Cela a commencé il y a quinze jours, à Paris, par une conférence de presse tenue par un Béké, représentant les gros planteurs, qui déclara froidement : « Le problème du chlordécone, c’est du passé ! »
Cela a continué avec l’interview télévisée récente du nouveau préfet de la Martinique par des gens qui se proclament journalistes, mais qui ne sont que des lèches-bottes, l’émission ayant été préparée à l’avance et les questions complètement téléguidées. Là encore, le discours est à peu près le même : « Il ne faut pas se focaliser sur le chlordécone et le paraquat, mais sur la question générale des pesticides…De toutes façons, s’agissant de ces deux produits, ils ne sont plus utilisés depuis longtemps. »
Aucun des journalistes français, lors de la conférence de presse parisienne, pas plus qu’aucun de leurs confrères martiniquais lors de cette fameuse émission télé, n’a eu le courage de poser la question de la « rémanence » du chlordécone et du paraquat ! Rémanence, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, signifie durée de vie de ces poisons dans nos sols, nos rivières, nos nappes phréatiques et nos rivages. Or, les scientifiques sont d’accord pour dire qu’elle est de 80 ans pour le paraquat et de 150 ans pour le chlordécone. Le professeur Dominique Belpomme, l’éminent cancérologue français que Jacques Chirac avait nommé à la tête du « Plan Cancer », l’a répété à nouveau lors de sa visite dans notre île il y a deux mois. Affirmer donc que « le chlordécone et le paraquat, c’est du passé » revient carrément à se foutre de la gueule des Nègres !
Est-ce du passé quand des études scientifiques, commanditées par les services de l’Etat eux-mêmes, ont montré que le chlordécone est présent dans le sang de 90% des femmes enceintes ? Est-ce du passé quand chaque mois des agriculteurs et des aquaculteurs ont contraints d’arrêter toute exploitation parce que les résultats du fameux laboratoire de la Drôme chargé d’identifier le chlordécone sont positifs ? Est-ce du passé quand 12 des 14 sources que comptent la Martinique sont interdites d’usage pour cause de contamination, celle de Bod Lanmè, à Basse-Pointe, contenant 44 fois le taux de chlordécone jugé acceptable par l’organisme humain ? Est-ce du passé quand le taux de cancers, de la prostate notamment, explose dans nos deux îles, la Martinique étant même classée 2è, au niveau mondial, juste après les USA, pour le cancer de la prostate ? etc…etc…On pourrait multiplier à l’envi les exemples qui montrent que la question du chlordécone et du paraquat ne relèvent absolument pas du passé, mais bel et bien du présent. Et du présent le plus immédiat ! Si on peut comprendre que la presse française se fiche un peu du problème, il est tout simplement honteux que des journalistes martiniquais se fassent les complices de ce qui n’est autre qu’une vaste entreprise de désinformation visant à endormir les peuples martiniquais et guadeloupéen.
Mais, fort heureusement, il reste quand même des pans de la justice française qui possèdent un minimum d’indépendance et d’honnêteté. C’est ce qui explique que le 2 août dernier, la Cour d’appel de Fort-de-France ait déclaré recevable une plainte pour « empoisonnement et complicité d’empoisonnement avec mise en danger de la vie d’autrui » déposée par l’ASSAUPAMAR (Association pour la Protection de l’Environnement de la Martinique). Un intitulé très fort, très fort puisqu’il n’avait pas été retenu dans l’affaire du sang contaminé !!! On peut supposer que les magistrats en question ne sont pas de dangereux gauchistes et qu’ils ont jugé sur la foi des pièces accablantes fournies par les écologistes. Le problème est de savoir si la justice pourra suivre son cours jusqu’au bout c’est-à-dire arriver à une identification des coupables et à leur mise en examen, puis à leur poursuite devant les tribunaux. Malgré le bla-bla-bla sur l’indépendance de la justice française, il est permis d’en douter.
Rappelons les chiffres : . 12.000 hectares sont contaminés au chlordécone en Martinique . 5.000 en Guadeloupe
Aucune processus de traçabilité des productions agricoles n’a été mis en branle par l’Etat. Aucun début de commencement d’indemnisation des petits et moyens agriculteurs n’a été mis en route. Aucune étude quant à la faisabilité d’une décontamination des sols, notamment à l’aide des procédés de phytoremédiation mis au point au Canada, n’a encore été envisagée. Aucune étude épidémiologique à grande échelle n’a été lancée dans nos deux îles pour mesurer l’impact de l’emploi, pendant plus de 30 ans, de ces deux pesticides sur nos populations. Et évidemment, aucune enquête judiciaro-policière n’est en cours pour tenter d’identifier les coupables de cet empoisonnement.
Et malgré tout cela, nos chers journalistes martiniquais trouvent le moyen d’abonder dans le sens du représentant de l’Etat qui déclare carrément que la question est close !
Quant à nos élus, s’ils se heurtent à un mur quand ils tentent de faire prendre conscience de la gravité de la situation à l’Etat français, qu’est-ce qui les empêchent de s’adresser à l’Organisation des Etats de la Caraïbes, à l’Organisation des Etats américains, à l’Union Africaine et à la Ligue Arabe ?
Car, il est désormais clair que seule une internationalisation de la question de l’empoisonnement des populations martiniquaise et guadeloupéenne par le chlordécone et le paraquat sera en mesure de débloquer la situation.