Sri-Lanka: les Tamouls se mobilisent!

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Les Indiens des Antilles d’origine dravidienne s’inquiètent à juste titre du nettoyage ethnique opéré par l’armée. Le président du Sri Lanka a promis cette semaine une victoire militaire "totale" et rapide sur les rebelles séparatistes tamouls qui subissent une déroute militaire sans précédent.
 
 
Photo: Velupillai Prabhakaran (chef des tigres tamouls)

 

 

Un peu d’ Histoire du Sri Lanka.

Cette île était nommée la Taprobane sur la carte de Ptolémée. Elle joua un rôle important dans les échanges commerciaux maritimes de l'Antiquité.

Une histoire deux fois millénaire
                 
            On n'a pas de certitude sur la période exacte de l'arrivée des premiers Tamouls sur l'île aujourd'hui appelée Sri Lanka. On fait remonter à environ 500 av. J.-C. la présence des Cinghalais, peuple aryen probablement en provenance du nord-ouest de l'Inde. Ils s'imposèrent facilement aux tribus aborigènes, les Veddas, dont quelques poignées de descendants survivent encore dans le centre du pays. Il est probable que des pêcheurs, puis des commerçants tamouls fréquentèrent le nord de l'île - à portée de rame, de voile et de regard - très tôt.

D'aucuns prétendent qu'ils l'auraient fait avant même les Cinghalais. Et c'est probablement vers le IVème ou le IIIème s. av. J.-C. que des agriculteurs tamouls vinrent s'istaller de façon sédentaire sur certaines parties du littoral pour y cultiver le riz.

 Le Mahavamsa (« la grande généalogie ») est un texte écrit (IVe siècle) en langue pâli par le moine Mahanama. Ce texte raconte les histoires des rois cinghalais et dravidiens de l'île. Il couvre une période qui s'étend de l'avènement du roi Vijaya en 543 avant J.-C. au règne du roi Mahasena (334-361 après J.-C.). Le Chulavamsa, ou « la petite généalogie » a continué cette tradition écrite jusqu'au XIXe siècle.

 Cette monumentale chronique historique rédigée par des moines bouddhistes de l'île au Vème s., le Mahâvamsa, permet par ailleurs de savoir que l'un des premiers souverains connus du pays fut le Tamoul Elâra, qui régna une quarantaine d'années (204-161 av. J.-C.) avant d'être vaincu par un Cinghalais, Duttagâmanî.

Elâra avait la réputation d'être un monarque droit et juste, ainsi qu'un excellent administrateur, ce qui lui valut de nombreux soutiens parmi les Cinghalais eux-mêmes. Il s'ensuivra une période de longs siècles où les rivalités et affrontements entre les deux peuples ou leurs chefs furent récurrents.

Le bouddhisme est introduit dans l'île au IIIe siècle av. J.-C., probablement sous l'impulsion de l'empereur indien Ashoka.

Une civilisation prospère se développa dans des villes comme Anurâdhapura (IIe siècle av. J.-C. - 1000) et Polonnâruvâ (1070 - 1200). Cette civilisation, au cours Ve siècle créa une société hydrologique centrée autour d'immenses réservoirs d'eau artificiels et sous l'influence paisible du Bouddhisme.

Le Sri Lanka connut, à plusieurs reprises, l'occupation de rois tamouls, en particulier sous l'empire de Chola, en Inde du sud.


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          La prééminence cinghalaise ne fut pas réellement contestée, ce qui permit le développement d'une capitale grandiose, Anurâdhapura, où s'élevèrent d'imposants monuments à la gloire du bouddhisme : les dagobas. La prospérité du royaume, qui s'étendait essentiellement des plaines arides de la moitié nord de l'île, reposait principalement sur un réseau d'irrigation remarquable.

   Curieusement, c'est souvent à des interventions sud-indiennes que les Cinghalais eurent recours lors des problèmes de succession à la tête du royaume. Mais lorsque les dynasties de l'actuel Tamil Nadu gagnèrent en puissance - notamment du Vème au VIIIème s. - l'île fut souvent menacée, d'autant que les autochtones tamouls établis depuis des siècles pouvaient constituer un appui aux Chola, Pândya et autres Pallava visant à soumettre le pays.

 

Toujours est-il qu'une culture tamoule se développa, notamment dans la péninsule de Jaffna, distincte de la culture cinghalaise sur les plan linguistique, religieux et social.

