«Si je veux mettre mon fils, je sais comment on fait.» En faisant cette déclaration à des journalistes américains, Abdoulaye Wade semble avouer qu'il a les moyens de prendre exemple sur ses voisins togolais, gabonais et congolais (Ex-Zaire) des pays où des fils ont succédé à leurs pères sans difficulté majeure. Mais le Sénégal, un pays longtemps considéré comme une vitrine démocratique acceptera-t-il un scénario de dévolution dynastique du pouvoir? Son fils, Karim, semble conscient du fait que dans un pays où l'on vote depuis 1848, un tel projet risque de rencontrer une opposition farouche.
La polémique sur ce plan de succession occupe l'espace public sénégalais depuis quelques années. Abdoulaye Wade et son fils Karim multiplient les déclarations visant à apaiser ceux qui les accusent de vouloir procéder à une dévolution dynastique du pouvoir au Sénégal.
Dans un entretien-vidéo réalisé par des producteurs américains, qui tournent un documentaire sur la transition démocratique en Afrique, Abdoulaye Wade affirme pourtant avoir les moyens de faire de son fils son successeur:
« Si je veux mettre mon fils, je sais comment on fait. Il y a d'autres qui l'ont fait. Regardez autour de vous».
Seulement, il met un bémol à ses propos en déclarant: «Ce n'est pas mon intention pour l'instant.» Comme il est de coutume quand il s'agit de mettre en valeur son fils, Abdoulaye Wade jette des pierres dans le jardin de l'opposition: «Je ne vois pas dans l'opposition qui peut le battre.»
Son fils Karim a lui aussi démenti les intentions qu'on lui prête:
«Il n’est pas dans l’intention du président de la République, ni dans mon intention de procéder à une dévolution monarchique du pouvoir. Ceux qui évoquent cette éventualité et font des accusations ignorent tout de l’histoire du Sénégal.»
Opposition farouche à Dakar
Malgré ses assurances répétées, beaucoup d'observateurs et d'hommes politiques sénégalais ne doutent plus de la volonté du président Wade de faire de son fils son successeur. Cheikh Tidiane Gadio, l'ancien ministre des Affaires étrangères (2000-2009), tombé en disgrâce en 2009, est le plus virulent.
Au cours d'une émission diffusée par la radio Futurs Médias (Rfm) le 06 juin 2010, l'initiateur du Mouvement politique citoyen «Luy Jot Jotna» (Il est urgent d'agir) affirmait:
«Le Sénégal est en danger à cause du projet de dévolution dynastique du pouvoir. Toutes les institutions de la République se sont affaissées face à ce projet. Et tout tourne autour de ce projet.»
Moins catégorique que l'ancien chef de la diplomatie sénégalaise, Jean Christophe Rufin, ambassadeur de France au Sénégal de 2007 à juillet 2010, juge le fils du président «hostile au dialogue et à la critique». Peu avant son départ du Sénégal, il a mis en garde les Wade:
«Nous ne pouvons pas accepter des successions dynastiques au sens propre. Maintenant, si effectivement le fils du président se présente et qu'il est élu, c'est autre chose, si la compétition est libre.»
L'ancien Premier ministre Macky Sall (2004-2007) et l'opposant Talla Sylla monte souvent au créneau pour dénoncer l'immixtion de la famille dans la gestion des affaires publiques.
Pas assez sénégalais
Auteur de «Contes et Mécomptes de l'Anoci», un livre qui détaille «les fautes de gestions» qu'auraient commises le fils du président sénégalais, le journaliste Abdoulatif Coulibaly a été l'un des premiers à dénoncer le risque de succession monarchique au Sénégal. Dans un entretien publié par le site Nettali.net en 2008, il expliquait:
«Au Sénégal, nous ne sommes pas dans une monarchie élective. Par ailleurs, je suis convaincu que Karim n’a ni la compétence, ni l’étoffe encore moins la rigueur et le profil d’un homme d’Etat. Rien dans son histoire et dans son expérience personnelle ne le prépare à de telles charges. Karim Wade n’a pas la culture sénégalaise, même si effectivement il peut exhiber des papiers prouvant sa nationalité sénégalaise. Or, pour moi nul ne peut sérieusement prétendre diriger un peuple quand on n’est pas pénétré de ses valeurs et ses coutumes. Ce n’est pas une qualité suffisante, mais elle est nécessairement cumulative avec d’autres tout aussi essentielles".»
Dans des éditoriaux à charge contre les Wade, il dévoile les plans secrets qui doivent permettre à Karim d'hériter du fauteuil de son père. Un plan qui, au début, passait par la mairie de Dakar comme le résume Dame Babou, journaliste sénégalais résidant aux États-Unis :
«La mairie de Dakar avec un budget annuel de près 40 milliards, allait donner à Karim Wade non seulement une plate forme très visible pour l’aider à “démontrer” ses capacités managériales, mais aussi, lui donner le moyen de tisser une clientèle politique dans le terreau électoral le plus fertile du pays qui est la capitale.»
Cuisante défaite en 2009
En effet, investi sur les listes de la coalition Sopi 2009 pour les locales, Karim Wade a revu ses ambitions à la baisse aux lendemains des élections locales du 22 mars. Les résultats ont été désastreuses pour les idéologues de la Génération du concret, le mouvement politique qu'il a créé. Le fils du président Wade a été sévèrement battu à Dakar. Même dans le bureau de vote du Point E où la famille Wade a voté, il n'a pu sortir vainqueur. Après cette déculottée, il a pourtant été promu. Il est passé de président du Conseil de surveillance de l'Anoci- agence nationale pour l'organisation de la conférence islamique- à ministre d'État. Avec un ministère taillé sur mesure, un papa président prêt à tout pour défendre son fils, Karim Wade continue de demeurer un mystère pour ses concitoyens. De nature ténace, Abdoulaye Wade renoncera-t-il à placer son fils? Rien n'est moins sûr. Il y a quelques jours, le ministre d'Etat Awa Ndiaye, connu pour sa proximité avec Karim Wade, livrait à Washington les secrets de ce projet politique non encore assumé: «Nous allons réélire Me Abdoulaye Wade en 2012. Après cette élection, il va passer le pouvoir à son fils Karim Wade.»
Ndèye Khady
SOURCE : Slate.fr