Monsieur le Président de la République,
Au terme d’une longue carrière d’enseignant-chercheur au service du développement de l’Université des Antilles et de la Guyane (UAG), j’ai l’honneur de vous faire parvenir le présent message, synthèse d’une longue lettre à vous destinée, mais d’un format incompatible avec les normes du site de l’Elysée.
Mon propos vise à compenser au sommet de l’Etat un éventuel défaut d’information objective et prévenir, voire corriger les erreurs risquant d’en découler, s’agissant de la gestion de la crise déclenchée sur le Pôle Universitaire Guyanais, point de focalisation d’obscures récriminations.
Territoire en très grand mal de développement, la Guyane ne peut atteindre à moyen terme une démographie optimale que par l’immigration. D’où la montée en puissance de démarches xénophobes, dont sont victimes aujourd’hui quatre enseignants récemment élus responsables sur le Pôle-Guyane, qui se sont vus d’emblée contestés au motif proclamé de leur non-guyanité.
Une inspection diligentée sur place peut-elle accomplir une mission qui ne soit pas en porte-à-faux avec celle de médiateurs dont la venue, annoncée par un communiqué officiel du préfet de la Guyane, viserait à produire de l’apaisement par la mise en place d’une alternance à court terme ? Comment pareille alternance pourrait-elle intervenir sans une injustifiable pression exercée sur des responsables élus, comportement antidémocratique, contraire à l’esprit de la loi sur l’autonomie des universités ?
Les effets convulsifs et dévastateurs de la crise européenne sur les esprits déboussolés, n’autorisaient assurément pas vos opposants à vous stigmatiser au lendemain de votre élection et, pour certains d’entre eux, à lancer appel à la démission. Aussi est-il pour moi inconcevable qu’une telle démission eût pu avoir lieu, sans que le pays eût au préalable sombré dans l’abîme annoncé par des prophètes de malheur. Je n’oserais pas non plus imaginer un seul instant que le talent d’humoriste dont vous créditent les médias puisse jamais assigner un destin de républiques bananières à nos pays, au motif qu’ils sont producteurs de bananes !
Si positive qu’ait été en son temps la création de trois rectorats, les fonctions et missions d’une université ne sauraient s’assimiler à celles d’un rectorat : repenser la structure de l’UAG dans sa dimension interterritoriale figure dans la profession de foi de la toute récemment élue présidente de l’UAG Corinne Mencé-Caster et constitue un objectif dont les jalons sont en cours. Laissons-leur le temps de se consolider : le problème guyanais, qui est structurel, ne saurait être traité dans la précipitation, notamment celle générée par la proximité d’échéances électorales !
Au lieu de l’idéologie xénophobe de la « préférence nationale » (en l’occurrence déclinée en « préférence régionale »), la politique de l’UAG consistant à recruter, à compétence égale, un enseignant-chercheur guyanais doit être poursuivie, car elle constitue le
plus sûr moyen de promouvoir le capital universitaire de ce territoire. Encore faudrait-il pour cela que l’Etat attribue audit Pôle des moyens ciblés en personnels, le développement en question ne se réduisant pas à la construction de bâtiments pharaoniques, même si le patrimoine de la Guyane s’en trouve utilement enrichi.
« Hollandiste du deuxième tour », plus qu’une déception, c’est un immense regret que j’éprouverais si cette crise devait être gérée selon les méthodes qui semblent à ce jour se profiler.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma respectueuse considération et de mes indéfectibles convictions républicaines.
Jean Bernabé
Professeur émérite des Universités