C’était en 2008, juste avant Halloween; je venais de sortir de chez moi pour faire un tour. C’est alors j’ai aperçu cinq citrouilles alignées sur le perron d’une maison voisine; on avait creusé dans chacune d’entre elles l’une des lettres du nom de famille de Barack Obama. Nous étions alors une semaine avant la présidentielle, et je me souviens avoir été touchée par cette marque de soutien (bien de saison) au candidat démocrate. Je suis arrivée au coin de la rue, et j’ai remarqué qu’on avait fait de même dans une maison voisine: une rangée de cinq citrouilles, chacune gravée d’une lettre du nom d’Obama. Bon, d’accord, ce n’était peut-être pas aussi original que je l’avais pensé –mais en tant que femme de gauche, je trouvais tout de même cela encourageant. Après tout, je n’habite pas à Brooklyn où à Berkeley, mais dans la banlieue de St. Louis, Missouri –un «Etat girouette» qui, pour la petite histoire, n’a finalement pas voté pour Obama en 2008 (à… 0,1% près).
Cette année, pour Halloween, il va sans dire que je ne m’attendais pas à apercevoir de citrouilles-Obama (à moins que je ne les creuse moi-même). Il y a deux ans, Obama déchaînait l’enthousiasme, souvent chez des personnes qui ne s’intéressaient pas vraiment à la politique, et dont les marques de soutien dépassaient de loin les habituels autocollants et autres badges (vous souvenez-vous de ces jeunes électeurs qui étaient allés jusqu’à faire d’Hussein leur deuxième prénom?). Aujourd’hui, non seulement les membres du Tea Party lui vouent une haine tenace, mais ses plus fidèles partisans (Shepard Fairey, créateur du poster «Hope», et Obama Girl, la militante rendue célèbre par YouTube) font montre de moins d’ardeur. Interrogée par le New York Post en janvier dernier, Obama Girl (alias Amber Lee Ettinger) a déclaré que si elle devait noter le président, elle lui donnerait la note de B-: «A mon avis, il accorde beaucoup plus d’attention aux emplois et à l’économie.»
Qui a cru qu'il pourrait tout faire?
Quant à moi, je n’ai pas changé d’avis. Voilà deux ans que j’ai voté pour lui, mais je suis toujours enthousiaste –aussi enthousiaste que l’était Oprah Winfrey à Grant Park, le 4 novembre 2008. On pourrait dire (pour emprunter l’accusation souvent prononcée à l’encontre des médias en 2008) que je «roule» toujours pour Obama. Le seul problème, c’est que j’ai désormais l’impression de rouler seule. Au début de cet automne, j’ai entendu des présentateurs de la NRP faire des blagues qui semblaient directement issues du répertoire de Rush Limbaugh [animateur radio de droite]. Dans la bande-annonce d’un récent épisode du jeu radiophonique «Wait Wait… Don’t Tell Me!», on apprenait ainsi que l’une des citations «stimulantes» inscrites sur la moquette du Bureau ovale était «Au moins, tes filles t’aiment toujours… enfin, probablement». J’ai ressenti la solitude caractéristique de la fêtarde abandonné par le reste des invités peu après une soirée endiablée.
Plus sérieusement, je suis franchement surprise de voir autant de gens s’en prendre au président. Alors bien sûr, la vie est dure, et ce tout particulièrement lorsque l’on a perdu son emploi –mais les électeurs pensaient-ils vraiment que le président pourrait redresser le pays en un clin d’œil dès son élection? D’accord, il n’a pas tenu toutes ses promesses de campagne, mais cela devrait-il encore nous surprendre? Autant s’étonner du fait que vous n’ayez pas perdu autant de poids que Valerie Bertinelli en suivant un régime «Jenny Craig», ou que votre dernier matelas en «mousse à mémoire de forme» ne vous a pas encore guéri, comme par magie, de vos insomnies.
