L'ALGUE BRUNE... L'OR NOIR DU XXIe SIECLE ?

Toute une gamme de produits cosmétiques à base d'algues.

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Les Antilles subissent actuellement une invasion inhabituelle d'algues brunes des Sargasses qui empoisonnent le quotidien des baigneurs, pêcheurs et autres plaisanciers. Notre seul souci, nous débarrasser, coûte que coûte, de ces maudits envahisseurs qui viennent squatter les plages de notre littoral.


De l'autre côté de l'Atlantique, en Bretagne, on tente par tous les moyens de ... capturer ces mêmes algues. Là-bas, l'algue c'est l'avenir. Certains y voient l'or noir du XXIe siècle. Dans cette perspective, un Centre d'Etude et de Valorisation des Algues a été créé afin de développer une industrie de produits cosmétiques à base d'algues.


Alors, pourquoi pas quelques barrages flottants le long de notre littoral afin de capturer les algues brunes que l'on confinerait tout au large avant de les revendre aux Bretons ? Un tel process aurait comme autre mérite de protéger nos plages. A quelque chose malheur est donc bon ? Et si notre infortune de ce mois de juillet 2011 ne faisait que cacher ... notre fortune de demain ! Qui sait ? Pour l'heure, l'exemple de la Bretagne mérite d'être scruté de très près. Ne nous privons pas ! Louis Boutrin.


 

PHOTO : Forts marnages, brassage des eaux, relief sous-marin favorable : le nord de la Bretagne offre un terrain de choix à l'algue, comme ici avec l'impressionnant sillon de Talbert à Pleubian, qui protège de vastes étendues propices à la récolte à marée basse.  

 

La Bretagne parie sur l'algue 

 

Et si l'algue, brune, verte ou rouge devenait l'or noir du XXIe siècle ? Si, dans cette nouvelle donne mondiale, la Bretagne en était l'eldorado ? Enfin, si Pleubian décrochait une renommée internationale grâce à sa petite presqu'île de Pen Lann, au sillon de Talbert et au centre de recherches Ceva ?

 


Pointe de Pen Lann. A marée basse, l'impression d'être à la campagne, au milieu de champs boueux. A marée haute, c'est un décor radicalement différent: vous voilà sur une étroite bande de terre, cernée cette fois par les flots. C'est là que se trouve le Ceva, Centre d'études et de valorisation des algues, créé en 1982. A deux pas, Setalg, une entreprise chargée de collecter les algues et le varech des alentours et, deux pas plus loin, les Laboratoires d'Armor, qui déclinent, eux, toute une gamme de produits cosmétiques à base d'algues.

Bienvenue donc au pays de l'algue. Et au Ceva, société d'économie mixte locale depuis 1986 (65 % des actions appartiennent à la Région, aux conseils généraux, à la ville; 35 % au privé, dont 25 % à l'Ifremer).

«Le Ceva a deux missions, explique Marc Danjon, son directeur général adjoint. Créé pour faire face au problème des marées vertes des années 70 et 80, il a d'abord pour rôle d'assister les collectivités locales sur les marées vertes et les algues d'échouage. Sa seconde mission est de favoriser le développement d'une économie autour de l'algue.»

Pour comprendre les enjeux qui pourraient entièrement transformer la Bretagne au cours de ce XXIe siècle, il faut savoir qu'il existe à ce jour trois marchés principaux pour les algues: les colloïdes (plus connus sous le nom de gélifiants), l'alimentation humaine et, enfin, ce qu'on appelle la chimie fine: cosmétiques, pharmacie, compléments alimentaires, engrais concentrés, etc. Pour le premier marché, le prix à la tonne oscille autour de 50 euros. Mais, pour les deux autres, c'est plutôt 500 euros. La production annuelle d'algues fraîches est d'environ 16 millions de tonnes, dont 93 % issues de la culture et 7 % seulement de la cueillette, comme en France. Certains pays asiatiques, telle la Chine, le plus gros consommateur d'algues destinées à la cuisine, se sont mis à cultiver ce légume des mers de manière intensive, partout où c'était possible. «Pourtant, depuis 2005, la production chinoise stagne, constate Marc Danjon, tout comme celle du Japon. Or la démographie indique que la demande intérieure va continuer à croître, de 4 ou 5% par an. Les prix risquent d'exploser. D'autant qu'est venu s'ajouter l'accident de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima, qui va considérablement faire baisser le tonnage récolté dans toute cette zone asiatique.»