     Ennemis puis alliés des Pândya, les Cinghalais furent confrontés, dès le début du XIème s., à la puissance de l'empire tamoul de la vieille dynastie Chola. Le roi Mahinda V fut fait prisonnier et les nouveaux maîtres établirent leur capitale à Polonnâruwâ. Pendant environ soixante-quinze ans, avec notamment le règne de Rajaraja le Grand, Ceylan fut alors une province de l'empire chola.

En 1070, le roi cinghalais Vijaya Bâhu Ier parvient à chasser l'occupant, mais la communauté tamoule reste bien évidemment implantée dans ses zones traditionnelles, en particulier tout au nord. Un Etat ayant pour capitale Jaffna s'établira d'ailleurs, de façon indépendante, à partir de 1215, il sera florissant et, un siècle plus tard environ, tentera vainement de soumettre la partie cinghalaise de l'île.

     Les XIVème-XVème s. marquèrent le début de nouvelles vagues d'arrivants, à commencer par des commerçants arabes, les Moors, c'est-à-dire les "Maures" (on fait parfois remonter leur présence à partir du VIIIème s. !) Il eurent surtout des rapports privilégiés avec la communauté tamoule, dont ils adoptèrent la langue. Les musulmans sri lankais d'aujourd'hui sont d'ailleurs toujours tamoulophones. Ce fut ensuite le tour des Portugais, qui dominèrent l'essentiel de lîle à partir de 1505, mais durent attendre 1619 pour parvenir à s'emparer de Jaffna.

Entre temps, les Hollandais avaient déjà montré le bout de leur nez, et ils finirent par supplanter les Lusitaniens. L'ère coloniale battait son plein, économiquement fondée sur le négoce des épices. Anglais, Danois et Français manifestèrent des velléités d'établissement. Ainsi le port de Trincomalee fut entre les mains françaises jusqu'en 1795, année où les Britanniques le leur ravirent. Ces mêmes Britanniques affirmèrent peu à peu leurs prétentions et finirent par être les premiers Européens à soumettre entièrement l'île, en s'emparant en 1815 du centre et son royaume de Kandy. Il est à noter qu'en 1739, on avait fait appel à une dynastie originaire d'Inde du sud pour régner à Kandy : les Nayakkars.

Sous la colonisation britannique fut maintenue la séparation géographique entre zones tamoule et cinghalaise, et les autorités s'ingénièrent souvent à favoriser d'une certaine façon les minorités musulmane et tamoule... ce qui se paierait très cher des décennies plus tard. Autre fait capital : l'économie subit de profondes transformations, avec notamment l'introduction du système de plantations. Ce fut d'abord le café, à partir des années 1830. Pour la récolte, on faisait appel à des travailleurs saisonniers, Tamouls de basses castes ou parias de l'Inde du sud. Mais le fragile café succomba aux maladies et, dans les années 1880, on dut le remplacer par le thé et l'hévéa.

Pour ces cultures, la main-d'oeuvre devait être en permanence sur place, et ces "Tamouls indiens" restèrent donc à demeure, utilisés pour toutes sortes de travaux pénibles tels que la construction des routes et des voies ferrées. Un prolétariat misérable occupait ainsi une nouvelle place dans la société de l'île, en particulier dans la région des Hautes Terres.

La partie maritime de l'île tomba sous le contrôle du Portugal au XVIe siècle, puis sous celui des Néerlandais au siècle suivant, pour finir comme province de l'Empire britannique en 1796. Par la convention de Kandy, les Anglais prirent le contrôle de l'île en 1815. L'administration anglaise introduisit la culture du thé à Ceylan, ainsi qu'un réseau ferroviaire. Certains historiens indiquent que les Anglais appliquèrent le principe du diviser pour régner en opposant les Tamouls (minoritaires) aux Cingalais (majoritaires), par la politique de « représentation par comité » introduite au début du XXe siècle. Les politiques racistes de G. G. Ponnambalam, dirigeant tamoul, et de son homologue cingalais, S. W. R. D. Bandaranaike déclenchèrent, pendant les années 30, des troubles entre les deux communautés. Les premiers affrontements eurent lieu en 1939, après un discours enflammé du dirigeant tamoul Ponnamabalam. Par contre, les actions indépendantistes furent non-violentes et adoptèrent une approche progressive et constitutionnelle.

