CESAIRE au PANTHEON ?

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Tony DELSHAM répond à Claude RIBBE
Claude Ribbe est l’historien  qui a brisé  l’invisibilité organisée autour des Dumas père et fils et qui a révélé  le rôle de Napoléon Bonaparte dans le rétablissement de l’esclavage aux Antilles. Ancien président du Collectif des Antillais créée par Patrick Karam, il propose qu’Aimé Césaire, l’enfant de Basse- Pointe, soit accueilli au Panthéon, en France.


Je ne suis pas d’accord.

« D'aucuns
préféreraient que tout soit vite expédié, là-bas, loin de Paris, pour
bien montrer que Césaire n'était qu'un auteur mineur, régional et
communautariste, que, pour la France, cela n'a aucune importance.
Enterrons-le vite en Martinique, et qu'on n'en parle plus ! » Écris-tu dans un mail.

Surprenant !  Que veut donc dire « expédié là-bas ? »  Pour nous, Claude, c’est toi qui as été expédié là-bas.  Pas
Aimé Césaire. Il est né, il s’est éteint chez lui, entouré pendant plus
d’un demi-siècle de l’affection active de tout un peuple. Mais bref,
dois-je comprendre que  pour toi, lorsque l’on est né hors
Paris, on ne peut être que « auteur mineur, régional et
communautariste ».

Tu sais Claude, pour nous, la France, ce n’est pas
le monde et n’est qu’un partenaire comme un autre.
  N’as-tu  pas
remarqué qu’aucun Martiniquais, blanc ou noir, né à la Martinique,
qu’aucun Noir de la grande Afrique et de ses multiples nations,
qu’aucun Noir des Etats-Unis et de l’ensemble des Amériques, qu’aucun
des nombreux intellectuels des pays européens et asiatiques,
  qu’aucun des ministres ou ancien ministre de France venu rendre hommage à Aimé Césaire, chez lui en Martinique  ne pense que notre grand homme est « un auteur Mineur régional et communautariste  ? 

Sais-tu que nous autres Martiniquais, qui avons donné à l’humanité Césaire et Fanon, n’avons que faire de l’opinion de ce

tt e frange de Français racistes ?  Nous  savons parfaitement  que tous les Français ne le sont pas et respectent dans leur majorité le peuple martiniquais !  Tu n’as rien à quémander au nom de Césaire. Personne n’a reçu délégation.  Césaire de son vivant n’a jamais supplié. N’a jamais  rien demandé.  Ni  honneur,
ni reconnaissance. Il a simplement exigé, et de talentueuse façon,
qu’on lui restitue son dû, à savoir : sa civilisation millénaire et sa
dignité d’homme, nié par le Blanc. Il l’a fait au nom de tous les
Noirs. Et il a gagné.


«D'autres
préféreraient que Césaire soit à jamais séparé des «blancs». Examinons
un peu leurs arguments. Les uns disent qu'il ne le mérite pas et que ce
serait un acte « communautariste » et démagogique. » Ajoutes-tu.


Bref, ton cocorico  Claude
est-ce d’être à jamais ficelé au Blanc ? Dis-moi que ta trouille n’est
pas d’être à jamais séparé des  « blancs ». Sinon, je te rappellerai  que
c’était déjà la crainte de l’esclave de l’habitation, convaincu que
sans le maître il ne pouvait rien, même pas assurer sa survie
alimentaire. Lorsqu’il se décida enfin  à fuir  l’habitation,
en faisant un bras d’honneur au maître blanc, il a pu entamer des
études et faire une carrière d’historien…par exemple !

Surtout, s’il
avait lu Césaire. Traduis-tu séparé des Blancs par séparé de la
France ? Si c’est le cas,  tu n’as pas très bien compris Césaire. En effet,  Césaire a tout bonnement  exigé
que l’homme blanc raciste lui restitue son humanité volée. Il lui a
signifié également qu’il n’est pas le seul à avoir construit la France.

Césaire a voulu se séparer du Blanc raciste et esclavagiste. Pas de la
France, la vraie. Celle qu’il admirait. Il n’a jamais développé une
stratégie de la séparation, mais de la reconnaissance du génie de
l’homme noir qui n’a rien à envier au génie de l’homme blanc. C’est
tout.

«Les autres soutiennent qu'il «faut» le laisser en Martinique, sans
explication ou en parlant vaguement de « racines », ce qui revient
exactement au même. ».

SANS EXPLICATION DIS-TU ? 

 Alors, j’essaie
d’expliquer : Le premier a avoir reconnu la dimension mondiale d’Aimé
Césaire a été le peuple martiniquais qui, dès 1945, en dépit de ceux
qui pensaient qu’un noir ne saurait exister qu’à l’ombre d’un papa
blanc, lui a confié les clés de la capitale, alors que l’Education
Nationale lui interdisait l’entrée des établissements scolaires. 