Quand on regarde un planisphère, les zones où l'algue pousse ou peut être cultivée ne sont pas légion, elles sont toutes comprises sous des latitudes de climat tempéré. A la zone asiatique s'ajoutent, pour l'hémisphère Nord, l'Europe de l'Ouest (de la Norvège à la Galice) et les côtes est et ouest du Canada. Pour l'hémisphère Sud, le Chili, l'Afrique du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

La Bretagne a plusieurs atouts à jouer. D'abord, l'accès au littoral, à cette côte découpée du nord de la Bretagne aux forts marnages, qui laissent d'immenses étendues découvertes et fournissent actuellement entre 10.000 et 20.000 hectares des cultures d'algues que compte la France. A l'image de ce site privilégié de la presqu'île de Pen Lann, qui bénéficie du sillon de Talbert, une étonnante langue de terre de plus de 3 kilomètres qui laisse à marée basse des étendues propices aux algues. Le Ceva a également entrepris une démarche auprès des conchyliculteurs, dont les huîtres sont frappées depuis quelques années de maladie.

La Bretagne, la mieux placée sur le planisphère 

«Comme une partie de leur métier consiste à aller enlever les algues qui se mettent sur les poches d'huîtres ou de naissains, nous leur avons proposé, à côté de l'élevage de coquillages, de se mettre à la culture des algues car les deux sont finalement très proches techniquement. Voilà comment a été imaginé ce plan Breizh-algues», raconte Marc Danjon.

Autre avantage de la Bretagne, ses infrastructures. Avec la crise de la pêche, bon nombre d'équipements frigorifiques se trouvent sous-employés. Ce qui pourrait être une aubaine pour la conservation des algues, soit fraîches soit congelées.

«Si nous savons bien cultiver notre jardin bio et nos légumes de la mer et si nous les présentons de manière un peu exotique pour plaire à la clientèle asiatique, nous avons une belle carte à jouer. Car, si on regarde le planisphère et nos fameuses zones propices, il n'y a pas de doute: la Bretagne est sans doute la mieux placée pour l'ensemble de ses capacités à développer des projets d'avenir pour l'algue alimentaire», prophétise Marc Danjon.

Au Ceva, ils sont près d'une trentaine de personnes, dont une majorité d'ingénieurs et de techniciens, à plancher sur l'algue et son avenir. Une organisation assez unique au monde, ce dont même leurs homologues japonais ont convenu lors d'une visite. Car la particularité du Ceva est d'avoir une vision globale et transversale sur l'algue, de son milieu jusqu'à la molécule pharmaceutique ou au complément alimentaire. Une structure organisée en trois pôles utilisant tour à tour comme compétences de base l'écologie, la biologie et la chimie.

Quant à l'algue verte, souvent présentée comme le dernier des dangers, cela fait sourire Marc Danjon: «C'est une algue malfaisante quand elle est échouée. Sinon, c'est une algue comme une autre, qui ne se nourrit pas plus de nitrates ou d'engrais que les autres, mais qui a la particularité de se promener et donc de s'échouer. Quand elle pousse tranquillement en mer, c'est un légume.»

D'ailleurs, il y a longtemps que les chercheurs du Ceva travaillent sur les algues vertes. Ils ont même réussi à fabriquer un film alimentaire dont la composition comprend 30 % d'algues vertes ! Sans oublier sa transformation en farines animales. Comme quoi, tout est bon dans l'algue, il n'y a rien à jeter...

SOURCE : LeFigaro