SK1 : LA TRAQUE DU TUEUR EN SÉRIE, GUY GEORGES, DÉCODÉE AU CINÉMA

"J’étais au procès de Guy Georges en 2001. J’ai vu le film de 2015"

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"L'affaire SK1", qui retrace l'enquête et le procès du tueur de l'Est parisien, sort mercredi. Mathieu Delahousse, qui avait suivi les audiences à la cour d’assises il y a 13 ans, a vu le film avec deux acteurs majeurs du vrai procès. 

C'est une expérience assez rare pour tenter de la partager. Après avoir couvert du 19 mars au 5 avril 2001 les trois semaines du procès de Guy Georges devant la cour d'assises de Paris, j'ai assisté le 17 décembre 2014 à la projection du film "l'Affaire SK1, la traque de Guy Georges" en compagnie des deux avocates qui ont joué un rôle clé, tant dans la réalité que dans le long-métrage. PHOTO : Guy Georges, surnommé le "tueur de l'est parisien" le 19 mars 2001 à son arrivée devant la Cour d'assises du palais de Justice de Paris, pour l'ouverture de son procès. SORTIE EN SALLE : 7 janvier 2015. VIDEO :  [Verdict du procès de Guy Georges]

 

La première est Me Frédérique Pons, incarnée à l'écran par Nathalie Baye. Elle était l'avocate de Guy Georges aux côtés d'Alexandre Ursulet.

La seconde s'appelle Solange Doumic. Jouée par Alexia Barlier, elle représentait, du côté des parties civiles,  la famille de Pascale Escarfail, l'une des 7 jeunes femmes assassinées par le criminel.  "Toutes belles, violées et égorgées", comme le souligne à plusieurs reprises le film qui mêle avec efficacité l'obsédante et interminable recherche menée par les différentes équipes de la brigade criminelle et les audiences devant la cour d'assises qui ont abouti  à sa condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.

Cette issue était tout sauf une surprise mais sur la scène judiciaire et plus encore à l'écran, un suspens  poisseux parvient par instant à percer sur l'éventualité d'un dénouement qui aurait pu être différent. Le très documenté livre de la journaliste Patricia Tourancheau ("La traque", Fayard) a servi de bible pour le scénario. Enfin, pour friser la perfection dans l'hyperréalisme souhaité par le réalisateur Frédéric Tellier, les audiences ont été reconstituées, au détail près, et filmée dans la grande salle de la cour d'assises de Paris. Le film sort ce mercredi 7 janvier.

Treize ans après, les deux avocates assises dans la même salle

Le 17 décembre dernier, en avant-première, Frédérique Pons et Solange Doumic étaient toutes les deux invitées à faire face à celles qui les interprétent à l'écran. La projection privée est organisée en soirée, dans une salle des Champs-Elysées par la production et par l’association des avocats pénalistes. Alexia Barlier y est présente. Pas Nathalie Baye.

Comme souvent en ce genre de circonstances, avant le film, l’ambiance oscille entre celle du colloque du barreau et du cocktail de début de soirée. Il est simplement curieux de réaliser que les deux avocates sont assises  dans la même salle pour assister pour la seconde fois au même spectacle à treize ans d’intervalle et que cela  les ramène nécessairement aux mêmes jours de mars 2001. Deux heures de film pour trois semaines d’audience entrecoupés des sept années d’enquête policière. Du grand spectacle. Sans outrance, ce qu'aucun n'aurait accepté.

Les avocats formant naturellement un public volontiers persifleur, la salle se débarrasse de quelques ricanements imperceptibles dans les toutes premières minutes lorsqu'une petite liberté avec le déroulement du procès pénal est prise par le réalisateur - Nathalie Baye semble se lancer dans une longue plaidoirie alors que le procès vient à peine de commencer -. Mais l’essentiel n’est pas là. Le public est rapidement aspiré par le rythme du film. Et surtout, chacun attend "la" scène du procès. Pour savoir comment elle a été restituée. "La" scène est connue de tous les avocats pénalistes et chroniqueurs judiciaires. "La" scène est même à elle seule la raison d’être de cette projection judiciaire qui doit être suivie d’un débat sur "la conception du rôle et de la mission de l’avocat à l’audience". "La" scène est celle des aveux.