Un gouvernement modéré, dirigé par D. S. Senanayake (premier ministre) déclara l'indépendance le 4 février 1948. Après la mort de Senanayake, une coalition nationaliste cingalaise menée par Bandaranaike gagna les élections. Le gouvernement de S. W. R. D. Bandaranaike, au pouvoir en 1956, instaura le cingalais comme seule langue officielle.

Les Tamouls, surtout le parti souverainiste tamoul (Tamil Arasu Kachchi), utilisèrent le sentiment nationaliste de leur communauté, pour organiser des manifestations contre l'usage d'une seule langue officielle. Les affrontements entre les Tamouls et les Cingalais des années 1950 aux années 1970 et surtout en 1983 ont abouti à une bipolarisation de la société srilankaise en deux groupes hostiles. En 1977, une modification de la loi sur la langue officielle reconnaît le tamoul comme langue officielle (au même titre que le cingalais).

Cette loi arriva trop tard. Une guerre civile opposant le gouvernement central et l'organisation des Tamouls Tigres de libération de l'Eelam tamoul prit de l'ampleur à compter de 1983. Mais, prenant en compte les évènements d'avant la guerre proprement dite, elle a causé la mort de plus de 100 000 personnes depuis 1972 ; ce conflit a connu une trêve entre 2002 et 2005, mais les affrontements et les attentats ont repris depuis la fin 2005. De nouveaux affrontements entre le Gouvernement et le LTTE (depuis août 2007) sont toujours en cours.

Le Sri Lanka et le combat des Tigres Tamouls

Depuis plusieurs années, le Sri Lanka est aux prises avec un conflit sanglant opposant le gouvernement de la majorité cinghalaise bouddhiste, environ 70% de la population, et la minorité tamoule hindoue qui regroupe environ 15% de la population de l’île. Ce conflit oppose l’armée à une guérilla nommée LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam).

Cette dernière, a comme objectif premier l’indépendance nationale des Tamouls dans la création d’un état indépendant dans la partie nord-est du Sri Lanka. Ce conflit, qui repose sur des bases nationalistes, une idéologie commune à plusieurs guérilla du XXe siècle, perdure depuis déjà 22 ans. En effet, depuis leurs premières actions contre la police et l’armée, le LTTE est devenu une organisation puissante qui a toujours tenu le gouvernement de l’île sur leurs talons et même a créé un contre-état fantôme dans le nord-est de l’île. Aussi le LTTE n’est pas une guérilla comme les autres elle a une forme un peu différente des guérillas classiques.

Les origines du conflit

Tout d’abord, Ceylan devient indépendante en 1948, après 150 ans de présence britannique qui laisse à Ceylan un régime parlementaire laïque dominé par deux partis, l’UNP et le SLFP composés en majorité de Cinghalais. Les Cinghalais bouddhistes, se sentent minoritaires car ils sont entourés d’hindous d’abord, les Tamouls du Sri Lanka, et ils s’inquiètent de la proximité de l’Inde qui n’est séparée que par la trentaine de kilomètres du détroit de Palk.

Les Cinghalais prennent donc des mesures chauvines et votent au parlement dès 1948 une première constitution qui fait du cinghalais la langue officielle du pays. Au fil des ans les Cinghalais opèrent une “ détamoulisation ” de la fonction publique qui par exemple, fait passer le pourcentage de Tamouls dans l’armée de 40% en 1956 à 1% en 1970. En même temps les Cinghalais s’approprient les postes importants de la société.

En 1972 une nouvelle constitution fait de l’État le promoteur et le protecteur du bouddhisme. L’État maintient les zones tamoules dans le sous-développement économique et va même jusqu’à implanter des colons en zones traditionnellement tamoules.

L’apparition des Tigres

Nécessairement, les mesures adoptées par les Cinghalais bouddhistes aux dépens de la minorité tamoule a entraîné une radicalisation de celle-ci et dès le début des années 70 certains représentants et intellectuels commencèrent à promouvoir des idées indépendantistes et rapidement les vieux partis autonomistes plus modérés disparurent pour faire place aux partis plus radicaux.

Toutefois, très rapidement, d’autres organisations apparurent avec l’idée d’une indépendance faite par les armes.  C’est ainsi qu’apparut en 1972 une organisation connue sous le nom de TNT (Tamil New Tigers) fondée par un jeune fils de pêcheur âgé de 18 ans nommé Velupillai Prabhakaran. Ce dernier deviendra en 1983 chef suprême du LTTE ou Tigres Libérateurs de l’Eelam Tamoul, nouvelle appellation du TNT depuis 1976. Cette organisation qui, à la base suivait la doctrine marxiste, a rapidement changé pour adopter une idéologie beaucoup plus nationaliste et a comme principal objectif la formation d’un état indépendant Tamoul dans la parti nord-est de l’île.

