BRESIL - PRESIDENTIELLE 2° TOUR : UNE FEMME A LA TÊTE DU PLUS GRAND PAYS D'AMERIQUE DU SUD

Victoire de Dilma Rousseff avec 56 % des suffrages

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Avec 56% des suffrages, Dilma Rousseff, la candidate du Parti des Travailleurs est devenue dimanche 31 octobre 2010 la première femme élue à la tête du Brésil, le plus grand pays d’Amérique du Sud



Dilma Rousseff, la candidate du Parti des Travailleurs (PT) de Lula, a été élue présidente de la 8ème puissance économique du monde hier. Elle l’a emporté face à son rival du PSDB (centre-droit), José Serra, par 55,39% des voix contre 44,61%. Pour la première fois, une femme gouvernera le Brésil.

 

Fidèle à ses convictions, elle a immédiatement rappelé qu’ « aucune région ne sera tenue à l’écart » et a salué ses adversaires :

« Premièrement, j’aimerais remercier le peuple brésilien, qui m’a accordé sa confiance. Je lui en serais éternellement reconnaissante pour avoir cette opportunité unique de servir mon pays à la plus haute fonction. Je promets de rendre toute l’attention que l’on m’avait apportée pendant la campagne, dans toutes les régions que j’avais visité.

 

Aucune région de mon pays ne sera tenue à l’écart, ou considérée de second rang. J’aimerais remercier aussi tous ceux qui ont voté au premier et au second tour pour d’autre candidats ou candidates. Ils ont eux aussi célébré la démocratie. À eux aussi vont tous mes remerciements »


Dilma Rousseff a également chaleureusement remercié le président Lula, « avec beaucoup d’émotion » : « Je frapperai souvent à sa porte et je sais qu'elle sera toujours ouverte. (…) La tâche de lui succéder est difficile et représente un défi, mais je saurai honorer cet héritage et amplifier son travail

 

Par ailleurs, elle a réitéré son « engagement fondamental : l'éradication de la misère pour tous les Brésiliens et les Brésiliennes ». « Nous ne pourrons avoir de repos tant que des Brésiliens souffriront de la faim. », a-t-elle ajouté.


Laudemar Aguiar, ministre conseiller de l’ambassade du Brésil à Paris, qui s’exprimait sur RFI, a ajouté : « C'est la victoire tout d'abord des Brésiliens. C'est déjà 25 ans de régime démocratique au Brésil depuis [19]85 mais c'est sa victoire évidemment et du projet politique de Lula. »


Du côté des scores par Etat et par grande région (Nord, Nordeste, Sud, Sud-Est, Centre-Ouest), la cassure est assez nette : le rouge du PT au nord, le bleu du PSDB au sud. Les scores de José Serra (PSDB) sont globalement concentrés sur les Etats riches et peuplés, mais sont assez courts : 55,5% au maximum pour l’Etat méridional de Rio Grande do Sul ; Roraima, à l’extrême nord, vote encore mieux (61,5%) mais est peu peuplé et représente 0,2% du PIB brésilien. À l’inverse, Dilma enregistre des scores impressionnants dans le Nordeste et le Nord, avec 6 Etats à 70% ou plus.

 

Vote par Etat, 2ème tour de l'élection de 2010 : en rouge, Dilma Rousseff (PT), en bleu, José Serra (PSDB) (g1.globo.com)

 

Le Nordeste a voté en bloc et avec des scores de maréchal pour Dilma Rousseff : Bahia (70,5%), le Pernambouco, l’Etat natal de Lula (75,5%), le Ceará (77%), le Piauí (70%) et le Maranhao qui grimpe à 79 %. C’est le Nordeste qui a le plus profité des politiques sociales du président Lula, notamment de la bolsa família : dans l’Etat du Maranhao, ce transfert de revenus atteint 54% de la population.

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Carte des 5 grandes régions : en rouge, le Nordeste ; le Nord, le Sud, le Sud-Est et le Centre-Ouest

La région Nord, peu peuplée mais très vaste, a plutôt voté pour Dilma, parfois avec des scores de maréchal aussi : les grands Etats de l’Amazonas (80,5%), du Pará (53%) et du Tocantin (près de 59%), et le « petit » Etat de l’Amapá (62,5%). 3 « petits » Etats du Nord ont voté pour le PSDB : l’Etat le plus septentrional du Brésil, le Roraima (66,5%), dont le gouverneur est membre du PSDB et qui avait déjà voté pour le PSDB en 2006 ; l’Etat d’Acre (69,5%), d’où est originaire la candidate verte éliminée au premier tour, Marina Silva, fidèle de l’Assemblée de Dieu, l’église pentecôtiste la plus puissante du Brésil, l’appellation « Acre » venant de l’Etat croisé de Palestine ; et le Rondônia (52,5%), état où la déforestation est très active.

La riche région Sud a voté en bloc pour le candidat de PSDB, José Serra : dans l’Etat de Santa Catarina, moins de 10% de la population bénéficie de la bolsa família.

