SENEGAL : FESTIVAL MONDIAL DES ARTS NEGRES JUSQU'AU 31 DECEMBRE 2010

Vous avez dit "Arts Nègres" ?

arts.negres.jpg

Le Ghanéen Kwame Kwei-Armah, directeur artistique du 3e Festival mondial des arts nègres, rend hommage à l'artiste londonien Yinka Shonibaré © Antoine Tempé.

 

Contrechamp. Place du Souvenir, à Dakar, de nuit. Au bord de la route de la corniche, un chapiteau accueille des séances de cinéma et, en contrebas, une seconde salle en plein air propose, chaque soir, face à la mer, la projection des films des plus grands cinéastes du continent noir. Tous les fauteuils y sont à l'effigie des noms qui ont fait l'histoire de l'Afrique, jusqu'à nos jours. 

Ce mardi soir, dans la capitale sénégalaise, combien ont su l'hommage rendu par le directeur artistique du 3e Festival mondial des arts nègres, le Ghanéen Kwame Kwei-Armah, à l'un des artistes contemporains les plus célèbres, le Londonien Yinka Shonibaré, né en 1962 et originaire de Lagos au Nigeria (là même où la seconde édition du festival des cultures noires eut lieu en 1977) ? Le président Wade a d'autres chats à fouetter en ce jour où Khadafi est venu voler la vedette au président absent du Brésil, invité d'honneur, en continuant d'appeler aux États-Unis d'Afrique. Et à leur armée... Festival mondial des arts ? Kwei-Armah s'en tient à la culture et fait honneur, comme prévu, à l'artiste, dont les oeuvres sont exposées dans un des lieux les plus enthousiasmants de ce festival : la biscuiterie rénovée de Médina. Un film sur le travail de Shonibaré devait être projeté. Mais non. Il y a un problème technique. Ce n'est ni le premier ni le dernier. Ici, il donnera naissance à un moment d'une qualité encore plus exceptionnelle. Shonibaré se hisse difficilement de sa chaise pour prendre place face au public. "Vous avez remarqué que j'ai des difficultés", dit-il. "À l'âge de 19 ans, commence-t-il à raconter, un virus m'a paralysé une partie du corps. Les médecins m'ont prédit une vie de légume. Mais avant de me rendre à l'hôpital, je voulais déjà devenir artiste. Et c'est mon ambition de réussir dans la création qui m'a poussé à sortir du lit." Avec l'espoir qu'elle puisse continuer de lui valoir l'intérêt des femmes, ajoutera-t-il en souriant.

Question d'identité

Yinka Shonibaré se raconte, doucement, et, peu à peu, son récit et les réponses qu'il donnera aux questions posées par le public ramèneront à l'un des enjeux posés par ce festival. Étudiant en droit à Londres, le père de l'artiste ne pouvait se loger. Pas de Noirs, pas de chiens, pas d'Irlandais, spécifiaient les propriétaires. "Je raconte cette histoire pour dire que je fais des choses que mon père n'avait pas pu faire et, pour cela, je rends hommage aux générations antérieures." Il importait à Yinka, exposé à Londres, à Paris ou à Venise, de venir au Fesman. En terre africaine. "Jeune étudiant, je me considérais comme un citoyen universel, sans question de race. J'ai commencé à travailler sur cette époque passionnante de la Perestroïka. Et j'ai été très choqué lorsque je me suis entendu dire : Vous êtes noir, vous êtes africain, pourquoi voulez-vous faire votre travail sur la Russie ? J'ai compris alors que les gens me regardaient comme un Noir. Cette question de l'identité tombait sur moi que je le veuille ou non."

Yinka Shonibaré la met, depuis, au coeur d'un travail tout en finesse, humour et subversion, où les tissus africains s'introduisent dans les atours des personnages du XVIIIe siècle occidental qu'il aime à représenter. On reconnaît l'artiste dans ses tableaux, il est le seul Noir de ses scènes. Aujourd'hui, celles-ci se vendent dans le monde entier. Au sortir de cette confidence pour amateurs éclairés, il semble plus évident que jamais de se diriger vers le théâtre Daniel-Sorano, haut lieu culturel de la capitale, rénové pour le festival. S'y donne, en l'honneur de la délégation des chefs d'État, un concert des oeuvres du "chevalier de Saint-George", compositeur d'origine sénégalaise par sa mère, jeune esclave dont un planteur français s'était épris. L'enfant métis de ce couple élevé à Paris excelle à l'escrime autant qu'au violon. Dans ce XVIIIe où sa carrière musicale est brisée pour des raisons racistes, Saint-George choisit la voie des Lumières. Mais le noir est fait sur son oeuvre qui attendra la fin du XXe siècle et le bicentenaire de la Révolution pour ressurgir. Attendu au concert, le président Wade avait finalement pris trop de retard... Mais mardi soir, à Dakar, le compositeur a fait le bonheur des festivaliers.

Reportage LePoint.fr