La plus haute juridiction française a cassé un arrêt rendu en avril 2008 par la cour d'appel de Versailles (Yvelines), qui déboutait une femme imputant son cancer à la prise par sa mère, durant sa grossesse, de Distilbène. La cour d'appel avait initialement donné tort à cette plaignante en concluant que rien ne prouvait que les laboratoires étaient à l'origine du dommage, même s'il était établi que la maladie résultait bien du Distilbène. La Cour de cassation rejette ce raisonnement en écrivant qu'"il appartient à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage". L'affaire sera donc rejugée par la cour d'appel de Paris, qui fixera le montant des dommages et intérêts.
Pour Martine Verdier, avocate de 150 victimes du Distilbène, "c'est un renversement de charge de preuve extrêmement important", car "les jeunes femmes n'auront plus à faire la preuve de la spécialité à laquelle elles ont été exposées".
"C'est une victoire", estime Anne Levadou, la présidente du réseau DES France, qui soutient les personnes victimes de cette hormone de synthèse. "De nombreuses femmes malades d'un cancer lié au Distilbène vont pouvoir s'engager dans un nouveau combat et espérer obtenir gain de cause. Nous allons les informer."
Dans un autre arrêt, une plaignante qui se disait malade aussi en raison du Distilbène est en revanche déboutée, la Cour de cassation confirmant un arrêt de Versailles qui lui donnait tort en novembre 2007. Celle-ci relève dans ce cas précis le manque de preuves, la plaignante étant dans l'incapacité de prouver que sa mère avait pris du Distilbène pendant sa grossesse, alors que sa maladie peut avoir d'autres causes. Ces deux décisions confirment dans les grandes lignes une jurisprudence établie au début des années 2000 par les juridictions françaises, après de longues procédures. Déboutées sur ce point, les "filles Distilbène" ont toutefois remporté une victoire face aux laboratoires Novartis et UCB Pharma, qui fabriquaient la molécule.
"Il s'agit de deux arrêts contradictoires", s'étonne Mohamed Chaoui, le directeur général d'UCB Pharma, "l'un confirme que le plaignant doit apporter la preuve de l'origine du dommage, l'autre renverse la charge de la preuve. Il faudra retourner en appel", annonce-t-il.
IL EXISTAIT DÈS 1953 DES DOUTES SUR L'INNOCUITÉ DU DISTILBÈNE
Les laboratoires voient désormais leur responsabilité retenue par principe, si les preuves d'administration du Distilbène sont suffisantes, en raison d'un manque à leur obligation de vigilance concernant le produit litigieux. Des avertissements lancés dans la littérature médico-scientifique avaient largement établi sa dangerosité, ont conclu plusieurs juridictions françaises. Il existait dès 1953 des doutes sur l'innocuité du Distilbène, et de nombreuses études expérimentales et des observations cliniques en contre-indiquaient l'usage dès 1971.
Le Distilbène est une hormone de synthèse inventée en 1938, commercialisée en 1946 aux Etats-Unis et prescrite en France à partir de 1948 pour prévenir les avortements spontanés et traiter les hémorragies gravidiques (relatives à la grossesse). Dès 1953, une étude américaine conclut que ce médicament n'est pas plus efficace qu'un placebo pour éviter les fausses couches. Puis, en 1971, d'autres études menées aux Etats-Unis mettent en cause le DES dans la recrudescence des cancers du vagin chez les jeunes filles dont les mères avaient pris du Distilbène pendant leur grossesse. Cette alerte, qui constitue une bombe à retardement pour l'enfant à naître, conduit la Food and Drug Administration américaine à interdire l'usage du DES pour ses indications obstétricales.
En France, c'est l'indifférence. Le produit continue à être prescrit aux femmes enceintes jusqu'en 1977, date à laquelle le Vidal mentionne enfin ses effets néfastes. En 1981, une troisième vague d'études américaines démontre que le risque de cancer dû au DES serait de 1 pour 1 000, mais que les femmes exposées à ce médicament pendant leur vie intra-utérine présentent un risque élevé d'accidents de la grossesse (fausses couches pendant les premier et deuxième trimestres, grossesses extra-utérines, accouchements prématurés). L'association de victimes DES France évalue à 160 000 le nombre d'enfants exposés dans le pays, dont 80 000 femmes, qui sont les plus vulnérables.