UAG : VIF SUCCÈS DE LA CONFÉRENCE DU PROF. RALPH LUDWIG " AUX ORIGINES DE LA CRÉOLISTIQUE"

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"Aux Origines de la créolistique"

 

Le premier "VENDREDI DE LA FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES" s'est tenu avec succès (près de 80 personnes présentes) à l'amphithéâtre Hélène Sellaye de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines ce vendredi 26 avril.

Le conférencier, le Pr Ralph LUDWIG de l'Université de Halle-Wittenberg, éminent linguiste, nous a entretenu du thème suivant : "Aux Origines de la créolistique".

   Ci-joint, la présentation faite par le doyen de la faculté, le Pr Raphaël CONFIANT.

 

 

Mesdames et messieurs,


Chers collègues,


 

   C’est avec un très grand plaisir que nous accueillons ici ce soir, à l’occasion du 1er « Vendredi de la Faculté des Lettres et Sciences humaines », le professeur Ralph Ludwig de l’université de Halle-Wittenberg dans ce qui fut jadis l’Allemagne de l’Est. Prestigieuse institution s’il en est puisqu’elle fut celle de Martin Luther, fondateur du protestantisme et forgeron de l’allemand littéraire à travers sa formidable traduction de la Bible encore en usage de nos jours. Luther, on s’en souvient, cloua ses thèses réformatrices, et considérées comme subversives, sur les portes de la cathédrale de la ville de Wittenberg. Halle-Wittenberg est également l’université de l’un des pères de la créolistique, Hugo Schuchard, que le professeur Ludwig ne manquera pas d’évoquer tout à l’heure dans sa conférence. Notre collègue Malissa Conseil vient de vous dresser l’impressionnant tableau de la carrière et des publications du Pr Ludwig, qu’il me soit permis brièvement d’évoquer l’homme et l’ami puisque nous nous connaissons et travaillons ensemble depuis plus d’une vingtaine d’années, depuis l’époque en fait où il était en poste à l’université de Fribourg. La première qualité qu’il faut reconnaître à Ralph Ludwig est le respect profond qu’il a toujours montré et démontré à l’égard de notre langue et de notre culture créoles. Il ne fait pas partie de ces chercheurs occidentaux prédateurs qui délimitent leur petit terrain d’enquête à eux quelque part dans le Tiers-monde, s’empressent de recueillir des données, avant de s’en retourner dans leur université européenne ou nord-américaine où ils passeront leur thèse, rédigeront des articles et des livres sans jamais que la société ou la langue qu’ils ont étudiées en tire le moindre bénéfice. Je veux dire par là que Ralph Ludwig n’est pas de ceux qui ont cherché à faire carrière sur notre dos. C’est ce qui explique que dès ses premiers contacts en Guadeloupe avec les créolistes Hector Poullet et Sylviane Telchid, il s’est toujours efforcé d’apporter sa contribution scientifique à un combat, celui du créole, trop souvent marqué au coin de l’idéologie. En effet, contrairement à son collègue natif, le chercheur étranger est en mesure de prendre une plus grande distance à l’égard de son objet d’étude, il peut mettre en œuvre cette fameuse « neutralité axiologique » que réclamait Max Weber, autre éminent compatriote de Ralph Ludwig, et de par son positionnement, il peut donc mettre en garde les chercheurs natifs contre un certain nombre d’erreurs et d’approximations. L’exemple concret concernant Ralph Ludwig est sa participation active à la deuxième édition du « Dictionnaire du créole guadeloupéen » lorsqu’il y a apporté des analyses grammaticales qui ont grandement amendé celles qui figuraient dans la première édition. A côté donc de ses articles publiés dans des revues de linguistique de haut niveau et des ouvrages qu’il a soit coordonnés soit écrits lui-même,  le Pr Ludwig n’a donc pas hésité à se salir les mains en participant activement à l’équipement de la langue créole. Je voudrais ici publiquement le remercier de l’aide précieuse qu’il nous a apportée d’autant que progressivement, il est passé de l’étude du guadeloupéen à celui du martiniquais et des autres créoles des Petites Antilles. Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’à l’heure actuelle, Ralph Ludwig est considéré comme LE spécialiste des créoles de notre zone, non seulement en Allemagne et en France mais également au niveau mondial. Nous avons donc l’honneur d’accueillir une sommité en matière de créolistique, discipline, mais il se chargera de vous le dire tout à l’heure, qui a été développée par davantage de chercheurs allemands que de chercheurs français parmi lesquels outre Hugo Schuchard déjà cité, Annégret Bollée et Sybille Kriegel. Sans déflorer le sujet, il me semble pour ma part, que ce qui peut paraître comme une étrangeté ne l’est pas autant que cela lorsqu’on sait que la France est depuis bientôt 4 siècles un état fortement centralisé, jacobin, qui jusqu’à aujourd’hui se méfie des langues et cultures régionales. Ainsi, à la date d’aujourd’hui, contrairement aux promesses des hommes politiques de tous bords, la Charte Européenne des langues régionales n’a toujours pas été signée par la France et le corse, le basque, le breton, l’occitan tout comme le créole en pâtissent lourdement, freinées qu’elles sont dans leur renaissance ou leur développement.

