Il faut l’admettre: notre monde se divise en nations souveraines et en nations vassales. Il y a une souveraineté de droit et une souveraineté de fait. La question est de savoir comment les Martiniquais veulent se situer au sein de ce contexte mondial. Même dépourvue d’État, la Martinique est une nation, mais les habitants de notre pays n’en sont pas tous convaincus. Mieux vaut, me semble-t-il, une nation sans État qu’un État sans nation. Comprendre: un État peut toujours se construire sans s’être assumé comme nation, mais, dans ce cas, il est très mal garanti contre les aléas de l’Histoire. Même avec une souveraineté de droit (cas de l’indépendance), la Martinique ne serait absolument pas en état de jouir de sitôt d’une souveraineté de fait. À l’inverse, en restant française selon les dispositions juridico-politiques actuelles, elle demeure dans une vassalité à la fois de droit et de fait. Y aurait-il une puissance ou des puissances, autres que la France, dont la Martinique veuille choisir d’être vassale de fait? Cela dit, parler de choix est hypocrite dans la mesure où la vassalité ne se choisit pas, elle est imposée par les dures réalités géopolitiques.
Fiction souverainiste
Une majorité de Martiniquais récuse, à ce jour, le saut vers l’indépendance, considéré par les uns comme plongée dans l’inconnu, et comme bond résolu en avant par les autres. La prudence (ou la circonspection) de la majorité des Martiniquais, leur sagesse (ou leur pusillanimité) ont probablement une dimension affective (l’attachement à la mère-patrie), encore qu’autour de nous, toutes les îles de la Caraïbe aient franchi le pas. Il ne faut pas minimiser les effets de l’instinct de conservation (d’autres parlent de «comportement alimentaire»). Je m’abstiendrai de tout jugement sur les réactions d’un peuple ballotté par les vagues de l’incertitude du lendemain et ligoté par quatre siècles de dépendance et de sauve-qui-peut individualiste, autant d’obstacles à la responsabilisation et sûre aubaine pour une quête compensatoire et exaltée d’une souveraineté apparaissant aujourd’hui, en raison de l’évolution du monde, comme plus chimérique qu’il y a une cinquantaine d’années. La souveraineté revient, rappelons-le, à dire: «Je sais tout, je peux tout, je veux tout, je fais tout ce que je veux». On l’aura compris, ce qui caractérise un peuple soucieux de progrès et d’épanouissement, ce n’est pas sa souveraineté, véritable fiction mesurée à l’aune des contraintes de la jungle de la mondialisation, mais sa responsabilité. Qu’est-ce à dire?
Incontournable en démocratie, le fait majoritaire et ses conséquences
Le mouvement de l’Histoire a produit à la Martinique, une situation politique où les partisans du changement, en ce début du XXIème siècle, ne s’opposent plus objectivement comme intégrationnistes (départementalistes et autonomistes), d’une part, et séparatistes (indépendantistes de toutes mouvances), de l’autre, mais comme autonomistes minimalistes (article 73) et autonomistes maximalistes (article 74). Système fermé contre système ouvert, le 74 pouvant être une transition vers un nouveau statut. D’où ma vision de notre conjoncture politique: adepte authentique de l’autonomie, le PPM, pour des raisons tactiques, liées au cadre actuel de la démocratie, a combattu la position des indépendantistes et autonomistes adeptes du 74, alors qu’il aurait dû normalement se trouver dans ce second camp. Ce parti a craint -- à juste titre -- en faisant voter pour le 74, de voir prospérer le fonds électoral du MIM et ce, compte tenu notamment des échéances régionales proches.
La quête de la majorité, tout en en montrant d’évidentes limites au plan de la cohérence politique, est conforme à la démocratie. Impossible, en effet, de penser le fait majoritaire en occultant les exigences tactiques qui y sont liées. Condamner le positionnement des uns et des autres non seulement serait stérile, mais trahirait un moralisme naïf, inconscient du fait que la forme démocratique détermine en grande partie les contenus, indépendamment des morales politiques individuelles. En bref, le PPM, aurait dû logiquement défendre le 74, plus proche du concept césairien de l’autonomie, le sien dès l’origine, longtemps stigmatisé par les indépendantistes, acquis ultérieurement et par réalisme, à ses vertus. Du coup, collusion objective du PPM avec les départementalistes du 73 et inconfort d’une contradiction avec l’idéologie fondatrice du parti! D’où l’évocation, il y a quelques mois, de compétences nouvelles dans le cadre d’un congrès, proposition refusée par les tenants du 74. Ces derniers, de leur côté, ont eu beau jeu de revendiquer le «respect du vote des martiniquais». Réaction tout aussi normale, parfaitement explicable par l’indépendantisme démocratique prôné par le MIM et ses partenaires. Conscients de l’hostilité majoritaire au mot d’ordre d’indépendance, ils ont souhaité un 74, accoucheur, à terme plus ou moins éloigné, d’un changement significatif de statut. Politique des petits pas! On notera que, sans mettre leur drapeau dans leur poche, les indépendantistes ne le brandissent plus à tous vents. Disons qu’ils l’attachent à leur boutonnière. Ce sont donc les règles du jeu démocratique, qui ont induit les prises de positions des divers partis en quête de souveraineté. Rien d’étonnant pour un parti politique à rechercher la position majoritaire. Faut-il alors décrier la démocratie, alors qu’on n’a pas de meilleur modèle à proposer?
