ces petits HLM ont attiré 40 % de poissons de plus que les entassements de pneus. Ils se révèlent cependant moins riches que la zone rocheuse naturelle toute proche qui a eu un effet de réserve favorable à la biomasse grâce à l’interdiction de pêcher. Tout ça pour ça.