Je comprends parfaitement le mécontentement de certains électeurs sur plusieurs sujets –la fermeture toujours repoussée du camp de détention de Guantanamo Bay, par exemple. Obama n’est certes pas parfait –mais quel président peut l’être? En deux ans de présidence, je ne crois pas l’avoir vu faire une seule erreur majeure (alors que tout électeur doué de raison semble penser le contraire). Le plan de relance n’était peut-être pas parfait, mais il a empêché le pire. La réforme du système de santé offrira une meilleure couverture –ou une couverture tout court– à des millions d’Américains, enfants et personnes souffrant de maladies préexistantes compris. Grâce à l’American Recovery and Reinvestment Act, des milliards de dollars vont être alloués à l’éducation et aux infrastructures.
Et pour ce qui est de la marée noire de BP, franchement, je ne sais pas ce qu’Obama aurait pu faire de plus –même si je suis d’accord pour dire qu’il a sans doute commis une erreur en nageant avec sa fille Sasha dans les eaux de Floride; décision prise sous la pression politique, dans le but de préserver son «image» (photo: REUTERS/Pete Souza-The White House).
D’accord, il n’a pas demandé au Congrès d’abroger la politique du «don’t ask, don’t tell» –mais il nous promet qu’il veut le faire, et il a récemment déclaré que pour ce qui était du mariage homosexuel, son opinion pouvait encore «évoluer». Et je dois certes avouer avoir été un peu surprise lorsqu’il a annoncé l’envoi de soldats en Afghanistan en décembre 2009. Mais si nombre de commentateurs ont critiqué son indécision quant à la guerre, son refus d’agir à la va-vite m’a au contraire rassurée. En général, lorsque j’entend les critiques qui visent Obama –trop imposant, trop bizarre, trop réservé, disposé à entendre plusieurs points de vues avant de prendre une décision, amateur de salade de roquette– je me dis souvent: «Et c’est sensé être négatif, tout ça?»
Honte de Bush, fière d'Obama
Ah, mes chers compatriotes, comme vous avez la mémoire courte! Les huit années de présidence de George W. Bush ont été abominables –aussi le plaisir d’avoir un président vif d’esprit (et qui ne se vante pas de mener sa politique étrangère avec ses tripes) est-il pour moi toujours bien présent. A chaque fois que je voyais Bush s’exprimer sans notes, j’avais tour à tour honte pour lui et honte de lui. J’avais envie de me cacher les yeux; comme si j’étais en train de regarder un patineur sur glace rater un double lutz. A chaque fois que je rencontrais un étranger, je me sentais toujours obligée de préciser que je ne n’avais pas voté pour lui.
Lorsque je vois Obama à la télévision, en revanche, je suis toujours frappée par son intelligence et son charisme, par son humour décontracté, par la splendeur de son éclatant sourire. C’est bien simple: il me rend fière. On peut considérer qu’il y a deux catégories de détracteurs d’Obama: d’un côté, les conservateurs qui n’ont jamais apprécié l’homme, et qui ont, pour certains, perdu la tête depuis qu’il est élu; de l’autre, les centristes et les démocrates qui ont voté pour lui, et qui sont aujourd’hui déçus. Compte tenu de la nature viscérale de mon soutien au président, il me faut bien admettre que j’appartiens plutôt à la catégorie des détraqués. J’entends par là que mon admiration pour le président est l’inverse de l’antipathie dont font preuve les anti-Obama de droite: je pourrais prétendre que c’est uniquement une question de politique, mais c’est en fait bien plus personnel que cela. Si une partie des détracteurs d’Obama ne l’apprécient pas parce qu’ils ont –par exemple– l’impression qu’il est musulman, les raisons de mon admiration sont tout aussi vagues (mais tout de même plus ancrées dans la réalité).
J’aime le fait qu’il soit marié (et visiblement toujours épris) d’une femme de caractère et d’opinion, magnifique de surcroît; qu’il ait deux filles mignonnes à souhait. J’aime sa famille époustouflante de multiculturalisme. J’aime le fait qu’il ait pu parler du frottis de dépistage du cancer du col de l’utérus dans une interview accordée au magazine Glamour, sans gêne aucune et en maîtrisant bien le sujet. J’ai trouvé que le «sommet de la bière» (2009) était une initiative tout a fait charmante. J’ai même été enthousiasmée d’apprendre qu’Obama allait recevoir le prix Nobel de la Paix; je n’ai compris que plus tard, en écoutant les commentateurs, que j’étais sensée être interloquée par cette distinction pour le moins précoce.