Entre stratégie et tactique, quelle voie vers une démocratie assumable?
Le lien entre tactique et stratégie ressort de ce qui précède. Pour le PPM, l’article 73 a correspondu à une démarche tactique, sa stratégie étant l’autonomie. Pour les indépendantistes, l’article 74 a correspondu à une démarche tactique, sa stratégie étant l’indépendance. Les seuls courants pour lesquels il y a eu superposition totale entre stratégie et tactique sont, d’une part, le courant départementaliste (accroché au 73) et le courant autonomiste représenté par le PCM (adepte du 74). Il est clair que le nœud de la vie politique martiniquaise réside dans la dynamique PPM/indépendantistes. Les positions des uns et des autres sont légitimées par le fonctionnement actuel de la démocratie. Mais alors, que faire pour que la Martinique cesse d’être «prise en otage» entre des tactiques différentes?
Il me semble indispensable d’envisager toutes les options statutaires, mêmes celles qui sont purement théoriques et virtuelles. Le contraire serait un défaut de méthode. Je comble donc un vide en imaginant une option intermédiaire, qui, à défaut d’adeptes, trouvera en moi un analyste. Différente de l’autonomisme et de l’indépendantisme, son intérêt, au-delà des frilosités de l’article 73 et du réalisme tactique de l’article 74, pourrait être d’être un mixte des deux. S’agissant d’un développement choisi, la notion traditionnelle d’autonomie limite les possibilités stratégiques de la Martinique. Quant à l’indépendance, si elle implique, par principe, des choix plus ouverts, en revanche, elle est exempte d’assurance «tous risques». Notre pays aurait-il le courage (ou la témérité), l’audace (ou, peut-être, l’inconscience) de se passer d’assurance tous risques? Il n’est pas interdit d’imaginer, même virtuel et théorique, un système intermédiaire entre autonomie traditionnelle et indépendance-rupture, où la vassalité de droit par rapport à la France, à défaut d’être neutralisée, pourrait être aménagée. La vassalité de fait, deviendrait agie et non pas subie, à l’intérieur d’un système gigogne, avec la Martinique vassale de la France, elle-même vassale de puissances plus fortes qu’elles, notamment les USA, probablement vassalisés à terme par la Chine.
Peut-il exister un choix «raisonné» entre départementalisation-dépendance et indépendance-rupture?
On pourrait imaginer de faire de cette virtualité statutaire une option non pas minimaliste (département avec modifications mineures du 73 ou même du 74) ni maximaliste (indépendance), mais optimaliste. La Martinique, pourrait-elle, alors, tout en restant dans le giron de la République Française, devenir une Région associée, avec compétence législative appropriée? Orientation de pensée apparemment utopique, dira-t-on, et cependant, si on doit donner un sens au mot «réparation», peut-être pourrait-t-on trouver là une occasion d’en mettre en œuvre le concept. Cela se ferait à travers une négociation débouchant sur un rapport inédit et novateur de la France avec ce département ultrapériphérique d’Outre-Mer que nous sommes. Ne peut-on, en effet, être nationalitaire sans être nationaliste, avec les dérives qui découlent de cette dernière caractérisation? Ne peut-on être nationalitaire sans vouloir affronter (ou risquer) une dépendance par rapport à un autre pays que la France, avec qui nos rapports historiques restent à réinventer? Une évaluation réaliste de nos potentialités martiniquaises, dans un monde de plus en plus interdépendant et comportant un système de vassalité de plus en plus drastique, peut-elle amener à penser pour la Martinique à une voie optimale passant par une amplification de notre autonomie et une intensification de notre cohérence nationale, elle-même génératrice d’une véritable solidarité en lieu et place du chauvinisme xénophobe, sous-produit obligé du nationalisme dans sa forme la plus primaire?
Un peuple martiniquais responsable
La responsabilité ne concerne pas seulement ceux qui sont aux commandes. Elle doit d’abord caractériser les peuples eux-mêmes. Il importe donc que le peuple martiniquais trouve le moyen d’obtenir de chaque mouvance idéologique des réponses claires sur les conséquences envisageables pour les options statutaires respectives. Sommées de dépasser les affirmations idéologiques pour une efficace projection sur l’avenir et une analyse comparée des scénarios commandés par la devise d’une république démocratique (liberté, égalité, fraternité), les diverses mouvances doivent être interrogées:
La responsabilité du peuple martiniquais est dans cette exigence de questions-réponses et ce, dans un cadre adéquat que son imagination doit pouvoir bâtir! C’est un bon moyen pour sortir des stigmatisations et emballements du discours politique martiniquais et, par là même, désarmer la violence destructrice.
La Martinique après le débat sur les articles 73-74