 

«Cette corrélation ne suffit pas à affirmer que ces personnes ont voté Dilma seulement parce qu'elles ont reçu Bolsa Família», remarque Marcelo Neri, économiste à la Fondation Getulio Vargas. Ce qui était perçu jusqu’en 2006 comme un « cadeau électoral » ponctuel est maintenant devenu un programme structurel, et depuis les populations les plus pauvres votent pour lui par affection, reconnaissance et identification, notamment dans le Nordeste. Car la croissance « à la chinoise » du Nordeste, et le plein-emploi dans les riches Etats du Sud-Est, Rio de Janeiro et le Minas Gerais, ont aussi contribué au vote en faveur de Dilma Rousseff, comme en 2006 pour Lula : 60,5% des votes pour la candidate dans l’Etat de Rio de Janeiro, 58,5% dans l’Etat du Minas Gerais.

 

Le vote est donc moins clair dans les régions intermédiaires du Sud-Est et du Centre-Ouest. Dans le Sud-Est, seuls le plus riche Etat du Brésil, São Paulo (54%), et l’Etat d’Espírito Santo (d’extrême justesse, à 50,5%) ont voté pour le PSDB.

 

Dans le Centre-Ouest, le Mato Grosso, où le lobby agroindustriel est maître et où la déforestation fait rage, le PSDB de José Serra l’emporte avec un peu plus de 51% des suffrages.

Comme en 2006, le Mato Grosso do Sul reste aux mains du PSDB (plus de 55%). L’Etat très urbanisé de Goiás – la région métropolitaine de Goiânia, la capitale, compte plus de 2 millions d’habitants sur un peu moins de 6 pour l’Etat, et l’axe métropolitain avec Brasilia compte 6 millions d’habitants – a voté pour le PSDB à près de 58%, tandis que le District Fédéral (Brasilia) a penché en faveur du parti au pouvoir, le PT de Dilma Rousseff à près de 53%.

 

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En 2002, Lula, opposé à José Serra, avait presque fait le grand chelem (seul le petit Etat de l’Alagoas du Nordeste n’avait pas voté pour Lula)

 

 

 

Ségolène Royal a réagi très tôt, au milieu de la nuit dernière, à cette réélection contre laquelle certains avaient, à tort, parié ces dernières semaines, notamment quand pendant un temps le débat s’était focalisé sur un sujet sensible au Brésil, la religion (avortement, homosexualité) :

« Je salue chaleureusement la belle victoire de Dilma Rousseff à l'élection présidentielle brésilienne. Je me réjouis que le peuple brésilien ait choisi de poursuivre et d'approfondir avec elle le changement économique, social et démocratique conduit avec audace et pragmatisme par le Président Lula.

 

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Dilma Rousseff dont j'ai pu, lors de nos rencontres au Brésil, mesurer le courage, la compétence et la détermination, a affronté une campagne dure au cours de laquelle les partisans de son adversaire ont alimenté les rumeurs les plus basses et tenté de jouer sur la peur.?Le Président Lula avait dû, en 2002, subir le tir de barrage de ceux, marchés financiers en tête, qui prédisaient le chaos au cas où il serait élu. Dilma Rousseff a eu, elle aussi, sa part d'attaques violentes et de pronostics apocalyptiques décrivant un pays à feu et à sang au cas où elle en prendrait la tête.?Mais les électeurs brésiliens ne sont pas tombés dans le panneau. Après avoir, pour la première fois dans l'histoire de leur pays, porté un ouvrier à la magistrature suprême, ils ont, pour la première fois encore, choisi une femme comme chef de l'Etat de la 8ème puissance économique mondiale.

 


Dilma Rousseff, le président Lula et Ségolène Royal le 30 janver 2009 à Belem

Les électeurs brésiliens n'ont, ce faisant, pas seulement approuvé le bilan spectaculaire des années Lula : une croissance de plus de 7%, record du dernier quart de siècle, un chômage au plus bas, une classe moyenne désormais majoritaire, une pauvreté efficacement combattue pour des dizaines de millions de familles, un poids diplomatique croissant.?Ils ont aussi exprimé cette confiance dans l'avenir de ceux qui savent leur pays en plein essor et l'avenir de leurs enfants assuré d'être meilleur.

 

Du Brésil si légitimement fier de s'être « affranchi de la tutelle du FMI », comme aime à la rappeler Dilma Rousseff, nous sont venues quelques fortes leçons d'une cuisante actualité. La première, c'est que la justice sociale n'est pas l'ennemie mais le carburant du dynamisme économique. La seconde, comme l'a également souligné Dilma Rousseff durant sa campagne, c'est le rôle irremplaçable d'un Etat anticipateur et moteur pour qu'un pays titre, au service de tous, le meilleur parti de ses atouts.?La troisième leçon, c'est la nécessité d'un dialogue permanent avec les citoyens, les mouvements sociaux et les organisations syndicales car une démocratie participative et sociale accroît l'efficacité des politiques publiques.

 

Une femme énergique et de conviction vient d'être élue à la tête d'un grand pays qui peut puiser dans ses succès la force d'ouvrir de nouveaux chantiers et d'aller de l'avant. Sa victoire est une bonne nouvelle pour le peuple brésilien et pour tous ceux qui veulent construire un ordre juste à l'échelle planétaire. »

 

Frédérick Moulin