Un être humain n'appartient qu'à lui-même.

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L’amour, on le voudrait pour toujours. Alors, quand l’envie d’ailleurs s’installe, la souffrance s’empare de nous. Comment faire rimer fidélité avec respect ? s’interroge Claude Halmos.
 

 

Ils se marièrent et eurent
beaucoup d’enfants… » D’accord… mais après ? A cette question, les
contes de notre enfance se gardent bien de répondre. Prudents – ou
hypocrites –, ils s’arrêtent au seuil de la vie réelle. Prenant soin
d’inscrire le mot « fin » avant que ne se fanent, telles les fleurs de
la fête, les délicieuses illusions de la passion naissante.

Pourquoi le déplorer ? Parce que la vie – la vraie – est une vilaine chanson dans laquelle « amour » ne rime pas forcément avec « toujours ». Et qu’à ne pas l’expliquer aux « gens » – et surtout aux « jeunes gens » – on fabrique bien des malheurs inutiles.
Comment, en effet, ignorant de la chose, ne pas s’accuser, se culpabiliser lorsque le disque grince : « Vous voyez bien que je ne suis pas capable de garder une femme. La mienne veut divorcer… »
 
Pourquoi l’amour est-il si rarement éternel ?


Parce qu’il est ce que, en termes financiers, on pourrait appeler un « placement » mutuel. Chacun croise l’autre à un instant « T » de sa vie, et le « choisit » en fonction de ce qu’il a, à ce moment-là, à investir (consciemment et surtout inconsciemment). Chacun est pour l’autre le bon « placement » du moment.

Ensuite… la vie avance et chacun évolue. Parfois les routes restent parallèles : on peut continuer à cheminer ensemble. Parfois elles se séparent : on n’a plus la même chose à « placer » ou bien l’autre n’est plus à même de le recevoir.

Si l’on peut néanmoins, les sentiments aidant, négocier dans bien des domaines la survie du couple : « On n’a plus autant de choses en commun, c’est vrai, mais on s’aime toujours », il en est un où le bât blesse particulièrement : la sexualité.
 
Que faire quand le désir n’est plus au rendez-vous ?


N’en déplaise aux docteurs miracles de la chose, la solution n’est simple pour personne. Nombreux sont ceux qui se retrouvent devant une alternative tragique :
– Casser le couple au nom d’une sexualité « qui n’est plus ce qu’elle était » alors même que des liens forts continuent d’exister.


– Ou bien le préserver au risque que – le sexe étant mis hors jeu – chacun s’enlise dans une vie de « mort vivant » et bien souvent la haine de l’autre rendu – au moins inconsciemment – responsable de la situation.
Peut-on échapper à ce dilemme ? Certains veulent le croire et tentent une « troisième voie ». Décidés à ne renoncer ni à leur couple ni à la sexualité, ils gardent le premier et vont, parallèlement, « voir ailleurs », chercher ailleurs ce qu’ils ne trouvent plus « chez eux ».


Solution simple ? On aimerait le croire. Nous aimerions tous être capables de passer « légèrement » d’une aventure à une autre. Sans affects, sans douleur, sans le poids de ces liens qui finissent toujours par se tisser et dont il faut à chaque fois se défaire. Mais n’est pas libertin qui veut… et surtout pas les femmes, dont le cœur ne manque jamais de palpiter à l’unisson du sexe.
 
Dans la réalité, l’opération “aller voir ailleurs” ne s’effectue jamais sans difficultés et sans douleurs :


Pour celui (celle) qui « reste », condamné(e) à la souffrance de l’abandon, à celle de la « dénarcissisation » (quelle valeur puis-je avoir à mes propres yeux, si l’autre ne veut plus de moi ?) et de la confrontation imaginaire au (à la) rival(e) (qu’a-t-il, qu’a-t-elle de plus que moi ?). Avec ce qu’elle suppose toujours de renvoi possible à des douleurs antérieures : « Ma mère, déjà, préférait ma sœur. »
– Mais aussi pour celui (celle) qui tente l’aventure, car il (elle) échappe rarement à la culpabilité.
Si ces douleurs sont inévitables, elles sont cependant notablement majorées par un certain nombre de notions sur lesquelles il conviendrait de s’interroger : celle, déjà évoquée, d’union « pour la vie » ; celle de « possession », que l’on attache régulièrement à l’amour et dont atteste le vocabulaire amoureux, « mon », « ma », etc.
Ce sentiment de possession varie en fonction de l’histoire personnelle de chacun (l’enfant possessif avec sa mère sera possessif en amour). Mais notre société l’a tellement légalisé que l’on finit par oublier qu’un être humain n’appartient qu’à lui-même. La souffrance des amants délaissés s’en trouve accrue d’autant : blessés dans leurs sentiments, ils s’imaginent de plus lésés dans leur statut de propriétaire légitime de l’autre.
Mais dans la cohorte des notions qui compliquent la vie des gens, la palme revient sans aucun doute à celle de « fidélité ».
 
