Un centre de mémoire de la traite et de l'esclavage
François Hollande a inauguré dimanche 10 mai, jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage, le Mémorial ACTe, « centre caribéen d’expressions et de mémoire de la traite et de l’esclavage », à Pointe-à-Pitre. Pendant un temps, il avait été envisagé que le président de la République arrive par la mer pour découvrir cet immense bâtiment long de 240 mètres, situé au bord de la baie. Mais une telle mise en scène comportait le risque de rappeler les heures funestes de l’histoire de la France, lorsque les bateaux négriers accostaient en Guadeloupe avec des esclaves à leur bord.
Une arrivée plus solennelle a donc été choisie. Après s’être arrêté sur la place de la Victoire devant le monument aux morts des soldats de l’île tués pendant la Grande Guerre, puis devant la stèle dédiée aux fusillés de 1802 et aux émeutiers de 1967, le président a pris la route pour se rendre au Mémorial ACTe.
Les millions de victimes de l’esclavage représentées
Pour l’accueillir, Pointe-à-Pitre s’est refait une beauté. Le maire de la ville, Jacques Bangou, et le président du conseil régional, Victorin Lurel, principaux artisans du projet, n’ont pas lésiné sur les moyens. La Darse, petit port situé en contrebas de la place de la Victoire, a été débarrassée de ses sargasses, ces algues puantes qui empoisonnent la vie des riverains. Des équipes de nettoiement et de ravalement ont également mis les bouchées doubles pour redonner un semblant de propreté au Carénage, quartier défavorisé du sud de Pointe-à-Pitre, où se trouve le Mémorial ACTe. A quelques pas de l’édifice, de nombreux Guadeloupéens vivent dans des cases insalubres en taule, et la prostitution y est monnaie courante.
Arrivé au mémorial, le président de la République a pu admirer le mémorial, bâtiment ultramoderne en forme de serpent, tapissé de granit noir, aux façades recouvertes d'éclats de quartz, dont le scintillement représente les millions de victimes de la traite négrière et de l'esclavage. Il visitera les salles d’exposition en compagnie du président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, et des cinq ministres présents : la ministre de la justice, Christiane Taubira ; la ministre des outre-mer, George Pau-Langevin ; la ministre de l'écologie, Ségolène Royal ; la ministre de la culture, Fleur Pellerin ; et la secrétaire d'Etat au développement et à la francophonie, Annick Girardin.
Sommés de finir l’aménagement des salles d’exposition pour la venue du président, les artistes et les scénographes ont fait de leur mieux. Si toutes les salles n’étaient pas terminées, l’essentiel était là.
Promesse électorale tenue
Sous un soleil de plomb, le président a accueilli, peu avant 11 heures, deux chefs d’Etat africains, Macky Sall (Sénégal) et Ibrahim Boubacar Keita (Mali), ainsi que le président d’Haïti, Michel Martelly, et une quinzaine de chefs de gouvernement et de ministres de la Caraïbe. La secrétaire de l'Organisation internationale de la francophonie, l'Haïtienne Michaëlle Jean, était également présente à l’inauguration, ainsi que de nombreuses personnalités politiques antillaises : Roger Bambuck, Patrick Karam et Firmine Richard.
François Hollande avait inscrit la construction du Mémorial ACTe en tête des mesures pour l’outre-mer dans son programme présidentiel de 2012. Comme il s’y était engagé, le 10 mai 2013, lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage de 1848, l’Etat a participé au financement du monument. Pour le chef de l’Etat, ce geste était nécessaire pour apaiser la mémoire douloureuse de cette page tragique de l’histoire de France.
Quelque 1 200 personnes ont pu écouter son discours sur le parvis du Mémorial ACTe, dont une majorité de Guadeloupéens triés sur le volet. Les habitants du Carénage, qui depuis 2008 ont assisté de loin à la construction de l’édifice, devront attendre l’ouverture officielle, le 7 juillet. Si l’inauguration suscite interrogations et frustrations, c’est le sentiment de fierté qui domine. « C’est un grand moment pour la Guadeloupe et les Caraïbes, affirme Jocelyn Poulin, qui a travaillé comme soudeur sur le chantier. C’est le plus grand et le plus beau bâtiment que j’aie jamais vu. »
« Le Mémorial ACTe va permettre aux Guadeloupéens de mieux connaître leur passé. Nous avons besoin de savoir d’où nous venons afin de mieux nous projeter dans l’avenir, explique Gabriel Ravillon, un enseignant. Ce monument va aussi permettre d’attirer plus de touristes. » Philippe Martineau, marin pêcheur du Carénage, ne tarit pas d’éloges non plus. Mais il attend également que des efforts soient faits pour rénover l’habitat dans le quartier.
Le président attendu sur la question des réparations
Dans cette île en grande difficulté économique et sociale, de nombreuses voix se sont fait entendre pour dénoncer le coût de l’opération. 83 millions d'euros suscitent des attentes, des frustrations et des interrogations. Mélina Seymour, fondatrice du parti Ambition Guadeloupe, estime que « cette somme aurait dû être investie pour créer des emplois, notamment pour les jeunes Guadeloupéens, dont plus de la moitié sont frappés par le chômage ».
Particulièrement attendu sur la question des réparations, François Hollande a ravi le public local en annonçant que la France s’acquitterait de sa dette envers Haïti. Sous Charles X, une « rançon » fut exigée à l’île de Saint-Domingue qui dut payer le prix fort pour rester indépendante. Sans préciser de montant, le président précisera les modalités de cette réparation lors de sa venue à Haïti, le 12 mai.
« Le débat sur les réparations, je le sais, n’est pas épuisé. Je reprends à mon compte les mots d’Aimé Césaire quant à la nature irréparable du crime. Cependant, en lui donnant un nom et un statut en 2001, le Parlement français accomplissait un acte de vérité, de courage et de justice, indispensable, la première des réparations. En l’inscrivant dans les programmes scolaires, à tous les niveaux d’enseignement, conformément à la loi, réparation est faite de l’oubli et de l’occultation. Mais il reste à explorer l’incommensurable legs laissé par toutes ces generations. »
Un revirement par rapport à son discours de 2013. A l’occasion de la journée commémorative de l’abolition de 1848, François Hollande avait déclaré que les réparations étaient tout simplement « impossible ». Il avait ensuite infléchi sa position en novembre 2014 à Thiaroye au Sénégal où trente-cinq Sénégalais furent massacrés par des gendarmes français renforcés par des troupes coloniales en décembre 1944. François Hollande avait alors affirmé qu’il était venu « réparer les erreurs de la France ».
SOURCE : LeMonde