A.l’annonce par pôle emploi d’une petite baisse des chiffres du chômage de juillet dernier, Catherine Conconne et Jeff Lafontaine, Directeur de cabinet du président de Région, ont crié victoire comme chaque fois qu’il y a une baisse… mensuelle du nombre de demandeurs d’emploi.
En mai et juin le chômage a fortement augmenté et on ne les a pas entendus. Incorrigibles, ils veulent oublier que la situation de l’emploi ne se juge pas sur un seul mois.
Récupération politicienne de la pseudo-baisse
La 1ère Vice-présidente, par exemple, s’écrie sur facebook citant Martinique 1ère : « Voilà......je vous dis que le travail paye ! Sortir des constats, des déclamations et oser.....oui, oser :
Le chômage baisse en Martinique au mois de juillet - martinique 1ère. La tendance est la même qu'au niveau national. Le chômage a baissé en juillet en Martinique : -0,6 % soit 44 960 personnes. martinique.la1ere.fr ».
C’est exact. Sauf que l’information donnée par Laure-Anne Virassamy sur Martinique 1ère le 26/08/2015 est plus complète et nuancée car elle poursuit : « En comptabilisant l'ensemble des catégories, il y a moins de chômeurs (- 0,3 %) sur le mois. Mais sur l'ensemble de l'année, le chiffre est en forte hausse : +2,2 %. En juillet 2015, la Martinique compte 59 167 demandeurs d'emplois.
Plus de séniors en quête d'emploi
Dans les détails, le chômage des jeunes est à la baisse sur le court terme (-1,5 % en juillet) et sur le long terme (-7,7 % sur un an). En juillet 2015, il y a 5 838 demandeurs d'emplois de catégorie A de moins de 25 ans.
En revanche, le nombre de chômeurs de 50 ans et plus continue d'augmenter : +1,3 % entre juin et juillet. Sur un an, la tendance s'amplifie, +8,9 %. 13 041 séniors cherchent un emploi en Martinique ». Fin de citation.
Donc la Région revendique la paternité de la prétendue baisse.
Cependant, la ministre des outre-mer George Pau-Langevin n’est pas en reste et publie le 27 août un communiqué intitulé : « Chômage : Baisse confirmée en Guadeloupe, Guyane, Martinique et à la Réunion ». ? On y lit notamment :
« La Ministre des Outre-mer se félicite de la diminution du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi en catégorie A, enregistrée au mois de juillet en Guadeloupe, Guyane, Martinique ainsi qu’à La Réunion.
Sur un mois, ces territoires enregistrent une baisse de 1 220 demandeurs d’emploi, soit une diminution de 0,5%.(…)
(…) Ces résultats confortent la ligne fixée par le Gouvernement et déclinée en Outre-mer. Le pacte de responsabilité et de solidarité, le plan d’aide à la première embauche, les mesures prises en faveur de l’emploi des jeunes portent leurs fruits en Outre-mer comme dans l’hexagone(…).
L’engagement de tous, et en particulier celui des entreprises qui bénéficient des aides du Gouvernement pour faciliter leurs investissements et améliorer leur compétitivité, est plus que jamais nécessaire pour faire reculer le chômage durablement.
Quelques chiffres : (…) • Martinique : -0,6% (-0,6% sur un an) / moins de 25 ans : -1,5% (-7,7% sur un an)… ».
Qui est l’auteur de la pseudo-baisse ? L’Etat ou la Région ?
Le gouvernement revendique aussi la paternité de la pseudo baisse. Nous verrons pourquoi nous disons « pseudo-baisse ».
En tous cas, si baisse il y a, qui est responsable ? L’Etat qui rappelle sa politique d’emploi, ou la Région avec ses plans dits de relance ?
France-Antilles, plus prudent, titre : « Emploi. Légère baisse du chômage ».
La baisse annoncée concerne les demandeurs d’emploi de catégorie A, c’est-à-dire ceux qui n’ont aucune activité. Pôle emploi indique : « Fin juillet 2015, le nombre de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi de catégorie A s'établit à 44 960 en Martinique. Ce nombre diminue de 0,6 % par rapport à la fin juin 2015 (soit -268). Sur un an, il est en baisse de 0,6 % ». Donc on observe une baisse de 268 chômeurs A en juillet alors qu’en juillet 2014 il y avait eu un record de hausse de 911 chômeurs (+ 2%).
Par ailleurs, « le nombre de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi de catégories A, B, C s'établit à 54 092, fin juillet 2015. Ce nombre diminue de 0,3 % (soit -163) ». Par contre, sur un an, il croît toujours de 1,4 %. Le nombre de chômeurs ABC est plus proche de celui des chômeurs réels évalués par l’INSEE à 54 800 en 2014 (Insee-Flash n° 17 de juin 2015).
A noter qu’en mai et juin 2015 le nombre de chômeurs A avait augmenté de 817 personnes et celui de chômeurs ABC de 1 111 personnes. Avec une baisse de 268 chômeurs en juillet 2015 A la 1ère vice-présidente se « réjouit » de peu.
