Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Collègues de l'assemblée,
Chaque jour, l'histoire nous enseigne qu'il est plutôt sensé de l'accompagner.
L'entraver, est toujours en tous cas, source de déboires aux conséquences parfois incalculables.
Et c'était tout un symbole que d'avoir inscrit dans le préambule de la constitution, le droit inaliénable des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Ainsi, la France s'assignait solennellement, la noble mission d'assurer cet objectif fondamental.
Aujourd'hui, pour la simple mise en place d'une Collectivité Unique, qui aurait dû aller de soit depuis bien longtemps, on ergote toujours, on parle de temps perdu. Est-ce pour donner le change ?
En agissant de la sorte, on oublie volontairement de dire que le temps se perd chaque fois que le tardigrade prend le pas sur l'émancipateur.
A cet égard, il y a eu dans tous les camps, des émancipateurs. De même qu'ont pullulé, dans tous les camps des tardigrades inconditionnels.
Pour ne pas évoluer, ces derniers évoquaient pour la Martinique, tantôt le droit commun, tantôt une assimilation pure et dure.
L'Etat lui-même n'a pas été en reste.
Et, puisqu'il est de bon ton en cette circonstance, de prendre l'histoire à témoin, permettez que je vous en rappelle certains points sans chercher à les dénaturer ni à les magnifier.
Suite à la mise en place d'un Établissement Public Régional en Martinique, après le rejet du projet d'instauration de la Grande Région Antilles-Guyane, le Mouvement la Parole Au Peuple, l'ancêtre du Mouvement Indépendantiste Martiniquais, avait lancé l'idée de la création d'une Assemblée Unique.
En 1974, en tant que Président de ce Mouvement la Parole au Peuple, dans un document que voici remis à Monsieur Gaston DEFERRE, représentant personnel de Monsieur François MITTERRAND, candidat unique de la gauche à la présidence de la République je préconisais déjà ceci :
« Aucun statut d'Autonomie ou d'Indépendance ne sera, d'autorité, imposé au Peuple Martiniquais contre sa volonté générale par le gouvernement français. »
« militer pour l'émancipation nationale martiniquaise ne pourra être considéré comme une atteinte à l'intégrité territoriale française ni à la sécurité de l'Etat Français. »
« De plus la présence militaire française sera considérablement réduite et les casernes ainsi désaffectées, ré-utilisées à des fins sociales ».
« L'ORTF en tant qu'office public d'information sera réellement démocratisée... »
« Le libre accès et un temps de parole devront être garantis à toutes les tendances politiques et syndicales ».
Quelle résonance démocratique !
Et c'était il y a 37 ans
Le candidat François MITTERRAND fut laminé en Martinique car les tardigrades de tous bords ont utilisé les arguments éculés bien connus, remis sans cesse au goût du jour, que sont notamment, le largage et la perte des acquis sociaux.
Toutefois, il y eut une exception singulière.
A Rivière-Pilote dont j'étais le maire depuis seulement trois ans, MITTERRAND sort premier avec 99 voix de majorité.
Le même François MITTERRAND est arrivé en 1981 à la présidence de la république, avec en bandoulière, sa loi de décentralisation, loi que j'ai considérée comme une loi d'émancipation des collectivités tant la tutelle de l'Etat était tentaculaire et étouffante.
Tout le monde sait que l'Assemblée Unique, proposée par son gouvernement, et non par personne d'autre, idée à laquelle se sont ralliés tous les élus de gauche de l'outre-mer, a été « retoquée » par le Conseil Constitutionnel le 02 décembre 1982 au regard de l'état de la législation en vigueur.
Et le temps s'écoule encore.
En effet, de 1982 à 1998, aucune réforme de la constitution n'a été proposée pour réparer cette aberration juridique de région mono-départementale, certains élus préférant s'accommoder de cette situation équivoque qu'ils dénonçaient par ailleurs.