Question : "Avez-vous tué ?" Réponse : "Oui"

C’était le mardi 27 mars 2001. Le vrai Guy Georges est dans le box, les vrais parents de victimes alignés face à lui et, en guise de troisième côté du triangle, un public et des journalistes, nombreux. Guy Georges vient de passer la première semaine du procès à nier les crimes, suivant une stratégie qui consistait à  dénoncer de façon assez improbale la validité des tests génétiques ou encore des brutalités subies pour lui faire reconnaître des crimes qu'il n'avait pas commis. Mais cet après-midi-là, il répond aux  questions de ses propres avocats.

- "Avez-vous agressé Mademoiselle Ortéga  ?" - "Ouais".

Les questions portent ensuite sur les sept jeunes femmes violées et égorgées entre 1991 et 1997.

- Avez-vous tué Mademoiselle Escarfail ?" "- Oui". "- Avez-vous tué Mademoiselle Rocher ?" "- Oui." "Mademoiselle Bénady ?" "- Oui." "- Mademoiselle Nijkamp ?" "- Oui." "- Mademoiselle Frinking ?" "- Oui." "- Mademoiselle Sirotti ?" "- Oui." "- Mademoiselle Magd ?" "- Oui." 

Dans le film, les avocats se rassoient, comme soulagés. On a vu à l’écran quelques minutes plus tôt une autre scène majeure de la cour d’assises qui s’est déroulée la semaine précédente du procès alors que circulaient entre les magistrats, les jurés, les avocats et l’accusé des classeurs de photos regroupant les clichés pris sur les scènes de crime. Guy Georges les avaient observés longtemps. Immédiatement après, l’avocate Solange Doumic avait souhaité poser une question : "Vous êtes gaucher ou droitier ou les deux ?" "Droitier", avait répondu l’accusé. "Je suis étonnée, reprenait l’avocate. J’ai remarqué que lorsque vous tenez les photos de la main droite mais que vous bougez le micro du box et les pages du dossiers de la main gauche". Là, Guy Georges  avait eu ce geste étonnant : Gaucher "pour les photos, oui mais..." droitier "d’habitude...", avait-il lâché en haussant le ton et en levant brusquement un poing serré de la main droite, comme un geste menaçant. Stupeur dans la salle.

"Vous voulez dire que lorsque vous tenez un couteau, vous le tenez de la main droite", avait pu poursuivre l’avocate.

Et chacun dans la salle se souvient d’avoir vu Guy Georges maintenant quelques secondes en l’air son poing, laissant à chacun la possibilité d’y imaginer un couteau Opinel prêt à frapper une jeune femme "belle" qui à son tour au rejoint la série de celles qui furent "violées et égorgées". Ce sont des images que l'on a gardées en mémoire de façon très nette quand on assisté au procès depuis le box de la presse. Autre géométrie du procès, ce box des journalistes était précisément situé dans le prolongement du regard glacial avec lequel l’accusé avait fixé de longues secondes l’avocate, rageant de "s’être fait piéger". Ce regard-là était impressionnant. 

Une précision troublante

Dans les deux cas, les deux scènes du procès  sont interprétées à l’écran  avec une précision troublante tant elles donnent l’impression de les revivre dans le moindre détail. La salle de cinéma se fige même dans silence grave aux instants clés. Silence d’autant plus impressionnant que la salle d’assises filmée sur l’écran donne quant à elle à entendre un public qui se serait indigné bruyemment des semi-aveux du  vendredi. Alors que dans la réalité, le public était demeuré sidéré.

