CEREGMIA : MEDIAPART ENQUÊTE SUR DES DÉTOURNEMENTS DES FONDS EUROPÉENS À L'UAG

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UAG : "Les fonds européens ont été siphonnées à grande échelle".

19 mai 2014. ENQUÊTE DE MEDIAPART réalisée par Lucie DELAPORTE. EXTRAITS : ... "Des documents confidentiels auxquels Mediapart a eu accès dévoilent comment des millions d’euros de subventions européennes ont disparu dans des montages opaques à l'université des Antilles-Guyane. Une information judiciaire vient d'être ouverte pour « détournement de fonds » et « escroquerie en bande organisée » tandis que la nouvelle présidente de l'université parle de « système mafieux ».

 

C’est un système vieux de quinze ans qui est en train de vaciller. Son effondrement menace d’emporter des universitaires, des responsables politiques locaux et n’épargnera pas l’État qui a choisi de fermer pudiquement les yeux durant toutes ces années. À l’université des Antilles et de la Guyane s’est développé un impressionnant système de détournement de fonds sans que, jusqu’à ces derniers mois, personne trouve rien à redire. À tous les niveaux ou presque, les autorités concernées ont failli. Aujourd’hui, après plus d’une décennie où les alertes n’ont pourtant pas manqué, le système semble se lézarder. 

Un million à ne rien faire ?

"Le détail précis des dépenses auquel nous avons eu par ailleurs accès pour cette convention fait effectivement apparaître de curieux éléments...

..."À ces facturations douteuses, et ses dépenses
artificiellement gonflées, s’ajoutent des marchés
passés dans des conditions pour le moins étranges.
Le Ceregmia a par exemple signé un contrat de plus
d’un million d’euros avec la société Filiatis pour
«
rechercher des subventions destinées à financer des
projets de recherche »,
le 26 mai 2009. La Cour des
comptes relève que ce marché n’a donné lieu à aucune
mise en concurrence et souligne que l’établissement,
avec une gérante unique, était de plus en cessation
d’activité depuis janvier 2009 et a donc été réactivé à
la veille de passer le contrat. Elle constate également
que, dans les documents fournis, les signatures de la
gérante ne sont pas les mêmes...

Surtout, les demandes de subvention avaient en fait
déjà eu lieu pour ce programme, ce qui rend de fait
« ce
marché sans objet lors de la conclusion ».
D’ailleurs,
« aucun des éléments produits ne porte la marque
de l’intervention de la société Filiatis »,
dans la
recherche de subventions, assène la Cour. Un million
à ne rien faire ? Dans ce dossier qui a fait l’objet d’une
communication au procureur général de la Cour des
comptes, comme sur bien d’autres, la justice devra
déterminer où est passé l’argent.

Dans le même ordre d’idées, Mediapart a eu accès
au contrat de 82 000 euros, conclu par le laboratoire
en octobre 2009, toujours sans appel d’offres et avec
une société de conseil, Pro service, dont la gérante et
unique salariée est une doctorante de Fred Célimène.
Le montant du contrat, dont l’objet est d’assurer
« les
relations internationales de l’Euro institut caribéen »,
s’accompagne de factures s’élevant au total à 165 000
euros. Les faits pourraient constituer a minima du
« délit de favoritisme », confirme dans une note
adressée à la direction des affaires juridiques de
l’université l’avocate Sabrina Goldman."

 

Suicide d'un agent comptable

"Aujourd’hui, la présidence de l’université essaie d’évaluer le préjudice financier pour l’établissement. Il se chiffre à plusieurs millions, selon de premières estimations effectuées à l'aide du cabinet Deloitte.

Le plus sidérant dans ce dossier est sans doute que ce système aurait pu perdurer si la nouvelle présidente, alors doyenne de la faculté des lettres, Corinne Mencé Caster, élue en janvier 2013 sur le fil et presque par surprise, n’avait décidé de se mêler, contrairement à ses prédécesseurs, des finances de l’université. Après s’être étonnée de l’étrange fonctionnement du Ceregmia – qui la court-circuitait systématiquement auprès des pouvoirs publics – et des nombreuses irrégularités comptables autour de ce laboratoire, elle décide de ne pas renouveler dans leurs fonctions

le directeur général des services (DGS) et l’agent comptable. « Je me suis aperçue qu’ils transgressaient systématiquement mes consignes », raconte-t-elle. "

Du jour où elle a su qu’elle ne serait pas reconduite à son poste, l’agent comptable en chef de l’université des Antilles ne s’est plus présentée dans l’établissement. Selon la présidente, quantité de documents comptables ont alors disparu. Un huissier a aussi constaté qu’un disque dur a été effacé.

