Marcher pour doper son mental
On connaît les bienfaits de la marche pour la forme physique, mais c'est aussi un puissant facteur de mieux-être psychique.
C'est comme un conte moderne. À 15 ans, Fabien était ce qu'on appelle un «no-life»: déscolarisé, dépendant aux jeux vidéo, ses uniques sorties avaient pour destination la boulangerie située au rez-de-chaussée de son immeuble. «Il était à l'arrêt dans sa vie», commente Mathilde Polline, psychologue à l'association Seuil*. C'est, entre autres, pour remettre en mouvement des jeunes en difficulté comme Fabien que cette association a été créée. Avec, pour les éducateurs et les différentes personnes-relais qui s'y investissent, la foi en un outil de réinsertion: la marche. Mais pas n'importe laquelle: 2 000 km en trois mois, le plus souvent sur les sentiers déjà bien balisés et organisés du chemin de Compostelle, avec un accompagnateur privilégié.
Dans un tel cadre, plongé dans les magnifiques paysages qui se déploient de la Bourgogne aux montagnes pyrénéennes, Fabien a commencé à changer. «Comme la plupart de ces jeunes qui nous sont envoyés par leur éducateur ou leur juge, il était arrivé avec une demande, commente Mathilde Polline: “Je veux trouver une place sociale valorisée!” Mais, avant de s'orienter professionnellement, il lui fallait revoir de nombreuses dimensions de sa vie: se nourrir bien, et à heure régulière, se laver, se soigner, pouvoir rentrer en communication avec les autres de manière satisfaisante mais aussi être capable d'introspection, de faire des efforts… Pour ces adolescents qui ont malheureusement adopté des habitudes qui ne leur permettent pas d'être insérés, le long voyage à pied permet un vrai retour à l'équilibre.»
«Walk and talk» à Hyde Park
Il y a longtemps qu'on connaît les effets bénéfiques de la marche régulière sur la forme. De nombreuses études ont en effet montré ses bienfaits quant aux risques de maladies cardiovasculaires, d'arthrose, d'embonpoint… Par l'amplification de la respiration qu'elle déclenche, la marche permet une meilleure oxygénation, propice à générer le calme intérieur et l'équilibre. Mais, plus récemment, on a aussi démontré ses pouvoirs contre la dépression. Une recherche de l'université de Stirling en Écosse a ainsi établi que 5 séances de 30 à 40 minutes par semaine suffisaient pour commencer à se sentir mieux psychiquement. C'est que marcher atténue les sentiments négatifs, la rumination mentale: le rythme soutenu d'un pied devant l'autre, surtout dans des environnements naturels apaise nos émotions. Une formidable thérapie donc, simple, accessible à tous et peu coûteuse, qu'a ainsi résumée le psychiatre Boris Cyrulnik: «L'action, l'affection et la mentalisation (processus par lequel nos émotions sont transformées en pensées, NDLR) sont nos tranquillisants naturels prescrits lors d'une marche.»
Un autre aspect s'avère éminemment thérapeutique dans le fait d'avancer pas à pas: «Quand un adulte marche seul, il marche en fait avec un autre que lui-même et installe un dialogue intérieur», explique le psychiatre Daniel Marcelli, qui a codirigé un ouvrage sur les activités de l'association Seuil (Marcher pour s'en sortir, ouvrage collectif, coll. La vie devant eux, Éd. Érès). La force de la marche serait donc d'avoir le temps de retrouver ce dialogue intérieur et de pouvoir, tout en avançant à son rythme, associer, émettre des hypothèses, peser le pour et le contre d'une décision, laisser enfin divaguer ses pensées pour qu'elles deviennent fécondes…
Certains psychothérapeutes ne s'y sont pas trompés puisqu'aux États-Unis, des «walk and talk» thérapies existent depuis quelques années. Celles-ci ont fait éclater le cadre du cabinet et les séances en face à face assis pour amener patients et psys à avancer ensemble le long des chemins, tels Socrate et Platon en leur temps, afin de mieux penser et «travailler». Ainsi, à New York, de nombreux thérapeutes emmènent leur patient pour une promenade de 40 minutes en plein Central Park. Ce dispositif plus physique aiderait ce dernier à «décoller» quand il évoque les situations difficiles dans lesquelles il se sent coincé, l'encouragerait à l'action, notamment en lui permettant de regarder ailleurs, autour de lui, et d'élargir ainsi son horizon.
Le fait de marcher avec un compagnon privilégié et sécurisant a participé, aussi, à la transformation de Fabien. «Peu à peu, il s'est intéressé à la lecture et à la poésie et s'est mis à réciter des poèmes tout en avançant sur le chemin, raconte Mathilde Polline. Physiquement, il a changé sa manière de manger, son corps s'est musclé et il a vraiment battu des records de kilomètres! Mais surtout, à son retour, il a décidé de trouver un emploi dans les services municipaux à la propreté urbaine. Avoir eu le temps de parcourir tous ces paysages magnifiques pendant son voyage à pied lui avait désormais donné un objectif: prendre soin de l'environnement, et du monde en général.»