USA : COLÈRE NOIRE ET MARCHE BLANCHE

Justice pour Trayvon

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«Nous ne sommes pas là pour être violents, nous sommes là pour dénoncer la violence perpétrée à l’encontre d’un jeune homme innocent du nom de Trayvon Martin», déclare Al Sharpton, figure de la lutte pour les droits civiques et initiateur de la journée nationale d’action «Justice pour Trayvon», qui s’est déroulée samedi dans 130 villes américaines

 A New York, il était accompagné de la mère de l’adolescent, tué en février 2012 suite à une altercation avec George Zimmerman, qui a été jugé pour meurtre puis innocenté le 13 juillet.«Aujourd’hui, c’est mon fils. Demain, cela pourrait être le vôtre. Il faut retrousser nos manches et nous battre», lâche Sybrina Fulton, émue, accueillie par les «amen» et les applaudissements d’une foule majoritairement afro-américaine.

Pression. Des milliers de personnes se sont ainsi réunies devant les bâtiments fédéraux de grandes villes à travers le pays. Le mot d’ordre était partout le même : manifester pacifiquement, une semaine après qu’un tribunal de Floride a innocenté George Zimmerman, faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il engage à son tour des poursuites à son encontre, et dénoncer la dangerosité des lois dites «Stand your ground», faisant de la légitime défense une vaste notion permettant à chacun d’utiliser son arme et de tuer, chez soi comme à l’extérieur.

Plus largement, ces événements visaient aussi à dénoncer les inégalités qui frappent les Etats-Unis et à rappeler la situation économique inquiétante de la communauté afro-américaine.

Le problème est de taille : parmi les 44 millions d’Afro-Américains, plus d’un individu sur quatre vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, un ratio qui monte à un sur trois pour les enfants. Un record. Quant au taux d’incarcération, les Afro-Américains ne représentent que 14% de la population américaine, mais 1 million des 2,3 millions de prisonniers du pays. Une étude récente de la grande Association américaine pour l’avancement des gens de couleurs, la NAACP, prévoit qu’à ce rythme,«un jeune homme afro-américain sur trois né aujourd’hui peut s’attendre à passer par la case prison». Ces inégalités sont donc au cœur du combat mené depuis les années 80 par Al Sharpton, révérend de 58 ans qui est désormais en première ligne de la mobilisation pour Trayvon Martin. Sharpton n’en est pas à son coup d’essai : il fut notamment à l’origine de manifestations d’envergure contre le délit de faciès et les brutalités policières suite au décès d’Amadou Diallo, jeune New-Yorkais abattu en 1999 d’une quarantaine de balles par quatre policiers - ensuite acquittés -, alors qu’il n’était pas armé.

«L’ancienne génération des militants pour les droits civiques mène encore la danse», estime ainsi Rachel, manifestante new-yorkaise de 29 ans et membre de l’association d’Al Sharpton, le National Action Network. «Mais ce n’est que le début d’un mouvement nouveau pour lutter contre le racisme et les inégalités, j’espère voir progressivement plus de jeunes et plus de diversité. En attendant, heureusement qu’il est là. Sans lui, personne n’aurait levé le petit doigt pour Trayvon»,précise la jeune femme. A côté d’elle, l’une des rares femmes blanches de l’assemblée explique être venue pour montrer que «les Blancs ne s’en fichent pas».

«Disparités». Mais à travers le pays, les manifestants se sont avérés moins nombreux que prévus. Certains y ont vu «l’effet Obama», autrement dit les conséquences du discours donné la veille par le Président, s’exprimant pour la première fois depuis le verdict sur l’affaire Trayvon Martin, mais aussi sur son expérience d’homme noir. Prenant la parole de manière inattendue lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche, le président a déclaré, «il y a trente-cinq ans, j’aurais pu être Trayvon Martin», avant d’expliquer : «La communauté afro-américaine observe ces questions à travers un ensemble d’expériences, et une histoire qui ne disparaît pas. Il y a très peu d’hommes afro-américains qui n’ont pas vécu l’expérience d’être surveillés dans un grand magasin où ils faisaient leurs courses. Cela a été mon cas. La communauté afro-américaine sait aussi qu’il existe une histoire de disparités raciales dans l’application de nos lois pénales.» «Il a expliqué l’Amérique noire à l’Amérique blanche», a résumé le journaliste Franck James, de la radio publique NPR, estimant que c’était une bonne entrée en matière pour briser un tabou et commencer à discuter des problèmes raciaux aux Etats-Unis.

«C’était un discours magnifique, il méritait d’être applaudi», réagit Shani, 26 ans, croisée lors de la manifestation new-yorkaise. «Mais j’espère que ce n’est pas la dernière fois qu’on va l’entendre sur le sujet,ajoute-t-elle, sceptique sur la suite des événements. Il faudrait au moins que des poursuites fédérales soient engagées à l’encontre de Zimmerman, elles permettraient de cicatriser. Pour le reste ? La situation est dramatique, nous sommes des citoyens de seconde zone dans ce pays, je ne sais pas comment on peut faire pour changer cela.» Elle se tait, mais continue de brandir sa pancarte, sur laquelle est écrit : «Enfants noirs : vous avez de la valeur.»

SOURCE : Libération