Manipulations statistiques
C’est ici qu’il faut rappeler que la Dares, organisme de statistique du ministère du Travail, a changé la méthode de classement des demandeurs d’emploi depuis juin 2015 en faisant basculer certaines personnes en formation ou en contrat précaire inscrites jusqu’alors en catégories A,B et C (chômeurs n’ayant pas travaillé ou très peu) dans des catégories D (stages, formation) et E (contrats aidés). Pôle emploi dans sa note avait averti qu’il aurait accès « à des données administratives plus complètes permettant de mieux connaître les demandeurs d’emploi en formation, en service civique ou en contrat aidé dans l’insertion par l’activité économique . Ces informations permettent de mieux classer les demandeurs d’emploi dans la catégorie correspondant à leur situation ». Pôle emploi a l’honnêteté de prévenir que cela s’est poursuivi en juillet 2015 : « Ces opérations, réalisées principalement sur le mois de juin 2015, se poursuivent à la marge en juillet et ont un impact à la baisse sur les évolutions du nombre de demandeurs d’emploi en catégories A, B et C ». Par contre, pôle emploi n’indique pas de combien ces « opérations » ont fait baisser les chômeurs A et ABC sur lesquels il communique principalement.
Un chômage de masse tendant à s’aggraver
Il faut donc se référer au nombre de chômeurs toutes catégories A,B,C,D et F qui baisse un peu en juillet de 0,3 % mais augmente de 2,2 % sur un an, soit 59 167 personnes en juillet 2015 et 1 250 de plus en un an.
Si le nombre de moins de 25 ans sans activité (catégorie A) fléchit de 1,5 % en juillet et de 7,7 % en un an, quelle est la part des contrats aidés(emplois d’avenir, etc) et celle de la baisse de la population et de l’accélération de l’émigration massive ? La baisse importante des premières entrées à pôle emploi, soit 378 en juillet 2015 contre 473 en juillet 2014, est sans doute en grande partie la traduction de ces phénomènes. Va-t-on vaincre le chômage quand il n’y aura plus de Martiniquais(es) ?
Le chômage des séniors de plus de 50 ans (Cat A) continue sa course folle à la hausse de 1,3 % en juillet et de + 8,9 % en un an. Pareil pour les chômeurs de longue durée ABC (sans aucune activité et avec une activité réduite) qui progressent de 1,3 % encore en juillet, soit + 5,5 % en un an. La part des chômeurs de longue durée dans l’ensemble est de 55,2 % contre 53,1 % il y a un an et 44,7 % en France. Le noyau dur du chômage néo-colonial s’élargit. Des solutions audacieuses sont à mettre en œuvre pour répondre à nombre de besoins non satisfaits.
Figure 1 : Une explosion du chômage de longue durée qui exprime le marasme économique et le mal-développement
Dans ces conditions, le nombre de chômeurs ABC tombant dans la pauvreté et le RSA faute d’émarger aux Assedic, s’élève à 19 409 en juillet, soit 3,5 % de plus qu’en juillet 2014 (+ 651 personnes). Sa part dans l’ensemble des chômeurs ABC est de 38,8 % contre 21,6 % en France.
La pauvreté augmente comme en atteste la récente enquête Insee sur les budgets des familles qui porte sur la période 2001/2011 (Insee/Analyses n° 7- Août 2015).
Point a priori positif que nous avions déjà signalé pour les chiffres de l’emploi de juin 2015 : les offres d’emploi collectées par pôle emploi (qui ne sont pas la totalité des offres d’emploi) au cours des 3 derniers mois sont en hausse de 0,6 % par rapport aux 3 mois précédents et elles sont en hausse de 10,4 % pour les offres d’emploi durables de 6 mois ou plus. Soit 639 offres d’emploi en juillet 2015.
Même si les offres d’emploi ont augmenté depuis juin, la baisse du nombre de demandeurs d’emploi de juillet est problématique en raison du changement du mode de classement des demandeurs d’emploi. C’est pourquoi nous la qualifions de « pseudo-baisse ».
5 509 chômeurs de plus depuis mars 2010
En dépit des cocoricos des augures régionaux qui, tels les prêtres antiques, lisent les statistiques dans les entrailles des poulets, il reste que le nombre de demandeurs d’emploi A était de 39 452 au 1er trimestre 2010, date de l’arrivée de Serge Letchimy à la tête de la Région, et qu’il est de 44 961 en juillet 2015, soit 5 509 chômeurs A de plus au lieu de la création de 5 000 emplois comme promis. Et cela en dépit de la baisse de la population et de l’exode massif des jeunes qui se sont accélérés ! De plus il a été perdu près de 4 000 empois salariés marchands depuis mars 2010.
Changer de cap
Donner des aides publiques aux entreprises sans condition ne peut que mener à l’échec.
« L’inversion » de la courbe du chômage ne peut passer que par une remise en cause de la politique de l’emploi actuelle tant au niveau de l’Etat que de la Région. Ce n’est pas en contrôlant plus les demandeurs d’emploi, en les radiant que la reprise économique se fera !
Alors que la croissance est au mieux atone, il convient d’opérer dans un premier temps une relance de la demande populaire par une revalorisation en priorité des salaires et des pensions des plus modestes en s’efforçant de l’orienter vers le marché martiniquais. Et, parallèlement, il faut- relancer l’investissement public et privé pour muscler l’économie martiniquaise mal et sous développée face à la consommation importée.
C’est le projet que porte le « Gran Sanblé ».
Michel Branchi
Economiste
(30/08/2015)