Difficile de ne pas la voir. La statue de la Renaissance africaine, officiellement inaugurée dimanche, surplombe désormais Dakar de ses 50 mètres de bronze. Insensibles à la hauteur, les rues restent étonnamment apathiques, imperméables à l'ouvrage comme aux fêtes du cinquantenaire de l'indépendance que le pays célèbre aujourd'hui. Le président, Abdoulaye Wade, n'a pourtant pas ménagé ses efforts pour «vendre» avec emphase la grande cérémonie et «son idée» aux Sénégalais. «L'ouvrage est digne du continent africain et montre une Afrique quittant les entrailles de la Terre, l'obscurantisme, pour aller vers la lumière», insiste-t-il. Le plaidoyer de l'ancien avocat n'a pas totalement convaincu. S'il domine, le monument de la Renaissance africaine divise aussi. Le style stalino-africain agace certains. Des associations s'émeuvent que sa construction ait été confiée à une société de Corée du Nord. Le coût, plus de 24 millions d'euros, fait grincer des dents. Abdoulaye Wade rappelle que le financement s'est fait grâce à un échange de terrains. «Le montage est bien légal mais il n'est pas transparent», affirme Mohammed Bodje, représentant de l'ONG Transparency International. L'annonce par le président qu'il réservait 35 % des revenus de l'ouvrage pour sa fondation au titre de la propriété intellectuelle a achevé d'enflammer la polémique. Même les imans s'en sont mêlés, reprochant cette fois au couple statufié, en particulier à la femme laissant voir son sein, d'être impies. Mais c'est l'opposition qui lance les critiques les plus acérées. «Cette statue représente-t-elle la Renaissance africaine ou la gloire de Wade ? Elle a été construite sans consulter aucun des autres pays africains qu'elle prétend incarner», affirme Aïssata Tall, porte-parole du Parti socialiste. «Finalement, toutes ces tensions démontrent que le Sénégal est devenu une démocratie», sourit Seydou Madani Sy, l'ancien recteur de l'université de Dakar. À 76 ans, il se souvient des premiers jours de l'indépendance comme d'un rêve. «Nous étions très jeunes et rejoindre notre nouvelle patrie était comme une évidence», souligne celui qui quitta, sans hésiter, le confort de la faculté de Grenoble pour le gouvernement en formation. Mbaye Jacques Diop, alors responsable des jeunes dans le parti de Léopold Sédar Senghor, le premier président sénégalais, n'a rien oublié. «La première fois que nous avons vu le drapeau sur le palais, entendu l'hymne, nous avons su que nous avions gagné.» ALTERNANCE DEMOCRATIQUE Ni l'un ni l'autre ne sont assez angéliques pour oublier les débuts difficiles et le régime parfois musclé de Senghor. «Mais il a su construire un État. C'est à lui que nous devons la solidité des institutions», souligne Seydou Madani Sy. Comme tous les Sénégalais, il met en avant la stabilité du pays, un cas unique sur le continent. Il rappelle le départ sans drame de Senghor en 1980 et l'alternance démocratique qui vit arriver l'opposant Abdoulaye Wade à la présidence en 2000, autre spécificité du pays. L'ancien ministre Assane Seck, du haut de ses 91 ans, regrette toutefois que le cinquantenaire ne soit pas assez «l'occasion d'une introspection sur le passé» et les raisons qui maintiennent le Sénégal dans la pauvreté. À Pikine, on est bien loin de ces débats. Cette banlieue, fondée en 1952 pour agrandir la capitale, s'est muée en zone tampon pour accueillir un demi-siècle d'exode rural. Aujourd'hui, elle compte un million d'habitants. Dix fois plus que le Dakar de 1960. Et, dans ses rues ensablées, bordées de maisons construites à la hâte, le souvenir de l'indépendance n'est pas une priorité. «C'est important pour l'histoire mais nous, ce qu'on veut, c'est du travail pour manger», lâche Fatou Diop. Cette enseignante a son seul salaire pour faire vivre cinq adultes et dix-huit enfants. Les voisins ne sont pas mieux lotis. Assise près de sa mère, Mariatou, 10 ans, s'interroge sur cette Renaissance, qu'elle aimerait voir un jour. Mais le ticket de bus pour couvrir les 10 km qui la séparent de l'œuvre est un trop grand luxe. Tanguy Berthenet