Solange Doumic, à l’issue de la projection, est d’ailleurs de cet avis :

A quelques infimes détails, la réalité est parfaitement restituée", dit-elle.

Elle n’est troublée que par l’abondance lacrymale prêtée à Guy Georges lors de la scène des aveux. "Je ne me souviens pas de l’avoir vu  pleurer de cette façon lors de l’audience". On se souvient que le tueur en sérieavait certes pleuré à l’issue de ses réponses mais pas à si chaudes larmes durant tout son interrogatoire. Frédérique Pons, quant à elle, veut rappeler que "ce n’est pas un documentaire mais une fiction qui est très proche de la réalité et qui peut-être touche davantage qu’un parfait documentaire". Mais outre cet hommage pour le cinéaste qu’elle connait bien, elle prend surtout la parole devant le public de la salle de cinéma pour expliquer sa place dans le jeu judiciaire :

Ce ne sont pas nous, avocats de Guy Georges, qui l’avons fait avouer ou avons provoqué d’une quelconque façon ses aveux. C’est Solange (Doumic) qui l’a fait". 

Pas plus de polémique. L’extrême fidélité du long-métrage est incontestablement à mettre à son crédit. "Mon souci était de faire le film le plus crédible possible. Je me suis très peu écarté de la réalité", affirme le réalisateur Frédéric Tellier. Seul un point pose véritablement problème. Un sacrifice au récit a été imposé au montage du film : il concerne les quelques jours du procès qui ont séparé la scène du couteau de Solange Doumic et celle des aveux obtenus par Fréderique Pons et Alexandre Ursulet. Au cinéma, rien ne montre cette période-là. Dans la réalité, les journées furent interminablement douloureuses avec une tension extrême provoquée par les dénégations de Guy Georges qui avait fini, au-delà même du couteau tenu de la main droite, par se perdre dans ses propres contradictions. Insultant la cour avant de l’inviter à prendre patience, jouant avec les nerfs de ses avocats - Fréderique Pons avait un jour éclaté en sanglots sur le banc de la défense - et résistant mal aux interrogations du président, Guy Georges s’était conduit lui-même aux bords des aveux. Ils avaient dégringolé ensuite, presque naturellement.   

La dramatugie du film amputée de la complexité du procès

Le rôle de la défense, au bout du compte, n’avait eu comme seul mérite de crever un abcès devenu insupportable au déroulement de l’audience. On se souvient avoir vu une mère de victime murmurer "Merci" à l’adresse de Guy Georges lorsqu’il avait avoué avoir tué sa fille et de nous avoir à la suspension d’audience confirmé au micro d'Europe 1 ce singulier mot de remerciement.

L’absence de ces jours de tension et de complexités est en réalité le seul défaut du film puisqu’elle prive le spectateur d’une clé majeure pour apréhender l'ampleur de l'audience et lui donne même à penser que la scène de l'avocat qui fait avouer son propre client en quelques jours  se serait réellement déroulée et avec une telle spontanéité. "L’affaire a imposé sa dramaturgie originelle", reconnait le réalisateur mais

Dix ans s’étant passés entre le premier crime et le procès, il a nécessairement fallu condenser".

Cette petite part d’indiscible qui manque au film n’enlève rien aux émotions ressenties au procès de 2001 et devant le film de 2015.  Dommage que les spectateurs qui n’auront pas la possibilité de voir  "l'Affaire SK1" avec Solange Doumic et Fréderique Pons soient nécessairement privés de cette utile précision. Elle peut manquer pour qui s'intéresse à "la conception du rôle et de la mission de l’avocat à l’audience". Dans cette si terrible et si lourde fresque criminelle, elle est presque aussi fascinante que la mécanique qui poussa Guy Georges à frapper de la main droite 7 jeunes femmes, "toutes belles, violées et égorgées".

SOURCE : Mathieu Delahousse in Le Nouvel Obs.

https://www.youtube.com/watch?v=88ylnxUNnJw