Pour la nouvelle équipe dirigeante, c’est le début d’un long travail pour tenter de mettre au clair la comptabilité de l’université dans un climat pesant où la présidente, aujourd’hui placée sous protection, a fait l’objet de menaces. Des affiches mettant en cause l’amateurisme de la présidente fleurissent également sur le campus martiniquais, certaines sous le titre « wanted dead or alive ».

Dans un mail en date du 22 octobre 2013, adressé à un agent comptable et envoyé en copie à la présidente, Fred Célimène, qui s’irrite qu’on lui demande des précisions sur certaines de ses opérations, assène : « Je sais bien que votre chef a des consignes. Sauf qu’elle

doit savoir que j’en suis à mon 12e agent comptable et qu’ils sont tous partis en mauvais état... Bien cordialement ! » Un courrier pour le moins inquiétant alors qu’au sein de l’université personne n’a oublié le suicide d’un agent comptable en 2001, au moment où un premier rapport de la Cour des comptes avait déjà commencé à pointer du doigt les dérives du laboratoire. « Un mail sorti de son contexte », nous a expliqué Fred Célimène (voir notre document ci- dessous).

Corinne Mencé-Caster s’est manifestement attaquée à un écosystème au sein de l’université qui se croyait protégé et l’abri de tout contrôle, un écosystème qu’elle n’hésite pas à qualifier de « mafieux ». Il faut dire que tant la communauté universitaire que les pouvoirs publics se sont toujours montrés soit complaisants, soit totalement absents face aux errements du Ceregmia."

Serge LETCHIMY interrogé par Médiapart

"Questionné sur la nature de ses liens avec Fred Célimène, Serge Letchimy reconnaît qu’il s’agit d’un « proche » avant de se demander si le terme est bien approprié. Il confirme avoir appelé le directeur du laboratoire au moment de la déprogrammation des subventions. « Fred Célimène est un éminent professeur, quelqu’un qui a beaucoup apporté au pays », assure-t-il, en rappelant qu'une déprogrammation était lourde de conséquences.

Pourquoi n’a-t-il pas plus tôt alerté sur les dysfonctionnements mis en exergue par la Cour des comptes depuis des années ? « Je ne sais pas s’il y a des irrégularités dans la gestion de ce laboratoire. Je ne veux pas me substituer à la justice. Et puis quand un important laboratoire vous sollicite sur des éléments de recherche essentiels pour la Guadeloupe et la Martinique, pourquoi avoir des suspicions ? » Pour preuve de son indépendance dans le dossier, il affirme aujourd’hui, à la lumière des récents événements, avoir décidé de « retirer sèchement un dossier de subvention en décembre dernier ». Ce que la présidente lui avait instamment demandé de faire, ayant constaté l’irrégularité de la signature de l’université dans ces dossiers de subventions. "

(...) 

"Y a-t-il eu des complaisances au sein de l’appareil d’État ? À quoi ont donc servi les millions de subventions perçus par le Ceregmia ? Certains au sein de l’université s’interrogent sur les liens entre le directeur du laboratoire Fred Célimène et le Parti progressiste martiniquais, le parti de Serge Letchimy. Une chose est certaine dans cet accablant dossier, c’est que les étudiants de l’université des Antilles-Guyane, dont le rapport de la Cour descompte rappelle combien ils sont défavorisés par rapport à la moyenne des étudiants français, n’ont pas vu la couleur des fonds européens. Quand on sait que dans la région, le chômage des jeunes avoisine les 60 %, le plus grand scandale est sans doute celui-ci."

LIRE LA TOTALITÉ DE L'ENQUÊTE de MEDIAPART : CLIQUEZ CI-DESSOUS http://www.mediapart.fr/journal/france/190514/universite-antilles-guyane-les-fonds-europeens-ont-ete-siphonnes-grande-echelle