Black Bazard

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OBAMANIA ou DELIRE NOIR ?

 

Dans son nouveau roman Black Bazar, l'écrivain Alain Mabanckou, prix Renaudot 2006, bouscule pas mal d'idées reçues sur les noirs et la société française. Bonne nouvelle, les choses avancent !

 

Un constat optimiste qu'il commente devant la caméra de JeuneAfrique TV.

 

Existe-t-il une communauté noire en France ? In Le Monde

 

 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


Alain Mabanckou : "Existe-t-il une communauté noire en France ?"

Lorsqu’Alain Mabanckou arrive, casquette rivée sur la tête, Weston aux pieds et vêtu d’une chemise italienne à trois boutons, impossible de ne pas penser à "Fessologue", l’élégant narrateur de son nouveau livreBlack Bazar. Un roman où entre fiction et autobiographie, humour, gravité et tendresse, il conte les heurts et malheurs d’un "sapeur", soit un membre de la "Société des ambianceurs et des personnes élégantes". A cette comparaison, aussitôt, l’écrivain se lance dans une évocation cocasse des défilés de Sapeurs dans les rues de Pointe-Noire, ville côtière du Congo où il est né en 1966. "Enfant, je ne manquais jamais le retour des Parisiens. En costume Ungaro ou Cerruti, ils défilaient en Mobylette pour que nous prenions le temps de les admirer..."

Et Alain Mabanckou pourrait continuer encore et encore à puiser dans ses souvenirs d’enfance, sa "mine d’or". D’ailleurs n’est-ce pas ce qu’il fait depuis ses débuts ? "La plupart des choses que j’écris ont été élaborées dans ce "vestiaire de l’enfance", pour parodier Modiano. J’ai cette obsession de recomposer une enfance dont je n’ai pu profiter jusqu’au bout."

Fils unique - "ce qui est exceptionnel dans une famille africaine" - promu au rôle d’arbitre entre ses parents, très tôt Alain Mabanckou trouve refuge dans la lecture. D’abord des bandes dessinées qu’il achète sur les trottoirs de Pointe-Noire, puis ensuite Rimbaud, Baudelaire et Hugo qu’il découvre, fasciné... "Comme il s’agissait de vieux livres sans illustrations, personne n’en voulait. C’est là, adolescent, que j’ai commencé à écrire mes premiers poèmes qui étaient de pâles imitations de Vigny ou de Ronsard."

De cette enfance recluse, emplie de questionnements sur le monde et vécue sur le mode de l’émulation, Alain Mabanckou se souvient non sans douleur des moqueries envers sa mère, une analphabète qui n’avait mis au monde qu’un seul enfant. "On ne peut pas être unique pour rien, je devais donc avoir une vie exceptionnelle, être le meilleur."

Pour Pauline Kengué, sa mère, dédicataire de presque tous ses livres dont Black BazarAlainMabanckou entame des études de droit à Brazzaville puis à Paris, où il arrive en 1989. Il ne sait pas alors qu’il ne reverra plus sa mère. Quand elle meurt, en 1995, il compose en trois jours La Légende de l’errance, un de ses plus beaux poèmes (1). Aujourd’hui, l’ombre de celle qui l’a "fait poète" continue de planer sur son oeuvre. "Si je suis écrivain, c’est à cause de ce "mal de mère" qui me tenaille depuis ce jour, dit-il gravement. J’ai une espèce de croyance naïve que mes romans me sont soufflés par elle. Je reste ainsi dans la tradition de celui qui écoute avant d’écrire et non celui qui écrit pour être écouté."

Embauché comme conseiller juridique à la Lyonnaise des eaux où il travaillera pendant dix ans,Alain Mabanckou n’en continue pas moins de faire ses gammes en poète inspiré par l’errance, les guerres fratricides qui meurtrissent son pays, ou encore par son fils, Boris. Puis, trouvant l’espace du poème trop étroit, il "entre par effraction dans le roman", en 1998, avec Bleu-Blanc-Rouge (Présence africaine, Grand Prix d’Afrique noire). Un roman qui conte les mésaventures d’un jeune immigré congolais victime du mirage français. Après ce livre, qui peut se lire comme les prémices de Black Bazar, il "revient" au Congo pour y dénoncer la corruption, les dérives sociales et politiques dans Les Petits-fils nègres de Vercingétorix et African Psycho (Serpent à Plumes, 2002 et 2003, repris en Points), où il dresse le portrait d’un serial killer raté.