Prabhkaran est un leader qui a instauré une structure rigide et totalitaire au  mouvement “ selon le schéma marxiste-léniniste classique avec au sommet un comité central et un “ politburo ” et à la base des comités populaires encadrés par des commissaires politiques chargés de la propagande.

”1 Le LTTE fut la première organisation à dénoncer les partis politiques tamouls modérés et à revendiquer l’action radicale armée dans le but d’obtenir l’indépendance mais elle fut rapidement suivie par d’autres organisations comme le TELO, le PLOTE, l’EPRLF et l’ÉROS pour la plupart tous des mouvements marxistes et souvent fondés par des anciens Tigres ayant quitté le mouvement en désaccord avec les politiques appliquées.

Le LTTE fait son premier gros coup en 1983 en tuant une douzaine de soldats de l’armée lors d’une embuscade et c’est à partir de ce moment là que la guerre civile éclata pour de bon dans l’île. Rapidement, les Tigres vont gagner une réputation d’invincibilité militaire et réussiront à contrôler tout le nord-est de l’île. Grâce à leur armement puissant il mène deux guerres.

La première dans le nord où la population est à 95% tamoule, est une véritable guerre de position classique avec artillerie, blindés et même des combats en mer, car les Tigres disposent d’une flotte importante d’embarcations rapides. La deuxième guerre, est menée dans la jungle de l’est où ils mènent une guerre de guérilla classique de harcèlement et de “ coup de main ”. Le LTTE a pu maintenir sa puissance militaire pendant toutes ces années grâce à des alliés pro-révolutionnaire comme la Libye, la Corée du Nord et aussi l’aide des Palestiniens. Aussi grâce à la proximité de l’Inde, plus particulièrement l’État de Tamil Nadu où ils peuvent se replier en cas de besoin et obtenir de l’aide des autorités locales et enfin le LTTE comme les autres guérillas tamouls ont pu se financer par des activités criminelles comme le trafic de drogue.

Déclin du LTTE

Après s’être gagnés la réputation d’invincibilité pendant les années 80, les Tigres réussissant à détruire les guérillas concurrentes et à repousser l’Armé Indienne de maintien de la paix (IPKF) de 1987 à 1990 suite à un accord Indo-Sri-Lankais, le LTTE a commencé à perdre de son prestige au début des années 90, les dissidences dans le mouvement commençant à se faire sentir et la perte de l’appui du Tamil Nadu après l’accord Indo-Sri-Lankais, ainsi qu’une meilleure stratégie de l’armée Sri-Lankaise ont été des coups dur pour les Tigres.

Aussi, le LTTE a perdu l’opinion internationale qui lui était favorable à la suite d’un début de nettoyage ethnique. Aussi, les attentats suicides commis par les Black Tigers, constitués en majorité de jeunes filles pour des raisons de détection, et l’utilisation d’escadrons d’enfants pour lutter contre l’armée n’ont pas aidé la cause des Tigres.  Il y a eu aussi plusieurs purges effectués à l’intérieur du LTTE.

Conclusion

En conclusion, les Tigres Tamouls malgré leurs excès ne sont pas très différents des autres guérillas du XXe siècle.  En effet, comme pour Cuba, les Tigres se battent pour leur indépendance nationale, pour leur culture, et par leur idéologie marxisante, pour une société égalitaire, et il semble, grâce à leur réseau international de financement, qu’ils réussiront peut-être un jour à atteindre leurs objectifs. C’est certainement à espérer qu’au moins la situation finisse par se régler car tant du côté Cinghalais que du côté Tamoul cette guerre a fait des milliers de victimes.

Olivier Saindon (sciences humaines)

Les chiffres : En plus des 73% de Cinghalais en majorité bouddhiste et des 18% de Tamouls en majorité hindous, il y a 5% de Cinghalais et de Tamouls qui sont de confession chrétienne. Vient se rajouter à cela 7% de Moors, descendants de marins musulmans arabes arrivés entre le VIIIe et le Xe siècles et de Tamouls islamisés. Cette minorité parle un tamoul arabisé. Finalement il y 1% de la population qui fait partie de la minorité Burghers, métis descendants des européens et les Veddas, aborigènes du Sri Lanka.