COLOMBIE - CRASH DU 16 AOUT 2005 : LES JUGES MENACES DE MORT


"Comment une compagnie comme West Caribbean a-t-elle pu être affrétée par un voyagiste martiniquais ?" par Thierry Vigoureux in Le Point

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Le 16 août 2005, un biréacteur MD 82 de la West Caribbean s'écrasait au Venezuela faisant 160 victimes, dont 152 Français. Ce vol charter YH 708, qui reliait Panama à Fort-de-France, a rencontré des conditions météorologiques excessivement mauvaises dès la première heure de vol. Cinquante et une minutes après le décollage, l'équipage lançait un appel de détresse, reçu par le contrôle aérien vénézuélien. Signalant l'arrêt d'un réacteur, il demandait de descendre de 31.000 à 14.000 pieds. Onze minutes plus tard, alors que le pilote automatique était désengagé, le deuxième réacteur était signalé défaillant. Ce fut le dernier contact radio. 

 

 

Cinq ans après, les enquêtes au point mort 

Conformément aux règles internationales, l'enquête technique est alors confiée à l'aviation civile vénézuélienne, mais, compte tenu de la nationalité de la majorité des passagers, le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) y est associé ainsi que son homologue américain, l'avion ayant été construit par McDonnell Douglas. La Colombie, pays de la compagnie West Caribbean Airways (aujourd'hui disparue) et d'immatriculation de l'avion, est également partie prenante. Le rapport d'enquête technique n'a toujours pas été divulgué dans sa version définitive, un tel document est indispensable puisqu'il permettrait d'émettre des recommandations au niveau international afin d'éviter qu'un accident semblable ne se reproduise. Enquêteurs français et américains avaient demandé de revoir la copie initiale, trop édulcorée...

Une spirale infernale

Certains éléments sont déjà connus. Comme dans la plupart des accidents, une succession d'erreurs ou de dysfonctionnements a entraîné l'issue fatale. Au décollage, l'avion était en surcharge. L'équipage a privilégié la route directe entre Panama et la Martinique, sans tenir compte de formation de cumulonimbus très importants. Le MD 82 s'est véritablement jeté dans la gueule du loup avec, pour conséquence, du givrage fort. Les ailes se chargent alors de glace, ce qui alourdit l'avion et dégrade ses performances aérodynamiques. Avec les entrées d'air également givrées, les moteurs perdent non seulement de la puissance, mais ne peuvent plus réchauffer les empennages pour empêcher la formation de glace. C'est une spirale infernale.

Dans le cockpit, les rapports humains entre le pilote et le commandant de bord ne sont pas un modèle du genre. L'antigivrage n'est pas actionné. Ce qui semble être l'erreur fatale, le pilote automatique est désengagé. Prenant les commandes, l'équipage ne parvient pas à garder le contrôle de l'appareil qui décroche et part en vrille. Malgré les annonces faites par les pilotes au contrôle aérien, les moteurs étaient toujours en fonctionnement quand l'avion a percuté le sol. "Le rapport technique va aussi devoir prendre en compte une défaillance de l'alarme de décrochage qui se déclenche trop tard en haute altitude", souligne Daniel Hierso, représentant en métropole de l'association des familles de victimes. "C'est un point essentiel qui permet de comprendre l'ensemble de l'accident". L'AVCA (Association des victimes de la catastrophe aérienne du 16 août 2005 au Venezuela) déplore la lenteur de l'enquête et souligne que les rapports concernant d'autres accidents de 2005 sont déjà sortis, comme celui pour le crash d'un avion d'Helios en Grèce ou celui d'un avion Air France à Toronto.

Les juges menacés de mort

L'enquête judiciaire, menée par le tribunal de grande instance de Fort-de-France, n'avance guère non plus. "Le juge d'instruction semble moins préoccupé par la recherche de la vérité que par la clôture de son dossier et refuse systématiquement les demandes d'investigations nécessaires", déplore l'AVCA qui s'attend à un non-lieu, sans cacher les difficultés du dossier. Plusieurs protagonistes ont été menacés de mort (à commencer par les juges d'instruction colombiens et français), voire assassinés comme la secrétaire de l'ancien président du syndicat des pilotes colombiens M.Padilla. Ce dernier a dû s'expatrier aux États-Unis.

L'aviation commerciale en Colombie n'obéit pas aux mêmes règles qu'en Europe. Les pièces détachées, par exemple, s'achètent sur un marché gris alimenté par les vols sur les épaves et les contrefaçons. Les mafias de la drogue sont parties prenantes de l'économie locale du transport aérien. Autre point que la justice devra éclaircir : comment une compagnie comme West Caribbean a-t-elle pu être affrétée par un voyagiste martiniquais ?

SOURCE : Le Point