   Romaniste de formation donc, grand connaisseur du français et de l’espagnol qu’il enseigne à l’université de Halle-Wittenberg, spécialiste de l’espagnol en contact sur le continent sud-américain, Ralph Ludwig en est donc venu à l’étude syntaxique des créoles et aux questions sociolinguistiques liées à la problématique des langues en contact. Il a ainsi mené des enquêtes de terrain en Guadeloupe et à la Dominique et par la suite, à la Martinique. Et c’est tout naturellement qu’il s’est également intéressé à ce que l’on appelle généralement « le français régional » c’est-à-dire la variété de français en usage en Guadeloupe, en Guyane et en Martinique. Ce français régional ne possède pas encore de légitimité car non reconnu par ses propres locuteurs qui le confondent généralement avec le « français créolisé » dit parfois « français-banane ». Or, si ce dernier résulte de la mauvaise appropriation du français par des créolophones unilingues ou quasi-unilingues, le premier, à savoir le français régional, résulte d’une nativisation du français aux Antilles, certes sous l’influence du créole, nativisation qui a entraîné l’émergence d’une norme endogène qui elle non plus n’est pas perçue par ceux qui l’utilisent. Ce français régional n’est pas non plus à confondre avec le français des auteurs de la Créolité qui, comme toute langue d’écrivain, est une langue fictive, inventée, puisque tout écrivain, comme on le sait, écrit en quelque sorte dans une langue étrangère. Il y aurait sans doute lieu de parler alors non pas de diglossie, mais de triglossie, voire de tétraglossie à l’instar de notre ami commun, hélas disparu, Guy HAZAEL-MASSIEUX, guadeloupéen et fondateur des études créoles au sein de l’Université d’Aix-en-Provence où se trouve d’ailleurs le seul et unique centre d’études créoles de France et de Navarre. Mais le Pr Ludwig nous éclairera sur tout cela tout à l’heure.  

   Non content de s’adonner à des études linguistiques concernant les langues romanes et créoles, le Pr Ludwig en est venu tout naturellement à l’étude des littératures antillaises francophones. Cette double casquette de linguiste et d’analyste littéraire peut paraître bizarre dans un monde universitaire fortement cloisonné où chaque discipline veille jalousement sur son pré-carré, mais elle se justifie pleinement s’agissant de nos littératures qui sont le lieu au sein duquel sont en train de se forger, tant au niveau du créole que du français, les langues qui seront les mieux à même de nous représenter. Jean Bernabé, fondateur du GEREC et éminent linguiste martiniquais, n’écrivait-il pas ainsi que les auteurs créolophones sont des créateurs de langues, de véritables forgerons du langage ? Cela est tout aussi vrai de nos auteurs francophones qui s’écartent du français standard jugé peu apte à exprimer notre personnalité ou notre identité. Le Pr Ludwig a donc eu l’idée de rassembler une douzaine d’’écrivains antillais autour d’un projet de recueil de nouvelles intitulé « ECRIRE LA PROLE DE NUIT », publié en 1994 aux éditions Gallimard, avec une préface fort éclairante de sa plume. Cet ouvrage, qui s’est vendu à 12.000 exemplaires, à la date d’aujourd’hui est devenu un best-seller dans sa catégorie et est étudié dans beaucoup d’universités de par le monde. Je laisse notre invité en parler plus longuement, mais au cas où il en viendrait à l’oublier, je tiens à préciser que cet ouvrage a été l’occasion de voir pour la première fois publié un texte en créole par un grand éditeur français : il s’agit de la nouvelle écrite par Sylviane Telchid.

   Actuellement, le Pr Ludwig travaille sur la littérature martiniquaise qui évoque le Saint-Pierre d’avant l’éruption de la montagne Pelée en 1902, découvrant au cours de ses recherches des textes inédits, inconnus du grand public et même de nous autres, universitaires martiniquais. En effet, à côté des textes désormais classiques d’auteurs tels que Lafcadio Hearn ou Raphaël Tardon, il a pu inventorier un nombre assez conséquent d’autres évocations de ce que l’on appelait à l’époque « Le Petit Paris des Antilles ». Ces recherches aboutiront à la publication d’un ouvrage qui permettra de mieux comprendre de quelle façon s’est forgé, par le biais de la littérature, du journalisme et même de la photographie le mythe de la ville martyre. 

   Enfin, je ne saurais terminer cette présentation de notre hôte sans évoquer les programmes de recherches qu’il est venu mettre en place entre son université, celle de Halle-Wittenberg, et la nôtre, l’UAG, cela par le biais du groupe de recherches de notre faculté, le CRILLASH. Le Pr Ludwig sera d’ailleurs coéditeur d’un prochain numéro d’ARCHIPELIES, la revue du CRILLASH, sur le thème « Herméneutique et mémoire », densifiant ainsi les communications d’une de nos journées d’études consacrée à ce thème l’an dernier.

   Merci donc cher professeur Ludwig de travailler sur notre langue et notre littérature !  Merci de votre implication et du respect que vous nous portez !

 

                                                                       Raphaël CONFIANT