En refusant  les
honneurs proposés, contrairement aux nains qui nous entourent, Aimé
Césaire savait consciemment, ou inconsciemment, que son pays, la
Martinique, pouvait et devait être le centre de la renaissance du monde
noir. Barack Obama est le pur produit de l’effet Négritude, même si les
étasuniens noirs n’ont pas a ttendu la naissance de Césaire pour enclencher leur lu

tt e émancipatrice.

Comme pour nous à la
Martinique, la Négritude a donné un discours valorisant au père
fondateur noir des Etats-Unis, jusqu’alors néantisé par les
affirmations boulimiques du père fondateur blanc qui lui, se réclamait
de prétendues certitudes mythologiques. En souhaitant que le
Martiniquais Aimé Césaire repose au Panthéon, de France, Claude,  ne te rends-tu pas compte que tu participes à ce

tt e prétention européenne, qui occasionna tant de souffrance à
l’Afrique et aux Africains esclavagisés dans les Antilles, et qui
prétend : n’est honorable,  que ce qu’elle reconnaît comme tel ?  

 

 

Aimé Césaire s’est battu pour que les trois principes de la République  française : Liberté, Egalité, Fraternité,  soient
appliqués à la Martinique. Son adhésion n’est pas soumission, mais
conviction que la philosophie née de la souffrance du peuple français
était avant tout respect de l’autre. Et non plus  négation
de l’autre. Étouffement de l’autre. Vol de l’autre. L’Egalité de
Césaire n’est pas le droit de faire comme l’autre. D’être comme
l’autre. Mais le droit de faire différemment que l’autre, si tel est
notre vouloir.

Qui

tte pour cela à exiger l’autonomie du pays Martinique qui  s’est forgé une identité propre, née de son histoire particulière.  Alors,
le seul Panthéon digne de recevoir le corps d’Aimé Césaire est celui de
la terre de son pays. Il faut que le président noir  des
Etats-Unis, de même que tous les Noirs d’Afrique, d’Europe, notamment
de France, puisqu’il est enfin admis que les européens noirs existent,
puissent venir s’incliner sur la tombe d’Aimé Césaire. 

 Ici ! Et non là-bas. An lot bo.

 Ici chez lui, dans ce

tt e petite île qui a révolutionné les rapports Blancs-Noirs sur la
planète. La revalorisation de la civilisation noire est une victoire
d’un français noir de Martinique et non victoire d’un français blanc,
ni même noir, de France. Vouloir que le corps d’Aimé Césaire repose en
France, serait une énième fois nous voler quelque chose.

Dieu merci,  la famille a mis fin à un débat à peine amorcé. C’est heureux !

Bien à toi et sans rancune, n’est-ce pas ?

 Tony DELSHAM.

 

 

P.S :
Lundi 21, cinq heure du matin, je viens juste de prendre connaissance
de ton dernier mail : « En contradiction totale avec la thèse de ceux
qui prétendent qu’Aimé Césaire n’avait que mépris pour le Panthéon et,
par conséquent, aurait peu apprécié qu’on lui en ouvrit les portes
après sa mort, un document filmé inédit, qui se trouve en ma
possession, révèle que l’auteur avait passé la journée du 30 octobre
avec intérêt et émotion, semble-t-il, en direct, à la télévision , en
compagnie de son ami Camille Darsières, l’entrée d’Alexandre Dumas,
fils d’un esclave d’origine africaine au Panthéon » Ecris-tu. 

Mais
enfin Claude ! Césaire, cet homme si respectueux des autres, n’avait
pas «  que mépris pour le Panthéon » et, à ma connaissance, personne
n’a écrit cela. L’intérêt et l’émotion, plus qu’évident d’Aimé Césaire
et de Camille Darsières qui, je m’en souviens, t’ont reçu
chaleureusement lors de ton passage à la Martinique, ne signifient pas
envie et volonté d’entrer au Panthéon.

Ne sont en contradiction de rien
du tout. Soulignent, simplement, la satisfaction d’Aimé Césaire de
constater que son combat, commencé avant ta naissance, porte ses
fruits.

Grâce à toi l’historien, c’est vrai, les Français savent
désormais ce qu’ils  doivent à Alexandre Dumas mais, c’est grâce à Aimé Césaire qui affirma, inlassablement au monde blanc, qu’il n’y a  pas
d’humanisme, qu’il n’y a rien d’universel, si l’homme noir n’est pas à
sa juste place, qu’Alexandre Dumas est entré au Panthéon.

C’est
tout ! N’écris plus rien à ce sujet, mon ami, à nos yeux, tu te
décrédibiliserais. La famille, qui a parfaitement compris l’intention
de l’œuvre,  a tranché. Le débat est clos. Passons à l’étape suivante.

Tony Delsham.