Dès 1998 élu député puis président de région, je demandais la création d'une Assemblée Régionale Unifiée de transition, lors du débat organisé par l'Assemblée Nationale sur l'avenir de l'outre-mer. C'était précisément le 23 octobre.
Le 1er décembre 1999 j'ai signé la déclaration de Basse-Terre, avec Madame Lucette MICHAUX-CHEVRY et Monsieur Antoine KARAM.
Document en mains, nous avons convaincu le Président Jacques CHIRAC de la nécessité de débloquer la situation.
Il le fait en modifiant la constitution, permettant pour la première fois, en 2003, la consultation populaire obligatoire que nous avons réclamée.
Mais entre temps, à l'initiative de Claude LISE et de moi même, le congrès des élus s'était réuni pour aboutir à l'objectif qui était déjà le même que celui d'aujourd'hui, à savoir la mise en place d'une Collectivité Unique dans le cadre de l'article 73 de la constitution.
Ce sont les mêmes qui dénoncent la perte de temps, qui ont freiné cette transformation ratée à 1030 voix près c'est-à-dire à moins de 1%.
Et le temps s'écoule encore,
J'ai récidivé avec Claude LISE, en prenant contact avec le Président Nicolas SARKOZY.
C'est lui qui a permis la double consultation des 10 et 24 janvier 2010 que nous avons sollicitée.
Pour arriver à ce résultat utile certes, mais pas suffisant à lui tout seul, j'ai frappé à la porte de trois Présidents de la République, car l'intérêt général de la Martinique l'exigeait.
Mais la défense de cet intérêt général passe nécessairement, par le respect intégral des règles démocratiques les plus élémentaires.
Toute prolongation accordée pour la mise en place de cette Collectivité Unique, regroupement de deux institutions déjà bien rodées, relève tout simplement de la pinaillerie et de la finasserie.
Se souvient-on qu'il nous est arrivé de mettre en place en accéléré une collectivité ?
N'est-ce pas la collectivité régionale qui a été officiellement installée en Martinique, bien avant son entrée en vigueur en France même ?
Quelle situation ubuesque!
Et le temps s'écoule encore.
Madame la Ministre, dans ces conditions, je voterai contre le report à 2014.
Un autre point de désaccord essentiel porte sur l'étranglement de la démocratie au nom d'une soi-disant stabilité.
Je déposerai à ce sujet deux amendements qui devraient réconcilier majorité absolue et stabilité.
Majorité absolue, plus prime majoritaire exorbitante de 20%, plus conseil exécutif monocolore prévus dans le texte, créent objectivement les conditions de l'absolutisme.
L'installation de la Collectivité Unique ne doit pas conduire à l'installation de la pensée unique.
Et pour coiffer le tout vous remettez en selle un Préfet devenu gouverneur super-star.
Si nous bafouons à ce point la démocratie, nous passerons d'une situation aberrante à une situation aberrante aggravée, avec un Président de l'exécutif omnipotent , un vrai roitelet en somme.
Nou ka soti an sann pou tonbé an difé
Pour éviter toutes ces entorses, je propose que pour la liste obtenant la majorité absolue au 1er ou au 2ème tour, il n'y ait pas de prime majoritaire supplémentaire puisque l'objectif de stabilité est déjà atteint.
Dans le cas contraire, il suffit d'accorder à la liste qui ne l'obtiendrait pas, mais sortie en tête, le nombre de sièges supplémentaires pour atteindre cette majorité absolue.
Un pays fut-il de taille modeste a autant besoin de démocratie que les autres pour se vivifier.
Il faut continuer à déverrouiller le système.
Cette Collectivité Unique est un sas symbolique, qui ouvre le champ des possibles.
Car l'oeuvre de l'homme n'est pas achevée.
Pour la parfaire, la démocratie doit en être le socle permanent.
Alfred MARIE-JEANNE
Alfred MARIE-JEANNE,
Député de Martinique.
Assemblée Nationale, le 28 juin 2011