Si déjà Mabanckou a trouvé dans la fable, la parodie et l’humour corrosif ses armes de pointe, reste pour lui à se libérer d’un style qu’il juge aujourd’hui "trop classique". Ce sera chose faite avec le détonnant Verre cassé (Seuil, 2005) dans lequel il paye sa dette à tous les écrivains qui l’ont nourri et influencé. A commencer par Céline et Garcia Marquez, dont Mort à crédit et L’Automne du patriarche demeurent, avec Le Livre de ma mère, d’Albert Cohen, ses livres de chevet. Et aussi ceux qu’il enseigne à l’Université de Californie de Los Angeles (UCLA) où il est professeur de littérature francophone depuis 2006, Ahmadou Kourouma ou Camara Laye ("notre Victor Hugo africain"). "Mon principe est celui du décloisonnement et de l’hybridation en matière littéraire. Je rêve qu’un jour un écrivain français dise "je suis venu à l’écriture grâce à Mongo Beti ou Kourouma". Pour cela, il faudrait que la littérature francophone rentre véritablement dans l’enseignement en France."

Quand on évoque avec lui le prix Renaudot décerné cet automne au Guinéen Tierno Monénembo, qu’il admire, Alain Mabanckou, lui-même Prix Renaudot en 2006 pour Mémoires de porc-épic (Seuil), ironise sur l’emballement médiatique : "On a tout entendu : victoire de la littérature monde (en référence au Manifeste dont il est signataire), "effet Obama". Quelle hypocrisie ! Cela ressemblait au sanglot de l’homme blanc..."

Avec le même franc-parler, le romancier poursuit sur l’engouement de la communauté noire en France pour Barack Obama : "Il y a une sorte de confusion et de naïveté des Noirs en France par rapport au symbole Obama. Nous n’avons ni la même histoire que les Afro-Américains, ni les mêmes revendications. D’ailleurs existe-t-il une communauté noire en France ? Quand vous commencez à les décortiquer, vous vous apercevez que les Noirs d’Afrique centrale n’ont rien de commun avec ceux de l’Ouest, les musulmans avec les chrétiens ou les animistes. Si vous ajoutez les Antillais, qui nous accusent de les avoir vendus, vous obtenez non pas une addition mais une opération de division."

Des divisions nourries de racisme ordinaire, d’idéologie anticolonialiste mal digérée qu’il stigmatise avec humour dans ce si bien nommé Black Bazar. Son livre sinon le plus politique, du moins le plus intime. "Je m’étonne d’avoir mis du rire dans les pages les plus graves que j’aie jamais écrites." Question de pudeur sans doute.

"Black Bazar", d’Alain Mabanckou : un "gueuloir" drôle et attachant

Après le bar du Crédit à voyager, imaginé dans Verre cassé, c’est au Jip’s, rue Saint-Denis à Paris, qu’Alain Mabanckou invite à écouter Fessologue, son narrateur. Soignant son verbe autant que sa mise, fin théoricien des "faces B" des femmes et des noeuds de cravate, ce dandy africain n’est plus le même depuis que Couleur d’origine (une Congolaise née à Nancy) et leur fille sont parties avec l’Hybride, un joueur de tam-tam inconnu en France mais qui, au Congo, fait tomber les filles mieux que James Brown...

Pour surmonter sa peine, Fessologue s’est acheté une machine à écrire sur laquelle il déverse colère, tristesse et amertume. Tout passe dans ce gueuloir : les copains du Jip’s (sorte de condensé de la diaspora africaine) ; Hippocrate, voisin de palier et archétype du raciste ordinaire, version antillaise, l’Arabe du coin, lecteur de Césaire et partisan de L’Union africaine chère à Khadafi ; mais aussi ses faiblesses et lâchetés, sa nostalgie du pays ; le trou de la Sécu, le trafic des femmes, la mixité, la sexualité, les bienfaits de la colonisation et son envers... Et, enfin, l’amour et la littérature, incarnée ici par Louis-Philippe Dalembert, l’ami haïtien (par ailleurs romancier bien réel) et mentor de Fessologue. Soit les deux "sauve-qui-peut" de ce "sapeur" révolté, drôle et attachant, à travers lequel Mabanckou épingle avec verve clichés et préjugés. Et livre, dans un jeu de dévoilement, un roman intime, profond, teinté d’une douloureuse mélancolie.

BLACK BAZAR d’Alain Mabanckou. Seuil, 246 p., 18 €.


Christine Rousseau