Pour la vox populi, qui va “voir ailleurs” est déclaré “infidèle”.


Infidèle… c’est-à-dire pécheur au regard de la « fidélité » – laquelle est, on le sait, considérée comme une vertu – et « trompeur » par rapport à l’autre. Cela accroît notablement sa culpabilité, mais aggrave aussi, paradoxalement, la souffrance de son partenaire qui, acquérant du même coup le statut de « trompé », se trouve contraint de « relire » ce qui lui arrive à la lumière de ce qualificatif. Prisonnier d’une telle vision des choses, il est donc amené le plus souvent à remettre en cause la personnalité de celui qui le délaisse : « C’est un menteur, il est machiavélique, etc. » ; la vérité de ses sentiments : « S’il fait cela, c’est qu’il n’éprouve rien pour moi » (alors que la réalité est en général moins simple) ; et donc, en dernière analyse, à renier ses propres choix : « Je me suis fait avoir depuis toujours. »

On rencontre ainsi, en consultation, nombre de personnes qui ajoutent à la souffrance que provoque toujours l’aventure de l’autre, celle d’une vision humiliante de leur situation, de leur partenaire et d’elles-mêmes. Vision qui les obsède au point qu’elles s’en sentent parfois « persécutées » et qui est leur pire ennemie car, entraînant une « dénarcissisation » massive, elle les empêche de « repartir », de se reconstruire.


On ne peut donc qu’interroger cette notion de « fidélité » et faire remarquer quelques évidences. En premier lieu celle-ci : qui se dit « fidèle » ne prétend pas qu’il n’a pas eu de « tentations », mais qu’il y a résisté. A quoi donc a-t-il été « fidèle » ? A son partenaire, comme il le croit ? Rien n’est moins sûr, car où commence « l’infidélité » ? Au moment où l’on « passe à l’acte » ?

Ou bien plutôt au moment où l’on désire ? Dirait-on « fidèle » un monsieur qui, s’interdisant de « fauter » avec sa voisine de palier, resterait quarante ans auprès de sa femme, en continuant néanmoins à désirer nuit et jour cette voisine ?
 
Alors, si l’on n’est pas fidèle à l’autre, à quoi l’est-on ?


On est fidèle, dans la plupart des cas, à des préceptes moraux. Qui sont, dans la réalité, un héritage de la tradition chrétienne (laquelle a toujours considéré la chair comme le mal absolu) et qui relaient pour nombre d’entre nous, sans que nous en soyons conscients, les interdits sur la sexualité, proférés par les figures parentales de notre enfance.

Faut-il de tout cela conclure à un éloge de « l’infidélité » ? Sûrement pas. Il s’agit seulement de remarquer que glorifier la « fidélité » – ainsi conçue – revient à sanctifier un système qui considère comme « bien » qu’un être humain vive à contre-courant de son désir. Désir en l’occurrence sexuel, mais que l’on peut étendre au désir en général, c’est-à-dire à tout ce qui fait que, « désirants », nous restons vivants.

Ne peut-on envisager une autre éthique du désir et du couple ? Un autre type de relation qui permettrait que, dans le respect mutuel et la parole, chacun accepte la vérité de l’autre ? Qui permettrait que l’on ne soit plus contraint, pour être « fidèle » à l’autre, d’être infidèle à soi-même ?

Ne pourrait-on rêver que, faisant fi des anathèmes et des idées reçues, chaque couple essaie d’inventer un lien où « fidélité » rimerait avec « liberté » ?
 
 La JALOUSIE : Un poison


« Etre jaloux, c’est normal, docteur ? » A cette question, plus lucide sans doute que les donneurs de leçons qui ne manquent jamais d’expliquer aux enfants que la jalousie, « c’est pas beau », Freud répond : oui.

S’il distingue plusieurs sortes de jalousie, il en est une qu’il dit normale et qu’il appelle « concurrentielle ». C’est celle que l’on éprouve lorsque l’on est « trompé ». Elle est faite de sentiments divers : on souffre, on se sent humilié, on se reproche de n’avoir pas su garder son partenaire et on déteste son rival.

Si cette jalousie est normale, elle n’en est pas simple pour autant, car elle dégénère souvent en une confrontation imaginaire avec ce rival. S’il (elle) est le (la) préféré(e), c’est sans doute qu’il « a » ce que l’on « n’a pas »… et que l’on ne pourra jamais avoir, qu’il a réussi à être ce que l’on n’arrivera jamais à être. Bref, il est tout à jamais dans la lumière et soi dans l’ombre. Il est tout à jamais « tout », alors que l’on n’est « rien », etc.

On peut ainsi s’engluer pendant des années dans une position d’objet rejeté et dévalorisé, ravagé par la haine et l’envie, et culpabilisé de ces sentiments dont on n’est que rarement fier… De la jalousie, on dit souvent qu’elle est un poison.

On pourrait dire tout aussi bien qu’elle agit sur les humains comme la rouille sur les métaux. Elle les ravage et les détruit en corrodant le plus intime de leur être.

Claude Halmos