Quant à la prétendue gaffe du débat de 2008, lorsque Obama avait lancé à Hillary qu’elle était «relativement sympathique» (Frank Rich, irréprochable par ailleurs, y faisait encore référence dans une chronique de septembre dernier), elle ne m’avait pas choquée le moins du monde. D’ailleurs, j’ai oublié de préciser que j’ai voté pour Hillary aux primaires démocrates du Missouri en 2008. Je me disais que huit années de présidence Clinton, avec Obama comme vice-président, serait une bonne entrée en matière; Obama gagnerait les deux élections suivantes –et nous aurions ainsi le plat de résistance. J’ai toujours été une grande admiratrice d’Obama, mais mon absence de déception vient peut-être du fait que j’avais d’abord soutenu Hillary Clinton, à la différence d’autres obamaniaques. Leur amour pour Obama était si passionnel et ardent qu’il ne pouvait survivre à la campagne; mon affection étant plus mesurée, elle a grandi avec le temps.
En fait, j’aime tellement Obama qu’il y a peu, je me suis dit que si nous étions en 1961, j’aurais probablement un buste de lui dans mon salon. Et puis je me suis rendu compte que j’avais déjà l’équivalent, version 2010: j’ai accroché au mur la célèbre couverture du New Yorker de novembre 2008: on y voit le Lincoln Memorial, de nuit, éclairé par la lettre «O» du titre du magazine, qui remplace la Lune. Sur mon bureau, je garde une photo d’Obama que j’avais aperçue sur le Huffington Post, en mai 2009; le président est dans le Bureau ovale, et il se penche pour qu’un petit garçon afro-américain puisse lui toucher la tête.
L’enfant était en fait le fils d’un employé du gouvernement, et selon la légende de la photographie offerte par le compte Flickr de la Maison Blanche, il se penchait pour que «le jeune garçon sache si la coupe de cheveux du président ressemblait à la sienne au toucher».
Ce n’était peut-être qu’un bon coup de com, mais je m’en moque: à chaque fois que je regarde cette photographie, j’ai presque les larmes aux yeux. Elle me rappelle l’excitation et l’espoir que je ressentais en 2008; comme si l’Amérique, en élisant Obama, avait donné le meilleur d’elle-même, le meilleur de son intelligence, de sa tolérance. Comme si Obama représentait réellement un «changement dans lequel on pouvait croire». Alors oui, c’est vrai, deux longues années ont passé depuis; deux années difficiles, pour bien des Américains. Mais je ne pense pas que ce soit la faute d’Obama.
Ne pas regretter
Toute hyperbole mise à part, je n’imagine pas réellement être la toute dernière supportrice d’Obama. Lorsque j’interroge les gens qui m’entourent, je me rends vite compte que les électeurs qui se disent déçus par le président ne le sont pas autant que les médias voudraient nous le faire croire; et nombre d’entre eux ne sont pas déçus du tout. D’ailleurs, plusieurs connaissances m’ont dit être étonnées d’entendre parler d’une baisse de popularité brutale et universelle du président. Je sais bien qu’il y a beaucoup de gens dans mon cas (parmi les clients de la chaîne de magasins Whole Foods, les auditeurs de la station NPR, les lecteurs et les journalistes de Slate, par exemple); d’ailleurs, dans l’Etat où je vis, il est impossible de ne pas croiser des électeurs de tous bords.
Pendant les années George W. Bush, plusieurs de mes amis démocrates possédait un magnet très à la mode; c’était une photographie de Bill Clinton, l’air sérieux, les mains jointes –frappée d’un texte sans ponctuation: «REVIENS BILL ON TE PARDONNE TOUT». Si les démocrates continuent de se convaincre, et de convaincre les électeurs indécis, que notre président collectionne les échecs et les défauts, on verra un magnet similaire à l’effigie d’Obama dès 2013 – nous serons alors sous l’administration Mitt Romney, Mick Huckabee ou, Dieu nous en garde, Sarah Palin.
Mais même si mes pires cauchemars politiques finissent par se réaliser, je sais que je n’achèterai jamais un magnet de ce type. Car au final, je ne pense pas qu’Obama ait quoi que ce soit à se faire pardonner…
Curtis Sittenfeld
Traduit par Jean-Clément Nau